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Citation de letilleul


Vous voyez, je ne sais pas pourquoi les hommes veulent toujours mentir aux femmes. Tout d’abord, ils veulent leur raconter des tas de choses formidables sur eux-mêmes. Ce qu’ils sont, de quoi ils sont capables... Toute cette panoplie incroyable qu’ils déploient comme un paon qui fait la roue. Et ensuite, quand elles leur reprochent de ne pas être ce type formidable qu’ils avaient décrit, ils sont sincèrement étonnés. Ils deviennent authentiques et, avec une bonne foi désarmante, mais en fait, ils disent cette fois la vérité, à savoir cette seule vérité qu’ils n’ont jamais dite auparavant : ils ne comprennent pas ce qu’elles veulent ! Aucun homme ne peut être ce surhomme qu’elles ont imaginé. Mais ils oublient qu’ils ont vendu des qualités imaginaires, et que finalement la seule erreur des femmes, c’est d’avoir cru ce qu’ils disaient et non pas ce qu’ils étaient. Vous voyez, ils ne se rendent pas compte que la plus grosse méprise des femmes, c’est d’avoir été endormies par ce qu’ils racontaient à l’époque où elles les aimaient encore. Ils n’ont jamais été ces hommes dont elles rêvaient. C’est si valorisant d’être la réalisation d’un rêve ! Alors peut-être qu’avec moi qui ne peux pas raconter d’histoires, ça se passait différemment. Au début, je parlais si lentement et si mal qu’il est évident que si j’avais essayé de mentir sur mon état, elles m’auraient ri au nez. Donc je disais la vérité et du même coup, je passais pour un type courageux qui assumait son handicap. Je me méfiais un peu des femmes qui développaient rapidement à mon égard des qualités d’infirmières. J’avais toutes les peines du monde à revendiquer un statut qui ne soit pas celui d’un malade. Je ne pouvais
certes pas être le cow-boy viril de la bande et je le savais, mais je ne voulais pas non plus qu’on me relègue au rang de grabataire. On peut dire que j’ai assumé avec une certaine placidité la tendance des femmes à venir pleurer sur mon épaule. En tant qu’être souffrant, je devais sans doute donner l’impression que je pouvais les comprendre, ce qui était on ne peut plus faux. Je ne comprenais rien à leurs larmes, ni à leurs regrets de ne pas être aimées par une bande de crétins qui se foutaient pas mal de ce qu’elles étaient véritablement et de ce qu’elles attendaient de la vie en général et d’eux en particulier. Moi, ça faisait bien longtemps que j’avais compris qu’être une femme était une sorte de handicap d’un autre genre. En tout cas, pour vivre avec des hommes ! Car les femmes comme les handicapés jouissent naturellement d’un sens aigu de l’être humain qui n’est pas donné à la plupart des hommes normaux que j’ai croisés toute ma vie. En ce qui me concerne, les femmes ont été des alliés formidables et plus rarement, sans le savoir, des monstres de cruauté qui certainement bien plus que les humiliations directes que m’ont infligées certains hommes, ont contribué à mon effondrement... Pourquoi est-ce que je vous parlais de tout ça ?
— Parce que je vous ai demandé de me parler de votre rapport aux femmes.
— Ah oui ? Il va falloir que vous me posiez des questions plus précises, parce que je risque de me perdre. Et puis ce sujet-là est trop vaste pour être traité sans musique. Avez-vous déjà imaginé toutes ces formes féminines que je caresse en dirigeant ? Je ne caresse pas le vide, oh non, je n’ai jamais désiré me priver de la sensualité d’une gestique fluide, même si mon membre gauche a essayé de m’entraîner abruptement vers le chaos. Interpréter veut dire s’abandonner, et s’abandonner à la peur de l’abandon aussi. Une œuvre contient l’harmonie de toutes nos contradictions et pour cette raison, elle est blottie dans chaque particule qui nous compose. Nous ne devons pas oublier que nous recevons en héritage les rêves d’un compositeur, et rien n’est plus grave que la responsabilité de rêves qui ne sont pas les nôtres. Dans une partition, les indications peuvent être claires, mais en contradiction avec la musique qui naît. L’espace entre ce qui est écrit et ce qu’on joue est infini. Il dépend de notre capacité à saisir du silence entre les
notes, à faire éprouver ce qui ne peut être joué, à propulser dans le cosmos des étoiles dont on ignore l’existence.
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