Fred Pearce

Les responsables en Israël des Amis de la Terre estiment que les colons juifs, bien qu'il ne constituent qu'un dixième de la population totale de la Cisjordanie, qui regroupe 2 millions d'habitants, seraient à l'origine d'un quart des 60 millions de mètres cubes d'effluents non épurés qui s'infiltrent dans l'aquifère occidental. « Toutes les colonies rejettent directement dans les oueds des déchets non traités », constate Robin Twite, ancien directeur du British Council, l'agence culturelle britannique en Israël, et actuel directeur du Centre d'information et de documentation Israël-Palestine.
Les puits de forage israéliens, pour leur part, sont si profonds qu'ils demeurent exempts de toute pollution. En revanche, dans bien des endroits, les effluents polluent d'ores et déjà les puits et sources des Palestiniens, qui sont de plus en plus nombreux à devoir être abandonnés. À Nazla'Isa, au nord de Tulkarem, les puits artésiens qui remontent l'eau vers la surface sont contaminés par les eaux usées. « Les gens savent que l'eau est polluée, mais ils l'utilisent quand même car ils n'ont pas le choix », soupire Monther Hind, ingénieur palestinien spécialisé dans la gestion des eaux usées, dans son bureau à Ramallah. Il m'explique que le tuyau d'évacuation des eaux usées, qui fuit, se trouve de l'autre côté du mur de sécurité. Les villageois n'ont donc aucun moyen de le réparer.
« Comment pouvons-nous survivre dans de telles conditions ? s'interrogent les Palestiniens. Pourquoi n'avons-nous droit qu'à 20% à peine de l'eau qui tombe en Cisjordanie ? »

Partie VI, Chapitre 20 : Palestine : on empoisonne les puits de la paix.

Courant 2004, Messerschmid✴ a calculé que les puits et les sources qui se trouvaient désormais du mauvais côté de la barrière délivraient jadis 5 millions de mètres cubes d'eau par an aux Palestiniens. Si ses calculs sont exacts, cela représenterait un quart de l'eau que les Palestiniens puisent dans le précieux aquifère occidental. Certains ont pu en conclure que le mur n'était qu'un stratagème d'Israël pour s'approprier l'eau des Palestiniens. En vérité, selon Messerschmid, les conséquences hydrologiques ne sont sans doute qu'un " dommage collatéral " du programme de sécurisation lancé par les autorités israéliennes. Ce qui, malheureusement, ne les rend pas moins douloureuses.
Les risques à long terme que ce conflit fait peser sur les ressources en eau de la Cisjordanie pourraient se révéler catastrophiques pour les deux communautés. Dans les soubresauts qui agitent les deux côtés de la frontière, peu de gens se soucient de ce qu'il advient des eaux usées et des ordures ménagères. Aussi bien les colons que les Palestiniens déversent leurs détritus dans d'anciennes carrières, ou sur les berges des oueds. Garves a vu des éboueurs décharger le contenu toxique de leurs camions dans des fissures rocheuses débouchant directement sur l'aquifère. « Mois après mois, depuis le début de l'Intifada et l'entrée en vigueur de restrictions des mouvements de personnes en Cisjordanie, on voit les oueds se remplir d'effluents, témoigne Messerschmid. Or, étant donné la nature du terrain, cela signifie que ces eaux usées vont s'infiltrer jusqu'à l'aquifère. » Les chauffeurs des camions, eux, se défendent en rappelant que la multiplication des check-points ne leur laisse pas le choix.

(✴Clemens Messerschmid, géologue allemand qui travaille pour le gouvernement britannique du Développement international)

Partie VI, Chapitre 20 : Palestine : on empoisonne les puits de la paix.

Les habitants des petites îles cernées par la mer connaissent mieux que quiconque les affres d'un approvisionnement trop limité en eau douce . L'île touristique de Madère , dans les eaux chaudes de l'océan Atlantique , à l'Ouest du Maroc , ne dispose que d'un minuscule réseau de cours d'eau . En revanche , elle est dotée de canaux en pierre magnifiquement conçus qui sillonnent toute l'île , et dont la longueur totale atteint 2500 kilomètres . Ces canaux , ou levadas , furent construits par des esclaves africains , sous les ordres des planteurs de canne à sucre portugais . Le territoire britannique de Gibraltar , à l'extrême sud de l'Espagne qui , politiquement si ce n'est géographiquement , doit bel et bien être considéré comme une île , possède l'un des réseaux de récupération des eaux pluviales les plus sophistiqués au monde . L'eau recueillie grâce à des zones de captage réparties sur le promontoire géant qui domine l'enclave anglaise est ensuite canalisée vers des réservoirs aménagés à même la roche . Par-delà l'Atlantique , aux Bermudes , les maisons neuves ont l'obligation légale d'être équipées d'un système de récupération de l'eau de pluie ruisselant de leur toit .

Un scientifique que j'ai rencontré récemment a calculé qu'un ménage moyen en Europe ou aux États-Unis dispose de tant d'appareils électroménagers, d'aliments et de vêtements qu'obtenir un train de vie équivalent dans la Rome antique aurait nécessité 6 000 esclaves - cuisiniers, femmes de chambre, ménestrels, préposés à la glace, bûcherons, jeunes femmes armées d'éventails et j'en passe.

J'ai été frappé par ce qui nous rapproche et à la fois par ce qui nous divise. Alors voilà...
Nous sommes, par exemple, un milliard à conduire. Un autre milliard d'individus possèdent un téléphone portable. Un milliard d'individus parlent anglais et un autre milliard mangent du riz tous les jours. [...] Nous sommes un milliard à vivre dans des bidonvilles, ou à avoir accès à internet, ou à être indiens, à soutenir une équipe de football, à vivre à moins de cinq kilomètres de l'endroit où nous sommes nés, à boire du café, à posséder une télévision ou à ne pas pouvoir subvenir aux besoins de notre famille.