Fabienne Thibeault - Le monde est stone
Daniel a rapidement endossé le costume de Johnny Rockfort et reste pour toujours le héros de l’opéra-rock. Sa voix, à la couleur si originale et à l’ampleur unique, résonne encore à nos oreilles dans « SOS d’un Terrien en détresse » ; cette détresse qui était et est restée une des composantes de sa nature et de son âme. Il s’en est allé en pleine jeunesse, comme si ce rebelle au « cœur tendre », cette âme fougueuse, ce contestataire concerné par le monde qui l’entourait, ne pouvait vieillir, s’assagir, accepter, courber l’échine, tourner la tête devant les injustices qui sont le lot de nos sociétés humaines.
Il nous manque, oh oui, combien il nous manque !
Je crois que, là-haut, sa voix s’accorde à celle des anges.
Pas d’atomes crochus entre France et moi… Du respect, certes, en tout cas pour le talent et l’acharnement au travail bien fait. Mais nos enfances, nos adolescences, notre éducation et milieux d’origine, nos caractères, le creuset de nos vies furent tellement éloignés, tellement différemment teintés, qu’il aura été difficile de vraiment nous « rencontrer ».
Et puis, était-ce fondamental ? Obligatoire ? Les véritables rencontres restent des cadeaux de la vie.
Moi, Québécoise baba cool, petite fille de paysans, fille de maçon, nouvellement débarquée dans le show-business, Nord-Américaine de mentalité et de façon d’être.
Elle, superstar depuis l’adolescence, mariée au compositeur et réalisateur de l’œuvre, femme de caractère habituée à diriger, s’étant battue après une longue période managée par des équipes d’auteurs et de directeurs artistiques qui décidaient tout ou à peu près. Même les hommes qu’elle aima la cachèrent et ne comblèrent pas ses désirs.
Depuis Michel, France se sent revivre, revit et chante enfin les chansons qui lui correspondent.
La naissance d’une chanson, quand elle atteint l’oreille du public pour la première fois, constitue un moment magique. À quoi cela tient-il ? Je crois qu’une sorte de vérité doit se faire jour, il faut pouvoir y croire. Quelque chose de l’ordre d’une « inexplicable évidence » surgissant de l’interprétation et de la voix.
Diane Dufresne a livré, tant sur l’enregistrement de 1978 que sur la scène du palais des Congrès en 1979, une interprétation parfaite des « Adieux d’un sex-symbol » ; sans outrance mais avec du caractère et du chien, en prouesse vocale mais dans le respect de la mélodie… avec une vérité qui n’appartient qu’à elle, car la chanson était taillée pour elle.
Personnages de BD rock, aux noms évocateurs et extravagants : Stella Spotlight et son ego sous projecteur ; Zéro Janvier, zéro pointé question humanité ; Ziggy à l’ambition effritée en poussière d’étoiles ; Cristal, transparente et anodine, en tout cas jusqu’à sa rencontre avec Johnny ; Marie-Jeanne ? Je vous laisse deviner ; Johnny comme Hallyday et Rockfort, beaucoup la violence et un peu le fromage.
Malgré cette coloration BD, les personnages restent attachants, charnels, réceptacles de la noirceur et du désespoir qui nous habitent tous, si beaux et si nobles dans la musique du compositeur. Rock, mais aussi, et surtout, opéra. Les mélodies de Berger, la musique des mots de Plamondon ont éclairé et éclairent encore les personnages et leur donnent la vie, leur vie propre.
Marie-Jeanne est tout sauf une star. C’est une jeune femme un peu mal dans sa peau, seule, qui « cherche le soleil au milieu de la nuit ». Quant à Fabienne, qui se cache derrière le tablier de coton de la serveuse automate, derrière ses lunettes et ses kilos, elle regarde, écoute, ressent.
Rien ne me destinait à vivre cette aventure, rien ne me destinait à entrer dans la peau de ce personnage si attachant, sinon que j’avais une signature vocale et un cœur. Je n’imaginais pas un instant que le hasard allait me mettre sur un chemin si inattendu.
L’album composé de vingt titres vit le jour en 1978. L’année qui suivit, le 10 avril 1979, nous entrions sur la scène du palais des Congrès de Paris, le cœur battant la chamade et les jambes en coton. Je ne puis le jurer pour les autres, mais pour moi, cela reste un fait.
Nous y jouerons trente-trois représentations. C’est peu pour entrer dans l’histoire !
Et pourtant.
Starmania a marqué quatre décennies de vie musicale et laissé sur ses participants une empreinte profonde et une signature indélébile.
On me voit très peu dans la sélection de photos et, quand j’apparais, je regarde du mauvais côté. Avais-je l’art de me cacher de l’œil du photographe ? Il faut dire que, en 1978-1979, j’ai plutôt l’air banal avec mes lunettes cerclées de métal, mes grandes jupes et mes rondeurs. Rien de bien spectaculaire, aucun glamour. Et puis, j’étais une pure inconnue en France. Au Québec, j’avais enregistré trois albums et fait de la scène, avec un certain bonheur.
Au fond, la question n’a que peu d’importance.
Je chante… assise à côté de lui sur le banc du piano, persuadée que je n’arriverai pas jusqu’au bout. Mais j’y arrive plus simplement que je n’aurais pensé. Michel joue et je chante dans une ambiance chaleureuse. La chanson se termine. Dehors, le temps s’est apaisé. Il neige toujours mais plus calmement. Je ressens que Michel est satisfait et que le personnage de Marie-Jeanne entre doucement dans ma peau. Le silence s’installe. Luc sourit, Michel aussi.
Je serai la serveuse automate.