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Citation de mesrives


Au loin, un chien hurle à la nuit blême, la fumée des kotas s’élève en mince filets à travers les nuées de moustique et il plane le plus doux de tous les silences, celui de la toundra. Un silence peuplé de sons, de vie, de chants.
On dirait que la montagne chante, que la terre et les arbres chantent, que chaque petite feuille chante sa propre mélodie silencieuse. Est-ce le clapotis du lac, un torrent qui gronde dans le lointain, le caquetage ténu des oies sauvages ? Je ne sais pas, mais on reste là, à tendre l’oreille, dans l’attente d’un son plus intense encore, qui recèle toutes ces merveilles. Et le voilà ! Tel un rayon de lumière pénétrant l’obscurité, tel le soleil qui perce d’épais nuages, tel … - non, il n’y a pas de comparaison. C’est juste une voix douce, une mélodie monotone sur des paroles indistinctes, une merveilleuse mélopée, ni sauvage ni tranquille, dont les fluctuations contiennent toute la rigueur et la douceur de la toundra. Il y a dans ce chant le parfum des bouleaux, les étoiles, la montagne et les eaux, le moelleux de la mousse et l’odeur de la terre, le fracas des rapides et le cri des plongeons, le gargouillis des ruisseaux, le bruissement des feuillages.
Et ce n’est qu’une jeune fille chantant un joik ! Je reconnais Marja qui revient du lac où elle a posé des filets, elle croit que personne ne l’entend, qu’elle est seule, à cette heure tardive. Sinon, elle ne laisserait pas un joik s’échapper de ses lèvres. Parce que maintenant, depuis que le christianisme s’est victorieusement imposé, joiker est un terrible péché. C’est un péché, c’est impur, et les portes du paradis resteront fermées à celui qui enfreint ce commandement. Psaumes, chants sacrés, prières et homélies ont remplacé le joik. Le joik c’est la damnation. Et les Lapons obéissent. Ils se taisent, ne chantent plus leurs joies et leurs souffrances intimes. Ils veulent aller au ciel, alors malheur à celui qui joike. Parfois les jeunes oublient, ils prennent le risque de la damnation. Quand personne ne peut les entendre, ils laissent couler le joik de leurs lèvres, deviennent les improvisateurs de la grâce divine, mélodie et paroles naissent de tout ce qui brûle en eux. Le rythme croît et décroît, les mots l’épousent avec souplesse, créant atmosphères et beauté, la mélodie oscille entre présence et absence, tantôt sauvage, dure et douloureuse, tantôt douce et tendre, tantôt triste à vous faire pleurer le coeur, tantôt gaie à faire pétiller le regard. La tessiture est peu étendue, les notes sont peu nombreuses, mais tout ce qui doit être dit est dit. Tout ce qui jaillit à l’esprit et demande à sortir prend forme et voix, simplement, sans artifice, et pourtant recèle ce que tout l’art du monde ne saurait imiter.
Comme Marja, à cet instant ! Il va de soi qu’un soir comme celui-là, elle doit chanter un joik, quand les étoiles scintillent à l’ouest, que le lac est de verre, les montagnes d’un blanc bleuté et leurs sommets teintés de rose, quand les bouleaux emplissent l’air d’effluves parfumés. Il va de soi qu’elle doit joiker tout cela, afin que la joie, la jeunesse et le bonheur ne fassent pas éclater son coeur.
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