Plus tard, m'ayant initié à l'art du trait et à la composition organique, le maître me dit : "La peinture chinoise est fondée sur un apparent paradoxe : elle obéit humblement aux lois du réel, dans toutes les manifestations de la vie visible et invisible, et dans le même temps, elle vise d'emblée la Vision. Il n'y a en fait pas de contradiction. Car le véritable réel ne se limite pas à l'aspect chatoyant de l'extérieur, il est vision. Celle-ci ne relève aucunement du rêve ou d'un fantasme du peintre, elle résulte de la grande transformation universelle mue par le souffle-esprit. Étant mue par le souffle-esprit, elle ne peut être captée par l'homme qu'avec le regard de l'esprit, ce que les Anciens appelaient le troisième œil ou l’œil de Sapience. Comment posséder cet œil ? Il n'y a pas d'autre voie que celle fixée par les maîtres Chan, c'est-à-dire les quatre étapes du voir : voir ; ne plus voir ; s'abîmer à l'intérieur du non-voir ; re-voir. Eh bien, lorsqu'on re-voit, on ne voit plus les choses en dehors de soi ; elles sont partie intégrante de soi, en sorte que le tableau qui résulte de ce re-voir n'est plus que la projection sans faille de cette intériorité féconde et transfigurée. Il faut donc atteindre la Vision. Tu t'accroches encore trop aux choses. Tu te cramponnes à elles. Or, les choses vivantes ne sont jamais fixes, isolées. Elle sont prises dans l'universelle transformation organique. Le temps de peindre, elles continuent à vivre, tout comme toi-même tu continues à vivre. En peignant, entre dans ton temps et entre dans leur temps, jusqu'à ce que ton temps et leur temps se confondent. Sois patient et travaille avec toute la lenteur voulue."