Du haut de ses treize années, elle a lutté pour sa vie contre la bestialité des bourreaux du troisième Reich. Mais l'immonde créature l'a finalement exécutée. La bête féroce responsable de sa mort brutale s'appelait Mengele. J'épargnerai sa description au lecteur, car il n'y a sans doute personne au monde qui ne frissonne à la seule mention de son nom. Pour la plus grande honte de l'humanité, cet homme avait fait des études de médecine.
(p. 32, extrait de la préface écrite par Ágnes Zsolt, et parue dans la première édition hongroise de 1948)
La décision de la déportation des Juifs du ghetto d'Oradea est prise le 27 mai, le premier train quitte la ville le lendemain, le dernier le 3 juin 1944. Deux autres transports partirent d'Oradea les 5 et 27 juin 1944 avec 2527 et respectivement de 2819 Juifs. En tout le nombre des déportés dépassa les 30 000 personnes.
Le calvaire des Juifs, la ghettoïsation, le départ dans des wagons à bestiaux ont fait l'objet d'un rapport particulier envoyé de Budapest, le 1er juillet 1944, par un diplomate français, chargé d'affaire Charmasse à Pierre Laval, chef du gouvernement et secrétaire d'État aux affaires étrangères : « […] On peut affirmer que la situation des Juifs hongrois est encore beaucoup plus tragique qu'il n'apparaît à la lecture de ces informations. Tout d'abord, il convient de noter que les ghettos de province ont été créés dans des conditions d'inconfort et de manque d'hygiène qui défient toute imagination.[...] »
(p. 27-28, préface de Carol Iancu)
J'ai trouvé le journal d'Éva à Oradea en 1945. Notre fidèle cuisinière, Mariska Szabó, l'avait précieusement gardé. Je suis la mère d'Éva, celle qu'elle surnomme Ági dans son journal. Dans l'enfer sur terre qu'était le ghetto d'Oradea la cruauté et la barbarie des hommes nous ont séparées. Je me suis retrouvée à Bergen-Belsen, mais mon sort a finalement été plus clément. J'ai réussi à gagner la Suisse. Éva, elle, est morte à Auschwitz, le 17 octobre 1944.
(Début de la préface écrite par Ágnes Zsolt, et parue dans la première édition hongroise de 1948, p. 31)
Ils obligeaient les gens à monter à quatre-vingts dans les wagons, avec seulement un seau d'eau potable par voiture. Mais, le pire, c'est qu'ils cadenassaient les wagons. Entassés dans ces voitures sans air, les voyageurs étaient sûrs d'étouffer !
(30 mai 1944, p. 136)
En revanche, la population roumaine n'a pas seulement manifesté des sentiments de compassion, beaucoup de gens s'impliquèrent dans le sauvetage des Juifs, en leur faisant passer la frontière en Roumanie.
[…]
Ainsi ont été sauvés environ 1500 Juifs, parmi lesquels un petit nombre du ghetto d'Oradea et des ghettos de Cluj et de Târgu Mureș, près de la frontière roumaine.
(p. 26-27, préface de Carol Iancu)
À partir d'aujourd'hui [10 mai 1944], officiellement, nous ne sommes plus dans un ghetto mais dans un camp. Sur chaque maison a été placardée une affiche où l'on peut lire tout ce qui est interdit avec la signature de Péterffy, lieutenant-colonel de la gendarmerie, commandant du camp-ghetto d'Oradea. En fait, tout est interdit, mais le plus terrible c'est qu'il n'y a qu'une seule peine : la mort. En cas de faute, peu importe sa gravité, nous ne sommes ni envoyés au coin, ni battus, ni privés de nourriture ou obligés de recopier cent fois des verbes irréguliers comme à l'école, rien de tout ça, rien de rien ! Une seule et unique punition : la mort. Il n'est pas précisé si les enfants sont concernés, mais moi je crois que la règle s'applique aussi à eux.
(p. 118)
Il y a une nette différence dans le déroulement de la Shoah en Roumanie et en Hongrie.
[...]
Le bilan de la Shoah en Roumanie n'est pas établi avec exactitude: entre 280 000 et 380 000 Juifs roumains et ukrainiens ont péri sous l'administration roumaine, la plupart en Transnistrie.
[...]
Les pertes juives hongroises s'élèvent à 564 167 personnes soient 297 621 appartenant à la Hongrie du traité de Trianon (environ 100 000 de Budapest) et 266 866 aux territoires annexés (dont la Transylvanie du Nord).
(p. 16- 18, préface de Carol Iancu)
Les Juifs qui constituaient le tiers de la population de la ville [Oradea], ont été entassés en quelques jours [à partir du 3 mai 1944], dans un périmètre étroit : on y a interné environ 27 215 personnes dont plus de 8000 Juifs « provinciaux » (amenés des autres localités du Bihor, avant le 10 mai). Le ghetto est isolé des habitants « aryens » par la construction d'une palissade en bois de 2 mètres de hauteur, 2300 mètres de longueur, tandis que 500 mètres supplémentaires sont constitués de murs en pierre. Les fenêtres des maisons sont fermées avec des planches en bois afin que les malheureux prisonniers ne puissent voir le monde extérieur. Même les malades hospitalisés dans le sanatorium des tuberculeux y sont internés. Il s'agit du plus grand ghetto de Hongrie, exception faite du ghetto de Budapest créé à la fin du mois de novembre 1944. En faite, à Oradea il y avait deux ghettos, l'un pour les Juifs locaux, l'autre pour les Juifs originaires d'une trentaine de petites localités du département de Bihor. Éva décrit son installation et celle de sa famille dans le camp-ghetto ou le châtiment infligé pour la transgression des nombreuses interdictions est toujours la mort. [cf. p. 118]
(p. 24, préface de Carol Iancu)
Le journal d'Éva Heyman n'est pas seulement un témoignage poignant sur la vie des Juifs de Oradea et de la Transylvanie du Nord pendant les années de « nuit et brouillard », retraçant les persécutions et le système d'avilissement jusqu'à l'enfermement dans un camp–ghetto avant la déportation et l'anéantissement à Auschwitz. Il est aussi et surtout le récit d'une adolescente douée, intelligente, qui a su non seulement saisir avec justesse la réalité de l'époque, mais aussi faire part avec pudeur de ses sentiments, de son premier « amour » et de toute une série de considérations qui étaient déjà celles d'une jeune adulte, en évoquant sur un ton passionné son quotidien et ses liens familiaux.
(p. 29-30, préface de Carol Iancu)
[Après la Grande Guerre en Roumanie].
Les Juifs étaient, par leur importance numérique, la troisième grande minorité avec 728 115 âmes (4,0 %), d'après le critère de la nationalité et 756 930 (4,2 %), d'après celui de la religion.
(p. 12, préface de Carol Iancu)