Qu'elle était belle, notre île, avec de l'amour dans l'air qui ne savait où se poser, une moisson de blés ardents sans moissonneurs!
Si les livres les plus intéressants sont ceux qui traduisent fidèlement l'existence d'une fraction de l'humanité à un moment donné de l'histoire, notre siècle (le XIXe) n'a rien produit de plus intéressant que l'oeuvre de Tolstoï. Il n'a rien produit de plus remarquable sous le rapport des qualités littéraires. Je n'hésite pas à dire toute ma pensée, à dire que cet écrivain, quand il veut bien n'être que romancier, est un maître des plus grands parmi ceux qui porteront témoignage pour le siècle.
Y a-t-il quelque part une fuite du sentiment dans l'infini, pareille à notre course sur la mer, à cette progression constante sur un même élément illimité?
Et c'est une sensation étrange, quand on gravit les sentiers blottis entre les bruyères et les myrtes, tandis que le pied écrase la lavande, le fenouil, la germandrée, les cent herbes qui saturent l'atmosphère de leurs effluves amers, c'est un paradoxe délicieux, le contraste de l'air si doux avec cette végétation violente, ces plantes de passion âpre et de fort parfum.
Au fond de l'abîme, sur l'eau d'un bleu de plomb où ces pins versent déjà la nuit, des nuées de mouettes et de goélands tournoient dans la lumière oblique, s'élèvent, replongent; nous voyons luire dans les massifs de feuillage l'éclair fugitif de ces minces papillons blancs; les échos de la ravine répercutent leurs plaintes saccadées, d'une désespérance si lamentablement humaine.
Errer au plus épais des bruyères fleuries, s'asseoir sous le dôme des pins où s'insinue le bruit invisible des vagues, atteindre la haute roche qui donne le vertige du gouffre, ces joies l'exaltent et la troublent comme font pour les jeunes femmes de son âge l'atmosphère du bal, l'emportement de la danse.
Abritées entre les coteaux, des vallées se creusent et s'évasent vers la mer, elles lui portent les ruisseaux qui vivifient dans ces fonds tièdes la végétation méridionale : oliviers, amandiers, mûriers, vignes, figuiers.
Elle se leva, fit un pas vers moi, d'un mouvement somnambulique, un mouvement involontaire et doux où aboutissait toute la force de toutes les planètes attirées. Ses mains s'abattirent sur mes épaules, sa tête s'inclina, ses yeux éperdus versèrent toute son âme dans les miens; et des lèvres rapprochées à toucher mon front, ces mots qui jaillissaient du plus profond de l'être, de la première parcelle où s'éveilla notre première lueur de vie au sein de notre mère, ces mots tombèrent, effarés et suppliants :
-- Aimez-moi. Voulez-vous? Je vous attends depuis si longtemps!
Du premier regard, elle a saisi le secret du charme indéfinissable qui flotte sur Port-Cros, la fluidité aérienne des pins d'Alep, le miroitement subtil des objets sous les fines grisailles verdoyantes e leur feuillage, "de leur plumage", comme elle dit bien mieux; elle compare l'emprisonnement et la décomposition de la lumière dans leurs écheveaux de soie floche au tremblement des vibrations sur les cordes d'argent d'une harpe.
Elle gardait ma noble Hélène, ce calme extérieur des grands chagrins qui fait d'elle une divine statue de la souffrance.