AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de frejean


Ile de la Réunion, 1974

Dès quatorze ans, ma silhouette gracieuse excitait la convoitise d’une nuée d’admirateurs opiniâtres qui, à défaut de pouvoir de m’approcher, me contemplaient de loin avec des yeux langoureux, en attendant – espoir combien hypothétique – que je daigne m’intéresser à leur petite personne. Sensuelle et snob comme une star, je me prêtais à leurs jeux tout en gardant la distance d’une jeune fille prude et respectable. Jusqu’au jour où le mariage est venu me cueillir en pleine adolescence, avec toute mon innocence et mes rêves, alors que je ne connaissais rien de l’amour, rien de la vie.
Ce qui m’avait attirée vers cet instituteur de cinq ans mon aîné ? Outre un charme indéniable, c’étaient surtout la perspective d’échapper à une routine médiocre, le besoin de fuir un milieu familial nauséabond – des parents en instance de divorce toujours en train de se disputer, des conditions matérielles proches de la gêne –, de même que la hâte de jouir sans plus attendre des plaisirs de la vie. Qu’aurais-je fait d’autre ? J’étais pauvre et trop médiocre à l’école pour prétendre à une carrière professionnelle sérieuse alors que le mariage, à 17 ans passés, m’offrait un refuge et un statut.
Je ne saurai jamais si mon premier époux était sincèrement amoureux de moi. Il me respectait, de cela j’en suis sûre. En tout cas, ce beau jeune homme un peu efféminé, élève de l’Ecole Normale d’Instituteurs, ne m’a pas rejetée lorsqu’un jour je lui ai lancé subitement, en lui montrant mon baluchon : « J’ai quitté mes parents. » Il se contenta de me demander : « As-tu bien réfléchi ? Es-tu consciente de ce que tu fais ? » Ma démarche, audacieuse, l’avait sans doute pris de court, mais il ne laissa rien paraître de son embarras. En agissant ainsi je ne prenais pas beaucoup de risque : jamais ce garçon bien élevé n’aurait eu le cœur de me jeter à la rue !
Ce mercredi, il était venu me chercher avec sa voiture à la sortie du lycée pour une balade en amoureux, à travers les prairies de la Plaine des Cafres. Mais cette fois, à la fin de la journée, au lieu de me ramener au bahut, il dut sous la pression des événements me conduire dans un hôtel, en attendant de trouver une solution plus raisonnable. A ce moment-là, j’éprouvais pour lui un vague sentiment de sympathie, rien de plus. Les circonstances avaient favorisé notre rencontre ; par sa position sociale et son physique plutôt agréable, il servait provisoirement mes obscurs projets. J’avais saisi ce qu’on appelle une opportunité. Je crois que lui ou un autre, cela aurait été pareil. Sur le moment, cependant, je me gardais bien de dévoiler mes véritables pensées.
Commenter  J’apprécie          80





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}