En mars 1976, j’ai commencé une série de poèmes dont la langue, à l’inverse de toute poésie traditionnelle, se situe en dessous du niveau de langue courant. C’est la langue de gens qui sont contraints de parler allemand sans l’avoir jamais appris de façon systématique. Souvent on parle à ce propos d’allemand de travailleurs immigrés. Mais moi, dans la perspective poétique, je nomme cette langue langue délabrée.
Ernst Jandl
La poésie de Jandl est effectivement une poésie décevante pour qui attend du poème sophistication formelle, profondeur méditative et lyrisme exalté. Souvent simplifiée à l’extrême, elle est parfois ostensiblement dérisoire. Elle propose la plupart du temps des scènes de genre ou de brefs monologues. Le ton est sarcastique et goguenard, l’ambiance volontiers sordide. Philosophiquement, ces textes affichent un anti-humanisme décidé. Formellement, ils jouent de ce qui peut verbalement atterrer la figure humaine : platitudes triviales, défauts de prononciation, raccourcis de syntaxe, lapsus concertés. Ils traitent d’obsessions basiques (la guerre, la maladie, la mort, les parents, les animaux...) et stylisent sommairement les résidus d’un monde pauvre et blessé.
Christian Prigent
La porte s'ouvre, le quatrième entre, reste moi.
JARDIN BOTANIQUE, VIENNE
qu’ils devraient cesser leurs rencontres non
même pas dans le jardin botanique
car cela pourrait lui nuire d’être vu
avec lui où que ce soit
étant donné la situation
ils s’étaient liés d’amitié à la banque
où l’un travaillait toujours
y resterait sa vie entière
pour sa femme et pour ses enfant et pour lui
bien qu’il aimât surtout les couleurs, non les nombres
il sentait que quelque chose s’était passé
qui faisait de son ami une sorte de sauveur
celui qui sans bruit avait été renvoyé de la banque
qui pâlissait dans le jardin botanique
celui qu’il fallait oublier.
//lechts und rinks, (Gedichte, Statements, Peppermints), Luchterhand Literaturverlag, 1995
//Traduction Lucie Taïeb
DILECTION
certains disent
la dauche et la groite
on ne peut pas
les donfoncre
querre elleul !
//lechts und rinks, (Gedichte, Statements, Peppermints), Luchterhand Literaturverlag, 1995
//Traduction Lucie Taïeb
DEUX SORTES DE SIGNES
je fais le signe de croix
devant chaque église
je fais le signe de quetsche
devant chaque verger
comment je fais le premier
tout catholique le sait
comme je fais le second
moi seul
//lechts und rinks, (Gedichte, Statements, Peppermints), Luchterhand Literaturverlag, 1995
//Traduction Lucie Taïeb