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François Poncet (Traducteur)André Glucksmann (Préfacier, etc.)
EAN : 9782267019575
163 pages
Christian Bourgois Editeur (17/01/2008)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
"Ce manifeste est un texte fou mais nullement le texte d'un fou. Une histoire pleine de bruit, de fureur et de sang, la nôtre, est anticipée sans qu'il convienne d'en tenir responsables ces quelques pages ivres et hagardes, possédées par une Mauvaise Nouvelle qu'elles tentent fiévreusement d'énoncer comme Bonne. Comment, demanderez-vous, lecteurs d'aujourd'hui, ne pas s'inquiéter après coup de l'éloge du brise-tout pour qui "vivre égale mourir" ? Comment ne pas frém... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un essai pour le moins original sur la guerre... Assez fascinant, quasiment le livre d'un fou mais essentiel, pour moi, à la compréhension du bouleversement radical dans l'histoire contemporaine que fut la Grande Guerre. Ce livre fut écrit dans la période « militante » d'Ernst Jünger, alors figure intellectuelle de ce qu'on appellera plus tard la révolution conservatrice. On ne peut qu'apprécier l'évolution ultérieur de cet écrivain, abandonnant ses positions nationaliste-révolutionnaires pour un individualisme paisible et tourné vers la vie intérieure, résolument hostile à L'Etat-Léviathan.
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Citations et extraits (44) Voir plus Ajouter une citation
La guerre est la plus forte rencontre des peuples. Alors que commerce et circulation, compétitions et congrès ne font se joindre que les pointes avancées, la guerre engage l'équipe au complet, avec un objectif seul et unique : l'ennemi. Quels que soient les problèmes et les idées qui agitent le monde, toujours leur sort se décida par la confrontation dans le sang. Certes toute liberté, toute grandeur et toute culture sont issues du silence de l'idée, mais seules les guerres ont pu les maintenir, les propager ou les perdre. La guerre seule a fait des grandes religions l'apanage de la terre entière, a fait surgir au jour, depuis leurs racines obscures, les races les plus capables, a fait d'innombrables esclaves des hommes libres. La guerre n'est pas instituée par l'homme, pas plus que l'instinct sexuel ; elle est loi de nature, c'est pourquoi nous ne pourrons jamais nous soustraire à son empire. Nous ne saurions la nier, sous peine d'être engloutis par elle.

Notre époque montre une forte tendance au pacifisme. Ce courant émane de deux sources, l'idéalisme et la peur du sang. L'un refuse la guerre par amour des hommes, et l'autre parce qu'il a peur.

Le premier est de la trempe des martyrs. C'est un soldat de l'idée ; il est courageux : on ne peut lui refuser l'estime. Pour lui, l'humanité vaut plus que la nation. Il croit que les peuples, dans leur furie, ne font que frapper l'ennemi de plaies sanglantes. Et que lorsque les armes ferraillent, on cesse d'oeuvrer à la tour que nous voulons pousser jusqu'au ciel. Alors il s'arc-boute entre les vagues sanglantes et se fait fracasser par elles.

Pour l'autre, sa personne est le bien le plus sacré ; par conséquent il fuit le combat, ou le redoute. C'est le pacifiste qui fréquente les matchs de boxe. il s'entend revêtir sa faiblesse de mille manteaux chatoyants - celui du martyr de préférence -, et bon nombre d'entre eux ne sont que trop séduisants. Si l'esprit d'un peuple entier pousse dans ce sens, c'est le tocsin de la ruine prochaine. Une civilisation peut être aussi supérieure qu'elle veut - si le nerf viril se détend, ce n'est plus qu'un colosse aux pieds d'argile. Plus imposant l'édifice, plus effroyable sera le chute.
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Que servait de répandre sur les plus proches du sable et de la chaux, de jeter sur eux une toile de tente pour échapper au spectacle constant des visages noirs et enflés. Il y en avait trop ; partout la bêche heurtait de la chair ensevelie. Tous les mystères du tombeau s’étalaient dans une hideur à faire pâlir les rêves les plus fous. Les cheveux tombaient des crânes par touffes, comme le feuillage pâli des arbres à l’automne. Plus d’un se défaisait en verdâtre gelée de poisson qui luisait dans les nuits sous les lambeaux des uniformes. Quand on marchait sur eux, le pied laissait des traces phosphorescentes. D’autres se desséchaient en momies calcifiées qui se desquamaient lambeau par lambeau. Chez d’autres encore, les chairs coulaient des os en gélatine brun rougeâtre. Dans les nuits lourdes, des cadavres boursouflés s’éveillaient à une vie de fantôme lorsque les gaz comprimés s’échappaient des blessures à grands sifflets et gargouillis. Mais le plus terrifiant était le grouillement frénétique où se dissolvaient les corps qui ne se composaient plus que de vers innombrables.
À quoi bon ménager vos nerfs ? Ne sommes-nous pas restés une fois, quatre jours de suite, dans un chemin creux entre des cadavres ? N’étions-nous pas tous, morts et vivants, recouverts d’un épais tapis de grandes mouches bleu sombre ? Peut-on encore aller plus loin ? Oui : plus d’un gisait là avec qui nous avions partagé mainte veille nocturne, mainte bouteille de vin, maint quignon de pain. Qui peut parler de la guerre, qui n’a point été dans nos rangs ?
Lorsque après de telles journées le soldat du front traversait les villes de l’arrière, en colonnes grises et muettes, voûté, dépenaillé, sa vue parvenait à figer sur place l’insouciant train-train des écervelés de ces lieux. “On les a sortis des cercueils”, chuchotaient-ils à l’oreille de leur bonne amie, et tous ceux qu’effleuraient le vide des yeux morts se mettaient à trembler. Ces hommes étaient saturés d’horreur, ils eussent été perdus sans l’ivresse. Qui peut mesurer cela ? Un poète seul, un poète maudit dans le voluptueux enfer de ses rêves.
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Une autre fois, alors que la petite ville de Combles s’écroulait sous une canonnade écrasante, dans une averse de pierres et d’acier, nous vîmes deux hommes courir parmi les décombres tournoyants, affublés de robes de femmes, des ombrelles rouges à la main. Ces gens étaient de la même trempe que le groupe de choc qui remonta toute une tranchée à coups de chopines vides, que les Écossais d’une troupe d’assaut montant à l’attaque en poussant leur ballon de football vers les lignes ennemies, ou que le sous-lieutenant allemand dont on racontait sur le front qu’il avait trouvé une manière de faire exploser les grenades à manche au-dessus de sa tête, droites comme une torche, sans qu’un seul éclat le touchât.
Libre à d’aucuns de se signer devant de tels exemples de divine insolence ; pour moi, je serais chagrin de m’en priver. C’est justement aux heures où le poids terrifiant des choses menaçait de ramollir l’âme de ses coups de masse que des hommes se trouvaient pour aller leur chemin sans y prendre garde, d’un pas dansant comme sur des vétilles. Et cette seule idée qui convienne à des hommes : que la matière n’est rien et que l’esprit est tout, cette idée sur laquelle repose tout entière la grandeur humaine, ils l’exaspéraient jusqu’au paradoxe. On sentait bien alors que ces mousqueteries accumulées, ces orages d’acier mugissants qui se cabraient jusqu’aux nues pour dévorer tout n’étaient jamais que machinerie, que décors de théâtre, qu’il leur fallait pour prendre sens le jeu que l’humain jouait sur ce fond de scène.
Il est profondément significatif que ce soit justement l’existence la plus forte qui se sacrifie le plus volontiers. Mieux vaut s’abîmer comme un météore, dans une gerbe d’étincelles, que s’éteindre à petit feu vacillant. Le sang des lansquenets ne cessait d’écumer sous les pales tournoyantes de la vie, et pas seulement lorsque l’ivresse de fer du combat les emportait sur la crête des vagues. Il leur fallait exprimer et façonner une vie sauvage et violente, telle qu’elle sourdait continûment en eux depuis les profondeurs. Si jeunesse et virilité leur tenaient lieu d’ivresse et de flamme, le combat, le vin et l’amour les chauffaient à blanc, jusqu’à courir follement à la mort. Chaque heure exigeait d’être remplie, les jours leur coulaient entre les doigts colorés et brûlants, comme les perles d’un chapelet de feu qu’il leur fallait égrener jusqu’au bout pour remplir leur propre mesure. Tout l’être jaillissait flamboyant d’une seule et même source, qu’il se reflétât dans un verre rempli, dans les yeux fous de l’adversaire ou le doux sourire d’une fille. L’ivresse réveillait leur âme de vainqueurs, les cimes de la bataille leur versaient l’ivresse, dans les bras de l’amour tous deux ne leur étaient plus qu’un.
Comme d’autres dans l’art ou dans la vérité, ils cherchaient leur accomplissement dans la lutte. Nos voies sont diverses, chacun porte en son cœur une autre boussole. Pour chacun, vivre veut dire autre chose, pour l’un le chant du coq au matin clair, pour l’autre l’étendue qui dort au midi, pour un troisième les lueurs qui passent dans les brumes du soir.
Pour le lansquenet, c’était le nuage orageux qui couvre au loin la nuit, la tension qui règne au-dessus des abîmes.
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Une autre fois, alors que je tuais le temps interminable d’une veille nocturne en compagnie d’un vieux briscard, dans l’angle sombre d’un épaulement, je m’enquis, au cours d’une conversation chuchotée, de son expérience la plus horrible. Sa cigarette rougeoyait à brefs intervalles sous le casque d’acier, inondant le visage décharné d’un rouge éclat. Il raconta :
“Au début de la guerre, nous avons pris d’assaut une maison qui avait été une auberge. Nous avons envahi la cave barricadée, luttant dans le noir comme des bêtes qui se prennent à la gorge, alors que déjà la maison brûlait au-dessus. Soudain, déclenché sans doute par la chaleur de l’incendie, on entendit là-haut le piano mécanique qui démarrait comme un automate. Jamais je n’oublierai, mêlés aux rugissements des hommes aux prises et aux râles des mourants, les flonflons insouciants de cette musique de danse.”
Il y aurait encore beaucoup à raconter : ces hommes qui n’arrêtaient pas de pousser des rires stridents, alors qu’un projectile venait de leur fracasser le crâne ; cet autre qui, en pleine bataille d’hiver, se dépouilla de son uniforme et courut ricanant par les champs de neige rougie ; l’humour satanique des grands postes de secours, et bien d’autres choses. Mais nous autres, fils de ce temps, nous avons bien soupé des faits bruts. Tellement soupé.
Et ce ne sont pas tant les faits que précisément l’incertain, l’indescriptible, les sourds pressentiments dont le feu jaillit parfois au grand jour comme la fumée d’un incendie qui couvait au creux d’un navire. Peut-être tout cela n’est-il qu’élucubration. Et pourtant c’était tellement palpable, pesant sur les sens d’un tel plomb, lorsqu’une troupe abandonnée sous la voûte de la nuit patrouillait en terre inconnue, dans le fracas des masses de métal qui s’écrasaient lointaines et proches. Si tout à coup, en plein milieu, un jet de feu s’arrachait à la terre, on entendait jaillir dans l’infini le cri bouleversant d’une prise de conscience intégrale. Peut-être, dans les derniers feux de ces cerveaux, le noir rideau de l’horreur s’était-il envolé à fins bruissements : mais ce qui restait tapi derrière, la bouche pétrifiée ne pouvait plus en donner le message.
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La tranchée. Le travail, l’horreur et le sang ont riveté le mot en tour d’acier pesant sur cerveaux anxieux. Rempart et bastion entre mondes qui se combattent, mais pas seulement cela : rempart et antre de ténèbres pour les cœurs qu’elle aspirait et rejetait en incessante alternance. Moloch brûlant qui lentement réduit en scories la jeunesse des peuples, réseau de veines recouvrant de ses entrelacs ruines et champs avilis, d’où le sang des hommes a coulé dans la terre à fort giclement.
Même de loin, elle restait emprise d’un poing glacé, lors des réglages d’armes et des beuveries dans les villages aux rives de l’horreur, là où le combattant reprenait pied, recommençait à trimer le jour et dormir la nuit. Sans trêve les fenêtres tressautaient comme des enclumes quand le char de l’écrasement grondait à longueur de front, broyant tout de son indifférence. Chez nous autres blasés du sanglant, personne ou presque ne l’entendait plus. Parfois seulement, lorsque l’œil rouge de l’âtre béait stupide sur la chambre obscurcie, et qu’au cerveau vagabondant s’ouvraient toutes les fleurs du monde, à force couleurs vives et parfums entêtants, mégalopoles en marées de lumière, rivages du Midi ourlés de ressacs bleus et d’écumes perlantes, femmes gainées de soie, reines du boulevard : c’est alors que ça se mettait à tinter, tout doux, mais bien coupant comme une lame de sabre, et que la menace bruissait noire à travers les vitres. C’est là qu’on frissonnait, et qu’on criait d’apporter de la lumière et du vin.
Parfois aussi tout se mettait à bouillir, lave cuisant en chaudrons gigantesques ; à l’ouest, une rougeur sombre entamait les brouillards matinaux, ou c’étaient des écharpes de fumée sale qui flottaient devant un soleil en déclin. Alors tous, jusque bien avant dans les terres, se tenaient prêts à bondir, colons du bas pays dans l’angoisse du mascaret rugissant. Tout comme on bourre de madriers et de sacs de sable la gueule des digues éclatées, on lançait bataillons et régiments dans la brèche en flamme des tranchées rompues. Quelque part, un homme était au téléphone, visage de granit au-dessus du col écarlate, et proférait le nom d’un tas de ruines qui avait été un village. Suivait le cliquetis des ordres et du métal des harnachements, et une fièvre sombre tremblait dans des milliers de prunelles.
Et même lorsque le laminoir de la guerre allait moins fort, toujours le poing osseux de la camarde restait suspendu sur les espaces dévastés. Dans le large ourlet de terrain de part et d’autre des tranchées, elle régnait avec rigueur, et point ne valaient jeunesse, humilité ni talent lorsque son martinet de plomb faisait pleuvoir les coups sur la chair et les os. Parfois même il semblait qu’elle ménageât avec prédilection l’insolent qui tendait la main, le rire à la bouche, vers son masque qu’il prétendait arracher.
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Vidéo de Ernst Jünger
À travers les différents ouvrages que l'auteur a écrit pendant et après ses voyages à travers le monde, la poésie a pris une place importante. Mais pas que ! Sylvain Tesson est venu sur le plateau de la grande librairie avec les livres ont fait de lui l'écrivain qu'il est aujourd'hui, au-delàs de ses voyages. "Ce sont les livres que je consulte tout le temps. Je les lis, je les relis et je les annote" raconte-il à François Busnel. Parmi eux, "Entretiens" de Julien Gracq, un professeur de géographie, "Sur les falaises de marbres" d'Ernst Jünger ou encore, "La Ferme africaine" de Karen Blixen. 
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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