Il faut des moyens pour aller à l’école. Les enfants des villages y vont bien un peu, le temps d’apprendre quelques bases. Mais ensuite… On a besoin d’eux dans les rizières. Bien souvent, les parents n’ont même pas de quoi leur acheter une paire de chaussures. Comment aller dans une bonne école, sans chaussures ? demanda-t-elle au rouquin doucement. Lorsque tu viens au monde pauvre, en Thaïlande, tu restes pauvre toute ta vie. Il n’y a pas d’ascenseur social, ici. A part la prostitution…
Dans cette petite banlieue, tout le monde se croisait sans cesse. Avec la mémoire infaillible dont il était pourvu à cet instant, Antoine était absolument sûr de lui. L’homme était d’abord venu regarder jouer les enfants dans la cour de l’école, puis il était revenu à l’heure de la sortie des classes. Ensuite, il avait fait preuve d’une curiosité aiguë pour l’enquête de police, et enfin s’était invité au cimetière, sans y connaître quiconque.
La mémoire intégrale toujours intacte d’Antoine le ramena au début de leur périple asiatique, juste à leur sortie de l’aéroport. Il sourit en rejouant leurs retrouvailles. Stupéfaits, éberlués d’avoir déjoué les nombreux contrôles, vannés, épuisés par leurs heures de vol sans sommeil et le décalage horaire, ils s’étaient tombés tous dans les bras les uns des autres, à la fois joyeux, excités par cette nouvelle page de leurs vies prête à s’ouvrir, et morts de fatigue.
La prostitution n’est pas une voix juste. C’est donc accumuler un mauvais karma. Mais d’un autre côté, le fait de veiller sur sa famille procure un très bon karma.
De fil en aiguille, l’idée lui était alors venue d’isoler, d’abord, puis d’associer ensemble plusieurs composantes de ces différentes plantes. Il espérait ainsi en contrôler la violence des effets indésirables habituels, ces effets dont il avait si souvent entendu parler, et qui l’avaient jusque là dissuadé de tenter lui-même le grand voyage, tout en démultipliant la puissance des herbes sacrées ainsi combinées.
Le Mékong est un fleuve puissant, aux courants forts, et aux nombreux pièges. Le risque d’accrocher le fond et d’abîmer la quille était bien présent à certains endroits, et pour éviter ces bans de sable, le bateau devait s’écarter et se rapprocher dangereusement de nombre de tourbillons qui apparaissaient ça et là, bouillonnants et sans appel.
Pour la société thaïe, le plus important dans la vie, c’est la famille. Or, un katoy n’aura jamais d’enfant. Son destin, ce sera la solitude. C’est d’une tristesse infinie, qui inspire la compassion au reste de la communauté. Inutile de charger encore leur fardeau avec le poids du mépris, ou d’une stigmatisation quelconque.
Mais… La sagesse populaire ne dit elle pas qu’il faut bien laisser jeunesse passer ? Ne gardez vous pas au coeur vos propres jeunes années et vos douces folies, amis qui lirez ces lignes ? Sentez comme vous en chérissez tendrement,aujourd’hui encore, le doux souvenir…
Il y a des choses dont on ne parle pas devant de jeunes enfants. Bien sûr, on en avait discuté à l’école. Bien sûr, chacun y était allé de sa mise en garde : «Ne jamais suivre un inconnu dans la rue, les enfants, même s’il a l’air gentil…».
L’esprit qui a rendu la vie à mon frère était un esprit femelle. Maintenant, il partagerait son corps avec l’esprit pour toujours. C’est comme ça que mon frère est devenu une fille.