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Citation de enkidu_


La centralisation française, et plus précisément la centralisation des activités littéraires ou paralittéraires (édition, journalisme, théâtre, radio, etc.), ont presque entièrement cristallisé la vie de la littérature autour d'un milieu parisien. Là se trouvent à la fois les occasions de gagner sa vie (si les livres n'y suffisent pas) et les serrures visibles du succès. Impression à la fois juste et fausse : juste s'agissant des gagne-pain, fausse s'agissant de l'accomplissement d'un destin littéraire. Les seules routes vers cet accomplissement sont jalonnées de bons livres ; la question revient à savoir où s'écrivent le mieux les bons livres. Ainsi posé le problème est presque résolu : Paris brûle et stérilise les talents selon cent méthodes de jour en jour mieux éprouvées. Une génération d'écrivains, ou plus justement une certaine « bande » qui fit parler d'elle entre environ 1949 et 1955, s'est trouvée en moins de dix années réduite au silence. La mort, l'alcool, l'ennui, l'argent, le journalisme, doré et le cinéma ont ainsi englouti une demi-douzaine de jeunes hommes.

Devenu une vedette possible (Prix, magazines, télévision, etc.) et le sachant, l'écrivain subit aujourd'hui plus que jamais la tentation d'être connu. Une confusion s'aggrave ainsi entre notoriété littéraire et « vedettariat ». Au pauvre homme de lettres de naguère le siècle tend une perche : sait-il s'en saisir, il deviendra un personnage parisien. Comblé d'échos, d'anecdotes, d'interviews, de cruautés flatteuses, il installera sa vie dans un faux-semblant si bruyant qu'il deviendra sourd à tout conseil raisonnable. S'il reste à portée de téléphone de sa drogue il est perdu. Il dînera, boira, sortira, deviendra renommé pour sa méchanceté, sera peut-être reçu dans le monde, répondra en quinze lignes à des enquêtes, participera à des « tables rondes », aimera des dames ou des messieurs, engraissera ou se fanera selon que sa nature prend trop bien ou mal les excès nocturnes, se fera des amis et des ennemis selon cette loi banale qu'on ne se brouille jamais qu'avec la moitié de la terre ; bientôt il portera des lunettes énormes, ou des chapeaux minuscules, ou des cravates pittoresques, essayant pathétiquement de tenter la caricature ; il connaîtra peut-être des succès, peut-être des échecs, aura peut-être de l'argent et peut-être pas (ce ne sont que des détails) et il pourra de cette façon, dans ce style, à la condition de céder assez souplement à la mode et de n'être pas balayé par quelque nettoyage politique, il pourra même durer, durer longtemps, offrant au public cette image de mort-vivant qu'un certain nombre de nos écrivains prennent pour la mauvaise mais indispensable mine de la gloire.
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