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Citation de Dorian_Brumerive


- Guéris-moi, vieille mère ! gémit Hiên le Maboul.
- Guéris-le, répéta l'Aïeul. Il t'a dit son mal : son âme et son corps souffrent.
Thi-Teu souffla sur la mèche du quinquet : la flamme dansa; les dorures des bouddhas enfumés s'avivèrent; dans le visage osseux et desséché de la vieille femme, les yeux s'illuminèrent entre les paupières plissées. Les mains déformées se joignirent sur la poitrine drapée d'étoffe blanche, les lèvres incolores murmurèrent des invocations incompréhensibles. Au dehors, la nuit se peuplait de lucioles errantes qui chatoyaient entre les fûts vagues des cocotiers.
La guérisseuse parla :
- Aïeul à deux galons, je ne puis oublier que tu as fait rebâtir ma case détruite par l'incendie, que tu m'as protégée contre les bandits qui m'accusaient de sorcellerie et voulaient me bannir du village. Je ne puis oublier que je t'ai veillé aux heures de fièvre et que tu m'as permis de t'aimer comme un fils. Je soignerai ton serviteur comme je t'ai soigné. Les mauvais esprits sont en lui : je vais essayer de les chasser.
Devant la table haute et étroite où se dressaient, parmi les chandeliers de bois et les fleurs de lotus, le panneau sacré de teck incrusté, Hiên le Maboul s'agenouilla et se prosterna, les coudes et le front contre terre, les mains réunies en coupe sur la nuque; trois fois il se prosterna, puis s'immobilisa dans la poussière. Les baguettes d'encens fumaient, le bronze tintait sous les coups répétés du marteau de bois, les lèvres pâles de Thi-Teu prononçaient avec volubilité des formules d'incantation. L'Aïeul pensif s'éloignait entre les cocotiers. Les baguettes d'encens s'éteignirent, la mélopée s'acheva. Hiên soupira, se leva :
- Tes prières sont inutiles, vieille mère, le mal ne m'a point quitté.
- Je ne puis rien faire de plus; ma science est impuissante. Je puis chasser la fièvre du front ardent, rendre la souplesse aux membres engourdis par les rhumatismes, je connais les herbes qui cicatrisent les plaies, je connais les paroles qui rendent le calme aux ensorcelés; mais comment pourrais-je donner le bonheur aux affligés ? Est-il en mon pouvoir de rendre sa richesse à l'homme ruiné ? À l'amoureux le cœur que la femme lui a volé ? Sache que la douleur est inévitable et universelle. Tu as vécu, sans doute, dans l'ignorance de la vie, sans entendre le cri de l'humanité misérable. Tu n'es pas heureux, dis-tu ? Va-t'en et dénombre sur ton chemin les cœurs satisfaits et tranquilles, les gens heureux !... Ton maître n'est pas heureux : l'idée de la vieillesse qui vient à lui lentement trouble sa contemplation silencieuse des hommes et des choses. Suis-je heureuse, moi qui végète, seule et pauvre, dans cette cabane, moi qui ai soulagé tant d'infortunes et qui suis impuissante à me guérir moi-même de l'épouvante de la mort proche ?... Les bêtes ignorantes ont le bonheur; tu étais pareil à elles; tu as voulu vivre comme les autres hommes : vis donc comme eux et ne t'étonne pas de souffrir comme eux. Je ne puis rien pour toi.
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