Intervenants:
Jérémy GHEZ, professeur associé d'économie et d'affaires internationales à HEC Paris, Sarah GUILLOU, directrice du département de recherche innovation et concurrence et économiste OFCE Sciences Po, Sébastien
JEAN, professeur titulaire de la chaire d'économie industrielle au CNAM et El Mouhoub MOUHOUD, professeur d'économie et président de l'université
Paris Dauphine-PSL
Modération et coordination:
Antoine REVERCHON, journaliste au Monde
Reshoring, nearshoring, friendshoring... le jargon anglo-saxon de la mondialisation s'est enrichi ces dernières années de nouveaux termes désignant l'impact des tensions géopolitiques sur les « chaînes de valeur » du capitalisme. Alors que la priorité, lors de la période de mondialisation triomphante, était de délocaliser vers les pays offrant les plus bas coûts de main d'oeuvre dans un contexte de baisse des prix du transport, la priorité est aujourd'hui de limiter les risques : risque politique, lorsque des régimes autoritaires peuvent arbitrairement prendre le contrôle des fournisseurs ou couper les lignes d'approvisionnement ; risque de sécurité lorsque les tensions entre puissances peuvent dégénérer en sanctions économiques, en sabotages ou en guerre ouverte ; risque de réputation lorsqu'une crise sociale ou environnementale met à jour des pratiques illégitimes ; risque fiscal avec l'envolée des prix du carbone importé et de l'énergie. Tout pousse alors à relocaliser sur place (reshoring) ou dans un pays proche (nearshoring) et surtout « ami » (friendshoring), c'est-à-dire respectueux de l'État de droit et peu enclin à s'allier aux « ennemis de l'Occident ». L'inconvénient est qu'il va falloir choisir son camp...
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La politique sélective a pour conséquence de renforcer la segmentation du marché du travail. À côté des « insiders » qui ont des emplois stables et protégés dans le secteur « primaire » (grandes entreprises, secteurs public et parapublic) et des « outsiders » qui sont au chômage ou titulaires d’emplois peu protégés dans le secteur « secondaire », il existe un troisième secteur. C’est celui des immigrés, qui jouent le même rôle de force d’appoint que les « outsiders », handicapés par le cloisonnement sectoriel et géographique.
Le problème de la reconnaissance et de l’équivalence des diplômes, le statut juridique dans lequel les migrants sont mis provoquent en fait leur déclassement sur le marché du travail. Trois catégories de migrants qualifiés déclassés peuvent être distinguées. D’abord, ceux qui entrent avec un permis de travail et qui ont accepté un emploi ne correspondant pas à leurs qualifications parce que c’était pour eux la seule chance de pouvoir émigrer. Ensuite, les étudiants étrangers qui changent de statut pour devenir migrants et ne parviennent pas à trouver un emploi correspondant à leur qualification, même si en principe en France ce risque devrait être limité puisque les autorités administratives sont supposées vérifier l’adéquation emplois/qualifications. Enfin, les personnes qualifiées qui entrent au titre du regroupement familial ou avec le statut de réfugié ou d’apatride et qui acceptent des emplois en dessous de leur niveau de qualification. Ce « gaspillage » des cerveaux (brain waste) représente une perte non seulement pour les personnes concernées, mais aussi pour le pays d’accueil.
Contrairement à une idée reçue et largement médiatisée, la France, pas plus que les autres pays développés, ne reçoit la misère du monde. Une observation récurrente remet en cause cette idée : plus le pays de départ est pauvre, plus son taux d’émigration (la part des émigrés dans sa population) est faible en raison du coût financier important induit par la migration. Sans même parler des barrières érigées par les pays d’accueil, l’émigration est si coûteuse qu’elle exclut les personnes les plus défavorisées du Sud. À mesure qu’un pays se développe, la contrainte financière s’allège si bien que les possibilités d’émigrer s’accroissent. Lorsque le niveau de développement du pays se rapproche de celui des pays développés, ce pays devient, comme le Portugal et l’Espagne, un pays d’immigration nette, c’est-à-dire qu’il reçoit plus qu’il n’envoie de migrants
Quiconque a observé un travailleur du bâtiment et des travaux publics manipuler un marteau-piqueur en marchant dans les rues de Paris peut s’en rendre compte aisément : si l’immigration a un effet mineur sur les salaires et l’emploi des autochtones, c’est parce qu’immigrés et autochtones ne sont pas en concurrence mais en complémentarité sur les types de postes et de tâches exécutées.
Les migrants peuvent chercher à quitter leur pays pour différentes raisons : occuper un emploi, étudier, rejoindre un conjoint, fonder une famille, parce qu’ils ont été forcés de partir à cause de la guerre, de conflits. Ils sont dans ce dernier cas demandeurs d’asile et deviennent des réfugiés humanitaires si leur demande est acceptée par les autorités d’accueil