Son idée est que la simulation n’est pas seulement descriptive, comme les modèles analytiques ou biométriques, mais synthétique et réaliste, qu’elle nous donne à la fois le formalisme et la façon de le manipuler. La simulation peut valoir pour expérimentation. L’image prend alors une valeur « réelle », qu’elle n’avait pas dans les modèles. Varenne a décrit cette évolution dans les œuvres de von Neumann, Turing, Ulam, Cohen, Eden, Stahl, Lindenmayer, Honda, de Reffye. Il en tire une conséquence qui déborde tout à fait le domaine de la morphologie des plantes : c’est qu’on ne saurait donner une idée juste des sciences en les réduisant à un langage. C’est à partir de cette idée que Varenne passe en revue un certain nombre d’épistémologies françaises. Ayant élaboré la construction de la notion de simulation, il cherche à voir si, dans l’épistémologie surtout française, il trouve les notions qu’il a rencontrées dans son histoire de la morphogenèse.
C’est dans cette perspective que l’analyse des fonctions de l’analogie et de la métaphore trouve sa place : ces deux notions, dont on sait l’importance dans les processus d’invention scientifique, ont été évidemment pensées dans le cadre de théories, et même dans une acception un peu désuète de celle-ci, comprise comme « image de la nature ». La question de la modélisation pose de façon aiguë le problème de savoir si les modèles sont des représentations, il y a même bien des raisons de penser qu’ils ne sont pas des représentations – l’un de ceux qui a compris cela, qui en a tiré les conséquences épistémologiques dans sa pratique scientifique est Jean-Marie Legay, de l’université Lyon 1 Claude-Bernard. Mais la simulation fait revenir l’idée de représentation, dans un autre sens, non théorique pourrait-on dire. Que deviennent alors analogie et métaphore ? Voilà le problème que Franck Varenne va expliciter dans le texte qui suit. (Préface d’Anne-Françoise Schmid)
Les épistémologues ont commencé à s’intéresser assez fréquemment à la modélisation dans les sciences à partir du début des années 1960. Les figures de style que sont la « métaphore » et l’ « analogie » ont été souvent employées pour décrire la fonction des modèles. Aujourd’hui, l’instrument d’investigation qu’est le modèle ne donne plus toujours lieu à ce genre de rapprochement direct avec les pratiques linguistiques. Pourtant, les interprétations pragmatistes les plus contemporaines ne semblent pas assez adaptées pour nous faire comprendre précisément les simulations informatiques, les multi-modèles et leurs fonctions quasi-empiriques. Pour concevoir ces nouvelles fonctions propres aux modèles de simulation, nous proposons notamment l’idée d’un « computationalisme » qui viendrait s’adjoindre aux deux postures scientifiques (« rationalisme » et « matérialisme ») que Bachelard avait conçues dans un rapport originellement dialectique. La fréquente métaphore de la « métaphore » ne nous paraît plus généralisable lorsqu’il s’agit de concevoir les modèles actuels, dès lors qu’elle repose sur une vision linguistique souvent réductrice.