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Citation de Malone


Il y a une intelligence ou "vérité" biblique qu'on voit à la fois se détacher et s'explorer dans l'exposé réécrit de la Création. En posant liminairement un Autre absolu, extérieur au monde, cette ouverture creuse dans l'humain - y déploie et met en route - les conditions d'une subjectivation qui n'en finira plus, à travers la culpabilité et l'Attente, de se forger et de se découvrir. Ou bien disons encore que, à la rencontre de ce qu'il pose d'entrée, dans cette scène inaugurale, en Dehors incommensurable, l'humain biblique, sous le thème de l'Alliance qui s'y noue, ne cesse d'avoir dorénavant à tendre vers Lui et à en faire son "dedans" : il découvre (promeut) cet Extérieur intime; en même temps qu'il perçoit (déploie) cet intime comme un infini, s'appropriant ainsi un devenir inouï ( à travers les motifs de la mort vaincue et du salut). Cohérence éminemment singulière et productrice, qui a sa fécondité propre, fait indéfiniment travailler , et selon laquelle a pris forme le religieux en Europe - et qu'il ne suffit pas de caractériser par la référence, si banale, à ce qu'on appelle "Dieu". Car, sous "Dieu", Pascal déjà nous mettait en garde, on met tant de choses qui n'ont vraiment guère à voir ensemble.
En ouvrant la Théologie d'Hésiode, on y trouve une intelligence (vérité) d'un autre type, "mythologique", qui, si elle puise à l'occasion à la même source que la précédente, se singularise ou "choisit" d'une autre façon, se donne un autre usage et connaît un autre rendement : figurant, variant, dramatisant, à fonction à la fois exploratoire et probatoire, elle essaye tout un jeu de cohérences pour expliquer le monde à partir des forces et facteurs impliqués. Ceux-ci s'allient ou s'opposent, s'engendrent ou se mêlent, s'équilibrent ou se compensent, d'où découlent tant d'enchaînements, de filiations et de renouvellements formant "destin". La fécondité en a été exploitée, depuis, selon la veine intarissable, promue par le plaisir de la narration, de la fiction et du roman. A quoi se rattache, mais dont veut aussi se démarquer, dont dépend mais que combat d'autant plus violemment, l'intelligence ou vérité "logique" du commencement qu'on voit proposé dans ce muthos réelaboré du Timée : intelligence qui n'est plus seulement symbolisante mais qui abstrait, ne pensant plus en termes de figures mais d'entités; qui est non plus seulement causaliste mais aussi finaliste, pesant de tout les tenants et aboutissants. Elle ne se contente pas de répondre à des questions, mais est délibérément problématique, s'explicitant à partir d'un système de cas; et, pour cela, elle est constructrice et modélisante, explicative et déductrice. Elle chasse l'ambiguïté antérieure en s'armant du principe de non-contradiction, source de clarté par exclusion; transforme l'enchaînement du récit en nécessité intérieure reposant sur la seule argumentation. C'est elle qui à fait le lit de la science ou, disons plutôt, d'une certaine science (classique) fondant sur elle sa prise et son efficacité.
Or nous découvrons, en Chine, une autre forme d'intelligence, de "prise" ou de "vérité", en ouvrant le Classique du changement et toujours à propos du commencement. Je crois qu'on peut la concevoir globalement comme une intelligence à la fois de la processivité et de l'opérativité ( tao signifiant à la fois le cours des choses et la façon d'opérer : "tao" du monde" et "mon tao"). Elle n'a donc pas à mettre nécessairement en scène un sujet, se dispense du récit et dissout toute dramatisation; elle pense en termes, non de cause et de fin, de modèle et de visée, mais de condition et de conséquence ou, pus précisément, pour reprendre ces quatre notions d'ouverture, en termes d'"amorçage" - de "maturation" - de "moissonnage" - et de "régulation". Y compris dans sa dimension religieuse et éthique, cette intelligence est stratégique : puisant à même les procédures du rituel, elle enseigne l'art de se mettre en phase avec le moment, en se conformant aux lignes de forces de son déroulement - celui-ci s'éclairant par le jeu des polarités - et trouve son rendement dans la capacité d'induire l'évolution, sans affronter la situation ni s'épuiser. On comprend que ce qui lui sert, non de modèle ou d'idéal, car ne se détachant pas de l'ordre des choses, mais de norme, soit l'harmonie" : celle-ci, tai he, est à la fois la condition du renouvellement du monde, par son constant équilibrage, et le fondement - absolu - de la morale échappant à la déviation et dérégulation par partialité.
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