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Julien Hervier (Traducteur)
EAN : 9782267019582
207 pages
Christian Bourgois Editeur (17/01/2008)
3.83/5   12 notes
Résumé :

Le Boqueteau 125, texte de 1925, complète, en l'approfondissant, un chapitre d'Orages d'acier qu'André Gide considérait comme le plus beau livre de guerre qu'il ait jamais lu. Jusqu'en 2000, il n'existait en France qu'une traduction ancienne (1932). La traduction présente, conforme à l'édition définitive voulue par Ernst Jünger, témoigne une fois encore de l'exceptionnelle capacité de ce grand écrivai... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Avant de développer ma critique, cette citation de Julien Hervier:

"Si l'on voulait conclure sur Jünger, il faudrait avant tout éviter la facilité qui tend à accorder autant d'importance, sinon plus, à sa légende d'homme d'action, engagé dans la guerre, la politique et l'aventure, qu'aux milliers de pages de son oeuvre d'écrivain."

Ce court récit développe un chapitre d' Orages d'acier considéré par Gide comme le meilleur livre de guerre jamais écrit. On doit au germaniste Julien Hervier cette traduction récente (2000)(1) conforme à la dernière édition voulue par Ernst Jünger. Rappelons que ce dernier faisait partie des sturmtruppen de l'armée impériale allemande pendant la première guerre mondiale et qu'il a participé à la seconde comme officier, tout en se démarquant politiquement du pouvoir nazi.

Dès les premières lignes, Jünger feuillette tranquillement a posteriori ses carnets de notes du front de la grande guerre. Il y a les notes posées et soignées écrites dans une confortable maison des Flandres, les griffonnages maladroits et déformés pris sous un intense bombardement et encore les phrases survoltées et illisibles saisies après l'assaut au fond d'un entonnoir ou d'un bout de tranchée. de tout cela l'auteur tire un récit réfléchi, aseptisé, trop peut-être en regard de la barbarie qu'il couvre. Les horreurs, le bruit et la fureur ne sont pas éludés certes mais, et ceci est très personnel et n'enlève certainement rien à la beauté du texte, j'ai parfois éprouvé un hiatus ténu, subtil, mais gênant, entre des mots voulus élégants et la réalité qu'on sait.

L'auteur affiche distinctement son inclination militaire: "... jamais je n'avais vécu avec autant d'insouciance qu'en campagne. Tous est clair et simple, mes droits et mes devoirs sont réglementés,... j'ai mille compagnons d'infortune et surtout, à l'ombre de la mort, toutes les questions se résolvent dans une agréable insignifiance. (...). L'entourage est viril et sans ménagements, il s'agit de risquer le suprême enjeu ; on se rend compte que l'on a de la moelle dans les os et du sang dans les veines." Les soldats enrôlés n'ont pas tous manifesté un avis aussi accommodant.

On se bat pour des idées : "... dans ce combat où l'on se dispute un atroce champ de ruines surlequel s'affrontent deux images du monde,...." Et les grandes idées sont les plus abstraites : "Ô parcelle de France ensoleillée où nous ont jetés des forces plus puissantes que nous, ne crois pas que nous gardions un coeur impassible au sein de ces devastations. (...). Tu ne seras pas épargnée, car rien ne peut être épargné quand la vie des peuples est en jeu." Et puis l'histoire commande : "Il semble merveilleux que l'histoire puisse advenir quand on connaît la résistance que l'homme oppose à son appel." On sait hélas qu'aucun ordre nouveau (sic) espéré à l'époque n'est né du long gâchis.

Ces réserves énoncées, il faut convenir qu'il s'agit d'une magnifique narration de guerre, empreinte du souci d'exactitude et de la note lyrique d'un romancier d'exception. Pour preuve la belle description du pays du front que je vous invite à découvrir dans la rubrique "Pages marquées" de mon blog.

Le boqueteau représente un endroit stratégique à tenir ou à gagner. Dérisoire, limité, il symbolise la guerre de position et d'usure des tranchées: on déclenche l'enfer pour des arpents gagnés au prix d'énormes efforts et dégâts humains. Jünger fait merveille pour relater les actions qui conduisent au contrôle du petit bois. On mesure l'intensité dramatique de ces affrontements où le corps à corps est toujours de mise: "...l'instant où, sortant de son embuscade, on se trouve face à face avec un homme à courte distance. Tous les sens sont alors saisis d'un frisson qu'on ne peut comparer avec aucun autre sentiment. .... : à un stade où une troupe est encore capable de continuer longtemps à se battre avce l'aide de la machine, elle peut n'être déjà plus en mesure d'affronter le choc d'homme à homme."

Lors de ce conflit, les méthodes de guerre on grandement changé à la suite des progrès techniques et de l'industrialisation. La puissance de feu est devenue telle qu'elle modifie radicalement l'art de la guerre: "Le feu a pour caractéristique d'être infiniment plus favorable à la défensive qu'à l'offensive." Jünger analyse ces évolutions dans le dernier chapitre Feu et mouvement qui témoigne du pouvoir de réflexion et de synthèse de l'auteur allemand.

Les Falaises de Marbre avaient été une révélation: j'attendais donc beaucoup de ce livre-ci mais malgré un texte parfait, je ne me suis pas senti dedans. Sans comparaison sur le plan purement littéraire, j'avais beaucoup apprécié À l'ouest rien de nouveau de E.R. Remarque et j'espérais inconsciemment retrouver celui-ci dans le combat pour le boqueteau. Mais c'était oublier la vision radicalement différente de la guerre que proposent les deux livres.

(1) L'ancienne remonte à 1932
Lien : http://marque-pages.over-blo..
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Chaque fois que je me remets à noircir la première page d'un de ces minces carnets que l'on range si facilement dans son porte-cartes, je me demande si mon crayon glissera encore sur la dernière. J'en ai déjà toute une série à la maison, remplis de récits des événements du jour, de brefs commentaires et de croquis faits à la hâte, et j'imagine qu'il sera doux de les feuilleter plus tard en toute tranquillité dans une époque de paix, et de pouvoir réveiller mes souvenirs : «C'est ainsi que tu passais tes journées en ces années étranges.»
Parfois le texte est rédigé à l'encre, d'une écriture posée et soigneuse, si bien que je sais tout de suite : «À ce moment-là, tu étais confortablement assis dans l'une de ces petites maisons paysannes des Flandres ou du nord de la France, ou bien devant un abri dans une position très tranquille, fumant ta pipe et dérangé tout au plus par le bourdonnement lointain du dernier avion effectuant sa ronde vespérale.» Puis viennent des inscriptions au crayon, maladroites et déformées, griffonnées juste avant l'assaut dans la promiscuité de quelque trou d'enfer, étroit et bourré d'hommes, ou bien à la lumière vacillante d'une bougie pendant les heures interminables d'un intense bombardement. Et enfin des phrases d'abréviations survoltées, illisibles comme les graphiques hachés de l'aiguille qui enregistre un tremblement de terre, terminées en longs traits sous le fouet d'une main hâtive - elles furent jetées sur le papier après l'assaut, au fond d'un entonnoir ou d'un bout de tranchée que survolaient encore, essaim de frelons mortels, les gerbes de projectiles cherchant leur cible.
Certes, il doit être doux, dans l'une de ces heures tranquilles que l'on a désormais du mal à imaginer aujourd'hui, de feuilleter de tels souvenirs, préoccupé tout au plus par le souci de savoir comment passer ensuite la soirée. Rien que pour cela, j'aimerais rester en vie. À la maison, on nous tient souvent pour des hommes si courageux qu'ils estiment que leur vie ne vaut pas un centime; mais j'ai vécu suffisamment longtemps au milieu des guerriers pour savoir qu'il n'existe pas d'homme sans peur. Sans la peur, le courage serait d'ailleurs dépourvu de sens ; c'est l'ombre obscure devant laquelle le risque prend des couleurs plus vives et plus attirantes.
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Aucun signe de vie, aussi loin que porte le regard, et même la mort semble être allée dormir; à peine si un coup de feu rompt sur le front le silence de midi. Aucun son ni mouvement ne révèle que des régiments entiers se dissimulent ici. Une paix profonde semble régner, seule la nature dialogue avec elle-même.

Et cependant l'œil ne peut rester aveugle à la discorde qui déchire ce pays si bien fait pour qu'on y sème et qu'on y récolte. Il doit être coupé par la frontière entre l'Artois et la Picardie, ces deux antiques et riches comtés dont la population allie dans son tempérament la vivacité gauloise et le sérieux flamand. C'est un vieux terroir à la fertilité facile et généreuse, une vaste plaine riante, animée parfois de molles ondulations, riche en eau et couverte d'un habitat très dense. Les parcs des innombrables manoirs, encore environnés d'un souffle d'Ancien Régime1 bien que depuis longtemps, peut-être, un industriel ou un banquier parisien vienne y passer l'été, ont sauvegardé en partie le style de gravité aimable propre aux jardins de Le Nôtre; les nombreuses petites églises sur lesquelles, depuis son évêché de Cambrai, Fénélon étendait sa tutelle bienveillante sont encore combles le dimanche, et les villes provinciales où couve une vie morne et confortable présentent encore ce même extérieur endormi sous la surface duquel les Balzac et Stendhal découvraient des passions aussi ardentes et des intrigues aussi tortueuses que partout dans le monde.

Mais aujourd'hui, tout cela s'est estompé comme un pastel éphémère et un burin d'acier a marqué ce pays, d'ici jusqu'en bas des Flandres et jusqu'en haut des Vosges. Des bastions se sont répandus sur ses champs et dans les vilages en ruine ont pris position de puissants canons. Sur ces campagnes où devraient maintenant mûrir de lourds épis jaune d'or s'est plaqué un masque dont l'aspect fait trembler le contemplateur solitaire. Même si quelqu'un ignorait tout ce qui s'est passé et qu'il fût soudain transporté ici, son sentiment décèlerait à coup sûr l'esprit d'anéantissement dont les traits sont gravés dans le sol et dont la froideur glaciale transit de son rayonnement noir, même la scintillante lumière du soleil.
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C’est ainsi, que, de tous côtés, je vois la plante reprendre possession du sol abandonné ; elle pend en festons par-dessus les bords des entonnoirs ; camomille, gueule de loup, groseilliers se sont réfugiés sur les crêtes des murailles, l’ortie a pris d’assaut les tas de décombres et un matelas de mousse recouvre les dalles de pierre des sentiers. Et je me dis que si cette rage de croissance et de vie devenait perceptible à nos oreilles, j’entendrais, du sein de ce jardin solitaire et silencieux, s’élever un hurlement tel qu’aucun fracas de bataille humaine ne pourrait le dominer.

Mais, ayant passé par un trou d’obus ouvert dans un mur, je me trouve subitement dans un monde tout différent ; un cimetière sur lequel s’est abattue la destruction comme un jugement dernier. Au musée de Dresde se trouve un Ruysdael célèbre : « Le cimetière juif », que j’ai longuement et souvent contemplé et j’ai toujours pensé que le maître avait eu conscience, en le peignant, du contraste qui existe entre le sens profond de la mort et l’importance que l’homme y attache. La nature y semble secouée par une colère sourde à la vue des mausolées par lesquels l’homme voudrait éterniser sa personnalité.
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En de tels moments, les hommes se blottissent étroitement serrés les uns contre les autres, dans les galeries de l'abri qui ont déjà trop souvent été touchées et qu'il a fallu ensuite dégager à la hache et à la bêche. Seules les sentinelles avancées restent encore tapies dans leurs entonnoirs, mais aucun cri n'en parvient à travers le vacarme, personne ne sait si elles sont encore vivantes ou si elles sont déjà vidées de leur sang. 
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La solitude des jardins qui s'étendaient comme ensorcelés sous la chaleur offrait un aspect plus aimable. Lorsque les résidences humaines sont dévastées, l'épouvante vient bientôt s'y nicher, il en émane comme une haleine de tombeaux grands ouverts. Et le voyageur qui passe devant elles ressent l'obscure impression qu'on a détruit là un bonheur qui ne refleurira jamais. 
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Vidéo de Ernst Jünger
À travers les différents ouvrages que l'auteur a écrit pendant et après ses voyages à travers le monde, la poésie a pris une place importante. Mais pas que ! Sylvain Tesson est venu sur le plateau de la grande librairie avec les livres ont fait de lui l'écrivain qu'il est aujourd'hui, au-delàs de ses voyages. "Ce sont les livres que je consulte tout le temps. Je les lis, je les relis et je les annote" raconte-il à François Busnel. Parmi eux, "Entretiens" de Julien Gracq, un professeur de géographie, "Sur les falaises de marbres" d'Ernst Jünger ou encore, "La Ferme africaine" de Karen Blixen. 
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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