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Citation de Cielvariable


Que servait de répandre sur les plus proches du sable et de la chaux, de jeter sur eux une toile de tente pour échapper au spectacle constant des visages noirs et enflés. Il y en avait trop ; partout la bêche heurtait de la chair ensevelie. Tous les mystères du tombeau s’étalaient dans une hideur à faire pâlir les rêves les plus fous. Les cheveux tombaient des crânes par touffes, comme le feuillage pâli des arbres à l’automne. Plus d’un se défaisait en verdâtre gelée de poisson qui luisait dans les nuits sous les lambeaux des uniformes. Quand on marchait sur eux, le pied laissait des traces phosphorescentes. D’autres se desséchaient en momies calcifiées qui se desquamaient lambeau par lambeau. Chez d’autres encore, les chairs coulaient des os en gélatine brun rougeâtre. Dans les nuits lourdes, des cadavres boursouflés s’éveillaient à une vie de fantôme lorsque les gaz comprimés s’échappaient des blessures à grands sifflets et gargouillis. Mais le plus terrifiant était le grouillement frénétique où se dissolvaient les corps qui ne se composaient plus que de vers innombrables.
À quoi bon ménager vos nerfs ? Ne sommes-nous pas restés une fois, quatre jours de suite, dans un chemin creux entre des cadavres ? N’étions-nous pas tous, morts et vivants, recouverts d’un épais tapis de grandes mouches bleu sombre ? Peut-on encore aller plus loin ? Oui : plus d’un gisait là avec qui nous avions partagé mainte veille nocturne, mainte bouteille de vin, maint quignon de pain. Qui peut parler de la guerre, qui n’a point été dans nos rangs ?
Lorsque après de telles journées le soldat du front traversait les villes de l’arrière, en colonnes grises et muettes, voûté, dépenaillé, sa vue parvenait à figer sur place l’insouciant train-train des écervelés de ces lieux. “On les a sortis des cercueils”, chuchotaient-ils à l’oreille de leur bonne amie, et tous ceux qu’effleuraient le vide des yeux morts se mettaient à trembler. Ces hommes étaient saturés d’horreur, ils eussent été perdus sans l’ivresse. Qui peut mesurer cela ? Un poète seul, un poète maudit dans le voluptueux enfer de ses rêves.
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