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Citation de Cielvariable


Chaque fois que je me remets à noircir la première page d'un de ces minces carnets que l'on range si facilement dans son porte-cartes, je me demande si mon crayon glissera encore sur la dernière. J'en ai déjà toute une série à la maison, remplis de récits des événements du jour, de brefs commentaires et de croquis faits à la hâte, et j'imagine qu'il sera doux de les feuilleter plus tard en toute tranquillité dans une époque de paix, et de pouvoir réveiller mes souvenirs : «C'est ainsi que tu passais tes journées en ces années étranges.»
Parfois le texte est rédigé à l'encre, d'une écriture posée et soigneuse, si bien que je sais tout de suite : «À ce moment-là, tu étais confortablement assis dans l'une de ces petites maisons paysannes des Flandres ou du nord de la France, ou bien devant un abri dans une position très tranquille, fumant ta pipe et dérangé tout au plus par le bourdonnement lointain du dernier avion effectuant sa ronde vespérale.» Puis viennent des inscriptions au crayon, maladroites et déformées, griffonnées juste avant l'assaut dans la promiscuité de quelque trou d'enfer, étroit et bourré d'hommes, ou bien à la lumière vacillante d'une bougie pendant les heures interminables d'un intense bombardement. Et enfin des phrases d'abréviations survoltées, illisibles comme les graphiques hachés de l'aiguille qui enregistre un tremblement de terre, terminées en longs traits sous le fouet d'une main hâtive - elles furent jetées sur le papier après l'assaut, au fond d'un entonnoir ou d'un bout de tranchée que survolaient encore, essaim de frelons mortels, les gerbes de projectiles cherchant leur cible.
Certes, il doit être doux, dans l'une de ces heures tranquilles que l'on a désormais du mal à imaginer aujourd'hui, de feuilleter de tels souvenirs, préoccupé tout au plus par le souci de savoir comment passer ensuite la soirée. Rien que pour cela, j'aimerais rester en vie. À la maison, on nous tient souvent pour des hommes si courageux qu'ils estiment que leur vie ne vaut pas un centime; mais j'ai vécu suffisamment longtemps au milieu des guerriers pour savoir qu'il n'existe pas d'homme sans peur. Sans la peur, le courage serait d'ailleurs dépourvu de sens ; c'est l'ombre obscure devant laquelle le risque prend des couleurs plus vives et plus attirantes.
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