Ce Nu couché de dos réinterprétait l’Odalisque brune de François Boucher, qui avait été léguée au Louvre en 1914, et qui n'avait pas du tout choqué la puissance publique, alors qu’elle était beaucoup plus réaliste. Les poils pubiens stylisés du Nu couché, les bras ouverts [C198, plus haut] sont moins évocateurs que ceux de certains Courbet, Boucher, Goya ou même Caillebotte.
Mais l’exposition intervenait en cette fin d’année 1917 pendant laquelle la guerre, qui s’éternisait, imposait de réfréner tous les sentiments de joie et de plaisir. On retrouvera cette forme de censure dans les esprits entre 1945 et 1950, années d’expansion de l’art abstrait au détriment de la figuration. Il n’était plus possible de peindre la joie de vivre après la bombe atomique et l’horreur des camps d’extermination. Amedeo Modigliani choquait en 1917 parce qu’il voulait continuer de croire en la possibilité de la vie.
Marquet possède la lumière comme personne ! Il a le secret d'une lumière pure, intense, dont l'éclat uniforme et sans couleur emplit tout le ciel. Les ciels de ces tableaux sont incomparables. Au-dessus de la terre fangeuse, des eaux stagnantes, des pierres mouillées, des fumées de gares, un ciel immense se développe, sans bleu, n'est-ce pas, sans nul azur, et Mallarmé n'y craindrait pas « les grands trous bleus ». Mais lumineux ! Lumineux comme le jour lui-même, et si clair qu'un tableau de Marquet donne l'impression qu'une large fenêtre vient de s'ouvrir sur le dehors.
Ce puissant effet vient précisément du contraste violent qu'avec toutes les vigueurs sombres, dont l'œuvre est uniquement composée, ne peut manquer de faire le plafond clair du ciel. À cette énergique opposition, Marquet doit d'être un maître de la lumière.
Je regardais, un jour, chez Druet, quelques tableaux d'un peintre dont l'œuvre me ravit : Henri-Edmond Cross. Quel éblouissant et chaud ensoleillement ! Tout le Midi y flamboyait. « Quelle lumière ! », m'écriai-je. « Quelle couleur ! », reprit Druet, « Mais voici de la lumière. » Et il apporta un Marquet. Un Marquet ? Sans rouges ni verts, orangés ni lilas ? Il fut tué ? Non, il fit clair.
(Marcel Sembat, 1913)
Christian Parisot est le dépositaire légal des archives Modigliani. Elles lui ont été transmises par Jeanne Modigliani, la fille du peintre, à sa mort en 1984.