Ehda`a Blackwell

Je sais que la CIA tente de faire bloquer les comptes de Saddam en Suisse et de récupérer ses avoirs à l'étranger. Sa fortune personnelle pourrait atteindre dix milliards de dollars ! Une patrouille de notre armée a trouvé six cent cinquante millions de dollars en cash, dans les environs du Tigre, près d'un quartier réservé aux membres du Baas. Rien que dans ses palais, les Marines ont découvert cent soixante-quatre caisses de métal renfermant chacune plusieurs millions de dollars. J'ai chopé cette info sur une de nos fréquences.

Tu rêves vraiment ! s'énerve Sean. Si tu crois que l'Amérique est un eldorado pour tout le monde... Quand je regarde autour de moi, que je vois ma mère, mon père... Quelles chances m'ont-ils réellement données, dans la vie ? Qu'ont-ils fait pour m'aider à réussir ? Au lycée, je suis devenu un étudiant médiocre en me prenant à espérer devenir champion de base-ball, ma seule chance d'obtenir une bourse pour l'université. Mon entourage ne m'encourageait qu'à être fainéant.

Et ces hommes, tous gentils au début pour à la fin ne vouloir qu'une chose: te dresser comme un animal. Même amoureux, un Irakien cherche toujours à satisfaire d'abord son entourage. La femme qu'il s'est choisie est soumise à l'approbation des amis, puis des parents qui vérifient qu'elle est conservatrice, ne montre pas son corps. Alors oui, elle mérite d'être une épouse. Le dernier souci des hommes, ici, est de nous satisfaire.

Dans nos médias, me dit-il, votre pays semble peuplé de types à longues barbes genre Ben Laden et de vieilles mendiantes édentées. On ne montre jamais de filles comme vous, habillées à l'occidentale. Dans le petite guide de "survie en Irak" que l'armée nous a distribué avant de partir, il est vivement recommandé d'éviter de s'adresser aux femmes "pour, est-il écrit, ne pas mettre en danger nos vies et les leurs".

Mon univers à moi était tout de moquette. Ma grand-mère maternelle, qui savait lire et écrire - chose rare dans l'Irak du début du XX siècle -, avait insisté pour que ses filles fréquentent l'université. Ma mère, diplômée en sport-étude, fut professeur de gymnastique jusqu'à sa retraite, une de mes tantes enseigne l'histoire, une autre les sciences physiques et la dernière est gynécologue.

Ce n'est pas le cas. Menacé de cour martiale, cantonné à l'isolement, je ne peux rien faire pour Ehda'a. Reniée par son père, longeant les murs de sa propre ville où viols et enlèvements sont devenus un art, elle est une cible de choix.