Elia Winters

Cinq ou six couples étaient éparpillés dans la pièce, assis l’un contre l’autre, en pleine conversation. Deux personnes se tenaient près des fenêtres et s’embrassaient avec une intensité qui donna soudainement très chaud à Isabel. Soit Caleb ne l’avait pas remarqué, soit il était suffisamment galant pour faire comme si de rien n’était. Ils s’assirent sur un canapé libre et il inclina son corps dans sa direction pour reprendre la discussion, ses genoux effleurant les siens.

-Tu dois bien t’entendre avec ta famille. (Comme elle acquiesçait, il poursuivit 🙂 C’est bien. Je crois que mes parents et moi gagnerions à ce que je vive loin d’eux. C’est le genre de personne qui sont plus supportables avec un peu de distance.

Isabel ne savait pas vraiment comment répondre et se contenta de hocher la tête d’un air compréhensif. Il fallait qu’elle trouve quelque chose à apporter à la conversation sans quoi elle allait très vite se lasser d’elle-même, sans parler de ce que Caleb penserait d’elle. Il regardait en direction des fenêtres, l’air songeur. Puis il décala la tête et regarda le couple s’enlacer langoureusement.

-Ils pourraient rentrer à leur hôtel, depuis le temps ! ironisa Isabel, juste pour briser le silence.

La situation la mettait mal à l’aise mais pas pour les raisons qu’elle auraient imaginées ; elle avait chaud, elle angoissait et elle était toute excitée alors que leur discussion était probablement le pire tue-l’amour au monde.

Caleb sourit.

-Je ne sais pas. C’est parfois stimulant de s’embrasser en public.

Isabel passa la langue sur ses lèvres, qui s’étaient desséchées. Voilà un signal fort que même elle pouvait reconnaître. Puis un verrou sauta dans son cerveau, ou alors elle perdit momentanément la raison, ou bien encore quelque chose se produisit en elle qu’elle serait bien incapable d’expliquer, et elle se retrouva à avancer vers Caleb sans penser aux conséquences. Mais si étonnant que fût son geste, il la surprit encore plus en comblant la distance entre eux et en l’embrassant le premier.

Une lueur prédatrice dans ses yeux la fit profondément frissonner, comme un instinct préhistorique qui lui donnait envie de se soumettre et de succomber. Cette réaction animale l’effraya, c’était bien au-delà de ce à quoi elle s’attendait pour une seconde fois. Elle aurait dû se retrouver en terrain conquis, dans une répétition de ce qu’elle avait appris ces deux derniers jours, une synthèse agréable mais sans surprise. Rien de ce qu’elle ressentait en cet instant ne lui était familier ; au contraire, c’était étranger, dangereux et irrésistible dans le meilleur des sens. Et elle en voulait davantage.

La première réaction d’Isabel fut la joie de constater qu’il voulait également l’embrasser, puis il se pencha sur le côté, sa bouche ouvrit délicatement ses lèvres et réfléchir devint subitement beaucoup plus difficile.
Elle n’avait pas été embrassée depuis très longtemps – plus longtemps qu’elle n’aurait osé l’avouer – mais les sensations revinrent immédiatement tandis qu’il parcourait ses lèvres de la pointe de sa langue. Le corps tout entier électrisé, elle effleura sa langue avec la sienne, en jouant avec la sensation, stupéfaite par la montée de plaisir qui l’envahissait

Objectivement, il n’avait aucune raison de ne pas coucher avec elle. Elle en avait envie, ils étaient tous les deux majeurs et aucun des deux n’était sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants. Il n’avait aucune certitude qu’elle travaillait pour PI Games et, quand bien même, il ne serait sans doute pas recruté par le studio. La possibilité qu’ils deviennent collègues était plus que ténue. Il se pouvait même qu’elle ne se pointe pas dans sa chambre tout à l’heure, et tous ses soucis auraient été vains.

Les coups d’un soir, ce n’était pas vraiment pour elle. Elle était plus du genre relations sérieuses, même si ses relations ne duraient jamais longtemps. Elle se choisissait des types sûrs, des hommes que sa mère apprécierait – des types finalement trop ennuyeux pour lui offrir le défi qu’elle recherchait. Peut-être qu’elle devrait laisser tomber tout ça et coucher avec un inconnu, s’abandonner complètement durant quelques jours et voir où cela la mènerait.

Ce simple toucher suffit à la faire chavirer. C’était trop bon pour être vrai, et elle sentait qu’elle était déjà toute mouillée. Le bout des doigts de Caleb passa juste sous ses seins, puis au milieu, sur le dessus, avant de repasser sur les côtés et de descendre le long de son ventre. Il n’allait pas la toucher comme elle le désirait tant qu’elle ne le lui demanderait pas. Cela avait beau être gênant, c’était incroyablement excitant.

En général, les plaisanteries sexuelles ne la dérangeaient pas, du moment qu’elles ne la concernaient pas personnellement. Mais elle avait appris à la dure qu’être une femme dans un environnement essentiellement masculin impliquait d’être un modèle de dignité. Elle avait donc tendance à se fermer et se faire discrète aussitôt que les inévitables blagues lourdes fusaient entre collègues. Il était plus facile d’être perçue comme asexuée.

Elle se sentit trembler de la tête aux pieds, mais plus d’excitation que d’angoisse. Le plus intelligent était de dire non. Elle ne connaissait même pas ce type et elle ne le reverrait plus jamais après ce week-end. Elle n’était pas du genre à coucher le premier soir.

On a des besoins, nous, les mecs, et je ne bosserai pas une minute de plus que nécessaire. La vraie besogne, ce sera une jolie petite Bostonienne, conclut-il en faisant un geste obscène du plat de la main sur son entrejambe.

Tout le monde était doué pour quelque chose. Mais tout le monde n’était pas nécessairement fait pour les relations amoureuses.