Frédérique Triquenot

Assis autour de la table de la cuisine nous cassons une montagne de noix tout en bavardant. Nous en dégustons quelques morceaux au passage avec des tranches parfumées de pommes reinettes, mes préférées, et buvons le délicieux jus de raisin de notre vigne, cet excellent chasselas qui grimpe le long de la terrasse de notre maison depuis quatre générations déjà. C'est dans ces circonstances que je savoure cette saison, quand la lumière est douce, rasante, la nature flamboyante et encore si fructueuse. Sans l'ombre d'un regret j'ai tourné le dos à l'été et plongé dans l'atmosphère parfois encore tiède, mais déjà humide de l'automne. J'ai hâte de retrouver les saveurs automnales du verger, du potager et de la forêt. C'est l'odeur des tartes aux quetsches saupoudrées de cannelle qui est, chaque année, le signe annonciateur du changement imminent de saison.

En hiver, en Alsace, le froid engourdit la terre et les êtres vivants. Les arbres sont nus, l'herbe est sèche et couchée au sol, les champs sont vides, seul le gui sur les arbres s'épanouit et tranche avec la morosité ambiante. Les taupes repoussent la terre fraîche, signe d'activité souterraine. Mais les oiseaux, les animaux et les hommes se protègent du froid. Le fumier épandu en automne et le repos permettent à la terre de se ressourcer tandis que les pluies remplissent à nouveaux la nappe phréatique. La terre sent l'humidité, elle respire…lentement. Les promeneurs se font rares, la nature reste seule avec elle-même, silencieuse. La vie des hommes s'organise à l'intérieur, dans les foyers : on nettoie et on répare les outils du jardin, on bricole, les familles se regroupent, les amis s'invitent. C'est le temps des retrouvailles. Comme pour réparer la paresse de la nature, les fenêtres, portes et intérieurs des maisons se parent de branchages. Il suffit d'aller en forêt pour voir celui qui, en cette saison, au milieu de ses semblables au repos, déploie sa parure verte et odorante :
Mon beau sapin
Roi des forêts
Que j'aime ta verdure

Le printemps n'arrive pas à choisir entre l'hiver et l'été, car l'un tente par d'ultimes efforts d'imposer le froid alors que l'autre donne des échantillons de son savoir-faire. C'est dire combien la nourriture pourra être variée durant ces 3 mois. Il dépeint le mieux cette notion de saisonnalité qui m'est si chère car, pendant les journées froides, on mangera encore des soupes à l'oignon, de la choucroute, les jours meilleurs, voire chauds, on ne résistera pas à la tentation de faire des salades et des grillades. C'est la description même du plaisir que l'on peut avoir à adapter sa nourriture aux produits de saison.

En été la nature déverse sans discontinuer ses richesses et nous donne l'embarras du choix pour les recettes. On trouve tous les produits frais à profusion. Tous les jours d'autres arrivent à maturité et nous poussent à décliner notre panoplie de recettes de fruits et légumes. Pourtant le mot d'ordre de cette saison, c'est "conserver pour stocker", constituer des réserves pour l'hiver ! Tout ce qui ne peut être consommé frais doit être mis en conserve, au sel, au congélateur…ou donné à la voisine qui en dispose déjà énormément.