Emile de Girardin

Ainsi que la paix, l'ordre est un fait, il n'est pas une idée.
L'ordre règne, il ne gouverne pas. La moitié de la tâche seule est remplie. L'ordre matériel a vaincu l'émeute dans les rues ; mais l'ordre moral n'a pas dissipé l'anarchie dans les esprits.
(...)
Au sein d'une société démocratique nouvelle, comme aux Etats-Unis, où les populations manquent au sol pus que le sol ne manque aux populations, l'ordre n'est pas difficile à instituer ; est propriétaire à peu près qui veut aller défricher. Mais, au sein d'une vieille société révolutionnée qui, de monarchique qu'elle était, tend à devenir démocratique, où la loi et l'autorité religieuse se sont affaiblies, où la propriété est le partage du petit nombre envié par le grand, où s'élève cette double difficulté : un territoire étroitement limité par des traités que la guerre seule pourrait rompre ; une population dont l'accroissement annuel est plutôt stimulé que contenu par la misère ; au sein d'une telle société, l'ordre à la fois moral et matériel est moins facile à constituer ; mais est-il impossible ? Il ne doit pas l'être, car s'il n'existait pas des moyens de l'établir, il faudrait douter du génie de l'Homme, et comment douter du génie de l'homme, après toutes les conquêtes qui lui sont dues, après tous les miracles que nous lui voyons accomplir ! Tout le parti qu'on pourrait tirer d'une administration où l'émulation jouerait le rôle que jouerait la concurrence dans l'industrie, on semble l'ignore encore.

Un drapeau qu'on cache dans sa poche, ce n'est pas un drapeau, c'est un mouchoir.