Clémence avait développé une clientèle mondaine et argentée qui se devait de porter un chapeau différent à chaque moment de la journée : celui du matin, sans ostentation pour faire quelques courses ; celui du déjeuner, juste sur la tête, comme un bibi, sauf pour un déjeuner galant où il fallait se cacher du regard des autres ; celui du thé de l'après-midi, élégant pour rivaliser avec les autres, et celui du soir, sophistiqué, véritable parure au tissu riche et soyeux, à la garniture exceptionnelle, faire-valoir de la position et de la fortune du mari.
Elle se rappelait l'arrivée dans la capitale comme si c'était hier : la soirée était avancée et malgré cela, il faisait très clair. Elle s'était arrêtée, interdite, ne sachant comment définir l'atmosphère créée par cette lumière pâle, irréelle, d'un gris perle, éclairant les constructions de tous les côtés à la fois, sans ombre aucune. La ville de Saint-Pétersbourg lui offrait le meilleur d'elle-même, sa magie de l'été comme nulle part ailleurs. Elle prit cela comme un cadeau de bienvenue et en fut heureuse.
Elles revinrent vers le centre de la capitale. Clémence avait choisi l'hôtel Helvetia pour le dîner, servi dans une cour élégante et raffinée. Elle commanda d'abord du caviar et des blinis. Les petits grains noirs étaient disposés dans une belle coupe en argent et Amélie ouvrir de grands yeux devant ce mets bizarre ; vraiment, on pouvait manger cette chose avec une cuillère ? Son palais de savoyarde n'était pas habitué à cette sauveur iodée, mais quand le caviar explosa dans sa bouche, passé la surprise, elle aima tout de suite cette sensation.
Vous vous rendez compte de ce que vous dites ? "on n'y pense plus." mais si on n'y prend pas garde, les avancées que vous avez eues pourraient disparaître la révolution, Mademoiselle, c'est tous les jours qu'il faut la faire. des gouvernements peuvent à tout moment, sous un prétexte ou un autre, supprimer vos libertés. p23