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Citation de Dorian_Brumerive


Entre les coques blanches et effilées des baIeinières, le petit canot vert pomme s'insinua. Hiên ramait et l'Aïeul tenait la barre. Ils contournèrent l'appontement, évitèrent un lourd ponton ancré dans le sable et gagnèrent le large. Ils longèrent les jonques assemblées au milieu de la baie; les pêcheurs assis en rond sur les roufs couleur de rouille leur souhaitèrent en riant une heureuse traversée; ils passèrent... La houle les prit et les balança sans violence.
L'Aïeul demanda subitement :
- Aimes-tu toujours Maÿ, petit frère ?
Hiên faillit, ainsi interpellé, lâcher ses rames pour assurer son turban et bredouilla confusément :
- Si j'aime Maÿ ?... Si j'aime Maÿ ?...
- Ne te trouble pas, je ne me moque pas. Réponds à ma question : aimes-tu toujours Maÿ ?
- Je l'aime toujours.
- Autant qu'au premier jour ?
- Davantage, Aïeul à deux galons !
- Sens-tu qu'il te serait impossible de renoncer à elle ?
- Comment pourrais-je l'oublier ? Je ne puis passer un seul jour sans l'avoir vue; il faut que je la voie, que je l'entende parler. Elle est dans mes yeux, dans mes oreilles, dans mon cœur, dans toute ma chair. Comment pourrais-je l'arracher de moi ?
- Tu l'aimes à ce point ?
- Au point que tout ce qui me vient d'elle me semble doux, que, faute d'obtenir son sourire, je mendie ses rebuffades. Je suis comme le chien qui sait qu'il va recevoir un coup de trique, mais qui rampe tout de même vers son maître pour lui lécher les mains.
- Je connais ton mal; j'en ai souffert autrefois. J'ai guéri. Tu peux guérir encore.
- Quel est le remède, Aïeul ?
- Renonce à Maÿ. Elle n'est pas faite pour toi. Tu es simple, elle est compliquée; tu es franc et honnête, elle est perverse et fausse. Tu es pauvre : elle raffole des bijoux, des belles tuniques, des piastres neuves, toutes choses que tu ne pourras lui donner... Il te restait une chance de bonheur : elle admirait ta force. Elle a perdu la tête, un instant, en ton honneur: tu as été assez niais pour te dérober... Elle ne te pardonnera pas de l'avoir respectée; tu as perdu à ses yeux ton prestige de solide gaillard pour n'être plus définitivement qu'un nigaud maladroit. Tu as passé à côté du bonheur,
ne t'acharne pas à courir après. Il y a d'autres filles que Maÿ.
- Aïeul ! Aïeul ! Quelle fille est pareille à Maÿ ?
- Je connais cette antienne, je l'ai chantée. Et je ne la chante plus. Tu sauras que les femmes sont toutes pareilles les unes aux autres; elles se valent toutes. Celles qui paraissent meilleures, il ne leur a manqué, à celles-là, que l'occasion de faillir... Du moins, si tu dois te marier, faut-il t'arranger pour mettre le plus possible d'atouts dans ton jeu : choisis une bonne grosse fille qui ne soit pas détraquée ni vicieuse.
- Je ne pourrai pas, je ne pourrai pas oublier Maÿ, gémit lamentablement le pauvre Maboul.
- Tu l'oublieras, petit frère... Tu souffriras, parbleu ! Tu passeras des nuits blanches; il t'arrivera d'errer anxieusement autour de la case de la bien-aimée; tu n'auras plus de cœur à rien. Puis, un beau matin, tu laisseras pour toujours sur ton lit de camp ton cauchemar mauvais; tu jugeras que ton idole est une ridicule pimbêche ; tu brûleras gaiement ce que tu avais adoré. Tu seras grand, fort et joyeux, parce que connaissant les femmes et les méprisant. Tu seras heureux !
- Maÿ seule pourrait me donner le bonheur !
- Il ne peut venir des femmes que deuil et malheur. Oublie Маӱ.
- Je ne peux pas, je ne peux pas l'oublier !
- Alors oublie tout ce que je t'ai dit. Du moment que tu tiens absolument à épouser cette petite fille et que tous mes arguments ne peuvent prévaloir contre ton amour, épouse-la. Je peux me tromper, du reste, et je le voudrais. Je ne demande pas mieux que de te voir marié, père de nombreux enfants, choyé par ta compagne, heureux enfin. Je ne veux qu'une chose : ton bon- heur; et puisque, d'après toi, il réside uniquement dans ton mariage avec Maÿ, je ferai venir, ce soir, le sergent Cang et je renouvellerai ma démarche...
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