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Citation de Charybde2


l me semble important d’insister sur cette fonction cognitive et expérimentale du récit afin de le distinguer d’autres représentations plus cauchemardesques de la séparation hermétique de la conscience vis-à-vis du monde extérieur (ainsi, par exemple, de la "semi-vie" des morts dans "Ubik" de Philip K. Dick). L’une des potentialités les plus significatives de la SF en tant que forme, c’est précisément cette capacité qu’elle a d’offrir quelque chose comme une variation expérimentale sur notre univers empirique ; et Le Guin a justement décrit son invention de la sexualité géthénienne comme une "expérience de pensée", dans la tradition des grands physiciens : "Einstein envoie un rayon de lumière dans un ascenseur en mouvement ; Schrödinger met un chat dans une boîte. Il n’y a pas d’ascenseur, pas de chat, pas de boîte. C’est dans l’esprit que l’expérience se déroule, dans l’esprit que la question se pose." On voudrait seulement rappeler que la "grande littérature" affirmait aussi autrefois de telles visées. Si datée que soit la notion d’hérédité que défendait Zola et si naïve qu’ait pu être sa fascination pour la description par Claude Bernard de la recherche expérimentale, le concept naturaliste du roman expérimental constituait précisément, à l’aube de l’émergence du modernisme, une réaffirmation de la fonction cognitive de la littérature. Le fait que cette assertion ait désormais perdu toute crédibilité montre simplement que l’environnement qui est le nôtre – le système total du capitalisme monopoliste tardif et de la société de consommation – nous paraît si immuable et sa réification si étouffante et impénétrable, que l’artiste sérieux n’est plus libre de le bricoler ni d’en imaginer des variations expérimentales. Les opportunités historiques offertes à la SF en tant que forme littéraire sont intimement liées à cette paralysie de la "grande littérature". Le caractère officiellement "non sérieux" ou populaire de la SF constitue un élément indispensable de sa capacité à relâcher ce tyrannique "principe de réalité" qui censure, donc handicape le grand art, et de ce fait à permettre à la forme paralittéraire d’hériter de la vocation à nous offrir des visions alternatives d’un monde qui a partout ailleurs paru résister au changement, fût-il imaginaire. (Cette description du transfert de l’une des fonctions traditionnelles les plus vitales de la littérature à la SF semble confortée par les tentatives de plus en plus marquées, dans la "littérature" actuelle – chez Thomas Pynchon, par exemple -, pour réintégrer ces capacités formelles dans le roman littéraire).
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