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Citation de Cielvariable


Les filles bien élevées ne fréquentent pas les garçons. Même s’ils font partie de la classe des Loyaux – et Zenn était le meilleur d'entre eux. Il marchait à côté de moi, les mains dans le dos, raide comme un piquet dans son uniforme noir de jeune recrue des Forces Spéciales. Les galons verts ornant ses manches crépitaient d'éclairs argentés. Peut-être enregistraient-ils tout ? Peut-être ? Sans blague ! Ces fichus galons verts n'en rataient pas une.
Traverser le parc le soir n’était pas interdit, en théorie. Les Loyaux le faisaient tout le temps. Mais m'y retrouver en compagnie d'un garçon pouvait me causer de sérieux ennuis.
À la nuit tombante, j’aurais enfreint une règle de plus.
Un aérocoptère bourdonnait dans le lointain au–dessus des arbres. Dans ce parc, les arbrisseaux me dépassaient à peine d'une tête. La Cité de l’Eau possédait quelques vieux arbres, certains centenaires, mais la forêt était hors zone, et même moi, je ne m'y serais jamais aventurée, au risque de transgresser le règlement.
Le ciel charbonneux me rappela les impuretés de l’eau du lac que j’avais filtrée en classe, un peu plus tôt dans la journée. J’imaginais que les murs de l’usine où travaillait mon père avaient cette couleur sale. Comme je ne l'avais jamais visitée et n'avais pas davantage revu mon père depuis des années, je n'avais aucune certitude.
– Vi, je suis content que tu te sois enfin décidée à répondre à mon comm, déclara Zenn d'une voix aussi lisse que sa peau, aussi fluide que sa démarche.
Pas la peine d'entrer dans les détails. Pas avec Zenn.
– Tu connais ma mère. Je l’ai prévenue que je viendrais, qu’elle le veuille ou non.
J'avais sauté de joie en recevant son invitation et je mourais d'impatience de le revoir. J'aurais décroché la lune pour lui s'il me l'avait demandé, quelles que soient les conséquences. Mais ça, il ne fallait pas qu'il le sache.
J’avais quitté les cours pendant la pause de l’après–midi. La caserne des Forces était à deux heures de marche au sud de la Cité de l’Eau. J’avais
franchi les remparts et crapahuté sur près d'un kilomètre dans la Zone Feu pour venir au rendez–vous. Franchir les remparts était également défendu, mais Zenn en valait la peine.
J'observais en silence les aérocoptères tournoyer de plus en plus bas. Je n'éprouvais pas le besoin de parler avec Zenn. Parfois le silence en dit long.
Les trottoirs ne fonctionnaient plus depuis trente minutes : l’heure du couvre-feu dans le parc. Soudain, en voyant l'un des aérocoptères amorcer sa descente, j'ai dû rassembler mon courage pour ne pas attraper la main de Zenn et m'enfuir à toutes jambes.
Autrefois, je l’aurais fait, mais aujourd'hui, c'était différent. Quelque chose me disait qu'il ne m'aurait pas suivie.
Un rapide coup d’oeil me le confirma. Son regard était éteint. Sans vie. Peut–être la formation qu'il suivait à la caserne l’épuisait–il ?
Mon doux, mon merveilleux Zenn. Quelque chose dans son expression me tracassait.
– J’ai quelque chose pour toi, annonça–t–il, un sourire aux lèvres.
Je me penchai vers lui. Dans son comm, Zenn m’annonçait une surprise – sans doute un objet qu’il avait fabriqué lui–même, le travaillant jusqu'à la perfection. À son image.
Le vrombissement de plus en plus sonore des aérocoptères ne paraissait pas le perturber. Contrairement à moi, il n’était pas du genre à vivre sur le fil du rasoir. Il plongea la main dans sa poche.
– L'entraînement ne me laisse pas beaucoup de loisir, mais on risque de ne pas se revoir avant un bon bout de temps… Ton anniversaire est dans deux semaines, et comme tu es ma…
– Hé vous, là–bas ! l'interrompit la voix électronique.
Je sursautai et reculai d’un pas derrière Zenn. La mission des technefs était d'empoisonner la vie des gens. Personne ne pouvait échapper à leur surveillance. Pas même moi.
Dans la pénombre, je distinguai une rose rouge ornant le ventre de l'appareil. Je sursautai – j’avais déjà été arrêtée par cet aérocoptère auparavant. Mais comme Zenn m’avait invitée à lui rendre visite et qu'il
appartenait aux Forces, j'espérais éviter les problèmes, cette fois–ci.
Mais bien sûr... La justice ne faisait pas vraiment partie des préoccupations du Directeur.
– Vos cartes ! beugla la voix synthétique.
Zenn brandit son badge d’identification vert citron. Un bras électrique surgit du ventre de l'engin et plongea pour scanner le code-barres inscrit au dos de la carte.
Une puce électronique surveillait vos moindres faits et gestes; par exemple, un résident ne pouvait poser le pied sur le trottoir sans que cela soit enregistré quelque part.
Je sortis ma carte sans me presser. Sa couleur bleue indiquait que je venais de la Cité de l’Eau. Je l'exhibai à mon tour tandis que le bras articulé s'approchait en cliquetant pour lire mon code. On allait m’arrêter parce que je me trouvais hors remparts – et la nuit, en plus !
Zenn me jeta un regard méfiant.
– Vi, tu ne vas pas leur donner un nouveau prétexte pour t'embarquer, hein ?
Il s'avança si près que je pouvais sentir la chaleur de son corps. Il était illégal de se toucher, mais il avait dérogé à la loi des dizaines de fois.
Je le rassurai d'un sourire. Il avait toutefois raison de s'inquiéter. Les Verrous n’étaient pas un endroit très accueillant. La puanteur qui y régnait aurait suffi à remettre n’importe quel rebelle dans le droit chemin. Pourtant, j’étais prête à balancer mon badge dans les buissons, là où personne ne pourrait jamais le retrouver.
L'expression de Zenn m’en dissuada. Le pli de sa bouche se durcit. Mon code-barres allait être associé au sien – surpris ensemble dans le parc à la nuit tombée… vous pensez ! J’étais dans de sales draps. Et aggraver mon cas risquait d'entraver la future carrière de Zenn dans les Forces. Pas question d'avoir en plus ce poids sur la conscience.
Je lui lançai un regard en coin par dessous les larges bords de mon chapeau de paille – une autre astreinte à laquelle il fallait se plier. Le scanner de l'aérocoptère bipa et un sifflement strident en jaillit.
– Qu’est-ce que tu as encore fait ? fit Zenn avec un petit rire nerveux.
– Rien du tout. Pas cette fois, je t'assure.
Et de fait, je me tenais à carreau depuis deux mois.
– Pas cette fois ?
– Violet Schoenfeld, ne bougez pas ! claqua la voix électronique. Les Gris exigent une comparution immédiate.
– Les Gris ? Non, sérieusement, Vi, qu’est–ce que tu as fabriqué ?
– Je peux avoir mon cadeau maintenant ?
Tout le monde savait que les Gris était le joli sobriquet désignant les Penseurs. C'étaient eux qui transmettaient les communiqués, classaient les gens par catégories, pensaient à la place du commun des mortels qu'ils jugeaient incapables de réfléchir par eux-mêmes.
Zenn appartiendrait à cette élite après son instruction dans les Forces Spéciales. Depuis que je le connaissais, il avait toujours voulu être un Gris, ce qui ne nous avait pas empêchés de devenir amis. Mon arrestation, en revanche, risquait de mettre notre relation en péril. Les agents des Forces ne s'affichaient pas avec des criminels.
À l’intérieur de l'aérocoptère, le tableau de bord consistait en de grands panneaux couverts de boutons multicolores et d’instruments compliqués. L’habitacle, fermé par une capsule transparente, offrait au pilote un champ de vision panoramique. Sur le ventre de l’engin, également transparent, était fixé un siège métallique d'où le pilote exerçait une surveillance tous azimuts. Ne voyant aucun endroit où m’asseoir, je décidai de rester debout près de la porte.
J'avais la gorge nouée. On aurait dit que j'étais prisonnière dans une bulle suspendue dans le ciel, noir comme du cirage.
Le pilote me passa les menottes.
– Le trajet du retour va durer deux fois plus longtemps, maugréa-t-il. Pour les arrestations, d'ordinaire, on se sert d'un véhicule spécial.
J'esquissai une grimace dans son dos. Comme si je ne le savais pas ! Les véhicules en question étaient presque pires que les Verrous, et bien plus inconfortables que cet aérocoptère minuscule – il y régnait une crasse et une odeur épouvantables.
L'homme eut beaucoup de mal à faire décoller l'engin, lesté par mon
poids, qui se dirigea maladroitement vers les tours érigées à l'extrême Sud de la zone.
– Je prends ma pause dans vingt minutes, il ne me manquait plus que ça ! ronchonna-t-il à mi–voix.
Laisse–moi partir, alors ! songeai–je en regardant Zenn rapetisser jusqu’à devenir un point minuscule. Pourvu que je le revoie un jour !
L'aérocoptère ralentit et le pilote tourna la tête dans ma direction.
– N'essaie pas de jouer au plus fin avec moi, ma petite.
Je n'avais aucune idée de ce qu’il voulait dire. J’agrippai la poignée fixée au–dessus de la portière quand il vira à gauche. Vers les hautes tours.
La frontière Sud n’était accessible qu’aux Loyaux ayant un laissez–passer spécial ou chargés d'une mission importante. Je n’y étais jamais allée, mais ce n’était pas faute d’avoir essayé. D'ailleurs, personne de ma connaissance n'y avait mis les pieds non plus. Les gens de l’Eau ne faisaient pas de vagues.
La panique m'envahissait à mesure que nous approchions. Ma petite escapade pour revoir Zenn n’était peut–être pas une très bonne idée, finalement. Curieuse pensée qui ne me ressemblait pas ! Elle enflait dans ma tête en même temps que me rongeait la culpabilité. Tu n’aurais jamais dû sacrifier ta liberté pour retrouver Zenn.
Cette voix intérieure m'était étrangère. Satanés Penseurs ! Je secouai la tête pour reprendre mes esprits, dans tous les sens du terme. L’été d'avant, c’était Zenn qui avait risqué sa liberté pour moi.
Sous mes pieds, les champs s'alignaient en petits carrés bien nets, bruns, verts ou dorés. Les cultures du Centre étaient destinées à la Ceinture Sud.
Venaient ensuite des bâtiments de deux ou trois étages, semblables aux autres édifices de la zone – briques grises ou ocres, éclairage laser, scanner d’iris à chaque entrée.
Les fenêtres étaient calfeutrées pour empêcher le soleil d'y pénétrer. Ce serait néfaste. De l'avis des Penseu
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