Dire que j’ai accepté ce mariage pour profiter de la province (en plus de la naïve gentillesse de mon mari… De son confortable compte en banque, aussi.)
Ne vous y trompez pas, je l’aime beaucoup ! Beaucoup, peut-être est-ce le mot qui, parfois, me donne mauvaise conscience.
Il sort le recueil du sac qu’il trimbale avec lui ; il entame la relecture de son opus. Il sombre rapidement dans un abîme de perplexité : cela ne ressemble en rien à la chronique de sa cité qu’il avait envisagé d’écrire. Il se sent bon pour une analyse chez un psy. Chaque nouvelle semble indépendante, des histoires fictives élaborées à partir d’un mot, d’un lieu, ou d’un prénom… voire d’un fait divers. Impossible à publier, qu’en auraient à foutre des lecteurs de ses extrapolations et divagations dans des vies imaginaires ? La solitude avait dû user ses neurones à force de rêves !
Il laisse passer plusieurs minutes, les yeux perdus dans le vague, avant de recommencer une nouvelle relecture, plus posée et détachée.
Ils devaient croire qu’il était sénile ! Il avait compris : ils avaient leurs familles, les traites de la maison, des jobs prenants, pas besoin d’un fardeau supplémentaire ; leurs vies ne pouvaient pas se changer en chemin de croix. La plupart du temps, il ne leur en voulait pas. Ce n’était pas pour qu’ils leur rendent un jour, qu’avec sa femme, ils les avaient conçus et élevés dans l’amour… Sans compter !
Parfois, quand même, un peu de chaleur humaine l’aurait soulagé. Il aurait aimé les voir venir, au moins une fois avec envie et non par devoir.
Invité à une soirée, je m’éloigne de la fête pour aller en limite de forêt m’allonger sur un tronc d’arbre couché par la dernière tempête et, tout en écoutant les bruits venant des bois, je contemple le ciel. Une pensée me vient : ne pourrais-je pas crier mes doutes au relatif silence de cette nuit d’été ? Le regard perdu dans l’infini de ce ciel étoilé, ne pourrais-je pas trouver des vérités au contact des âmes du passé ? Ne pourrais-je pas prendre pour psy l’éternité ?
Il trouvait cela débile ; il pensait qu’il valait mieux être un lâche vivant qu’un héros mort, question d’avenir ! Après tout, qui jouissait du sacrifice des courageux ? Eh oui, les lâches. Qu’en avait-on à foutre de laisser (dans le meilleur des cas) son nom à la postérité une fois transformé en viande froide ?
Il se prend la tête entre les mains ; il sanglote, laissant rouler sur ses joues quelques larmes. Ne devrait-il pas se servir de ce pénible moment comme un déclencheur à son rêve secret d’écrire ? Pas pour publier, bien sûr ! Il n’en a pas le talent ; mais juste pour lui, pour eux…