Le mot suicide est longtemps resté pour moi associé à deux images qui illustraient les livres sur l’Antiquité.[…] Coiffée de la couronne royale, buste nu, hiératique, Cléopâtre allonge un bras en direction de l’aspic qui se dresse en sifflant au milieu des figues. […] C’était la puissance de cette épaule, la souplesse de ce bras allongé, la forme de ce sein nu et orgueilleux. L’autre image représentait Socrate, en pleine méditation dans sa prison, la coupe de ciguë à la main. […] Par son écriture comme par sa sonorité, le mot suicide était associé à ces deux images. La première syllabe, SUI, se tordait et sifflait comme le serpent, comme l’aspic surtout à cause de son i. La fin, CIDE, était aussi acide et meurtrière que la ciguë. Dans la mort comme autopunition, venaient ainsi s’allier Socrate et Cléopâtre, la tête et le corps, le velu et le lisse, la pensée et le sexe, l’esprit et le pouvoir.
LA STATUE INTÉRIEURE, page 8-9