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Citation de EtienneBernardLivres


Eugène Sue
À dix ans, il donnait des coups de pied à sa mère, insultait les vieillards, volait de vieux clous pour aller les vendre, ne faisait rien à l'établi, recevait de glorieuses gourmades de monsieur son père, et passait des journées dehors.
À douze ans, Mathieu avait, comme on dit, connu l'amour, cassé des carreaux, battu la garde (…)

Le cours de ces énormités ne fit que s'augmenter, et le torrent de ces désordres devint tel, qu'il menaçait d'engloutir la réputation, l'honneur et les économies de Jean Guichard, qui, en manière de digue, avait en vain opposé audit torrent une multitude de bâtons d'orme ou de frêne, qui s'étaient brisés en éclats sur le dos de Mathieu, sans rien changer à ses habitudes de forcené.

Mais heureusement, Jean Guichard se souvint d'une naïve tradition populaire assez commune en France et surtout à Paris, qui consiste à regarder la marine comme une espèce de bagne ou d'égout dans lequel on peut jeter toutes les fanges sociales.

Ainsi, qu'un fils de famille commette quelqu'une de ces ravissantes sottises qu'on ne fait malheureusement qu'à l'aurore de la vie, les grands-parents s'assemblent, et prononcent avec gravité qu'il faut embarquer le Don Juan, et l'envoyer aux îles, pour manger de la vache enragée.

Si un polisson des rues, devenu l'effroi du quartier, ne met plus aucun terme à ses débordements, après l'avoir menacé du commissaire, de la prison, des galères, on finit cet effrayant crescendo, en disant : "Il n'y a qu'à le faire mousse."

Ce qui ne laisse pas de prouver quel état on fait généralement de cette glorieuse profession.
Or, un matin, le père Guichard entra dans la mansarde de son fils, qui, par je ne sais quel hasard ou quel dérèglement de conduite, se trouvait avoir couché sous le toit paternel.

En ouvrant les yeux, Mathieu frémit malgré lui, car il vit que son père ne portait pas de bâton.
« Il va m'étrangler, » pensa le misérable.

« Écoute, Mathieu, » dit tranquillement le père, « tu as quinze ans, tu es le plus mauvais gueux que je connaisse ; les coups n'y font rien ; tu finirais par la guillotine. J'ai été soldat, je suis honnête homme, ainsi ça ne peut pas aller comme ça. Tu vas venir avec moi au Havre. »

« Quand ça ? »

« Tout de suite ; habille-toi. »

Mathieu ne dit mot, s'habilla, jeta un regard en dessous du côté de la porte, fit deux pas, et d'un bond, fut sur la première marche de l'escalier.

Mais l'auteur de ses jours avait suivi ses mouvements, et Mathieu se sentit étreindre dans les larges mains du serrurier. « Pas si vite, garçon, » dit ce dernier, et il précéda son fils dans la boutique, envoya sa femme, qui sanglotait, chercher un cabriolet, y monta avec son fils, Mathieu, qui sentit une larme rouler dans ses yeux quand il vit sa mère à genoux près de la forge, et pleurant... mais pleurant à fendre l'âme. « Cocher... Aux diligences, » dit Jean Guichard.

Du cabriolet, Mathieu passa dans la diligence, accompagné de son père qui ne le quittait pas d'une seconde. Le lendemain, on était au Havre.
Il y a dans chaque port de mer marchand, des maîtres de taverne qui nourrissent et hébergent à crédit les matelots sans emploi (…)
C'est donc dans ces tavernes que les officiers de la marine marchande viennent recruter leurs équipages (…)

Jean Guichard lui dit : « Allons, Mathieu, corrige-toi, embrasse-moi, deviens bon sujet, et tu nous reverras... »

« Jamais, » répondit Mathieu en se dérobant à un dernier embrassement de son père, et se mettant à siffler, "Tu n'auras pas ma rose", en marchant sur les talons du capitaine.
« Mais s'il n'allait plus revenir, » pensa le serrurier : « Bah !... » reprit-il : « pigeon égaré revient toujours au colombier. » Néanmoins, Jean Guichard fut longtemps bien triste.

(Extrait de Paris, ou le livre des cent et un, volume 6)
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