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Citations de Fredric Jameson (23)


Fredric Jameson
Someone once said that it is easier to imagine the end of the world than to imagine the end of capitalism. We can now revise that and witness the attempt to imagine capitalism by way of imagining the end of the world.

New Left Review 21, May-June 2003, p. 76
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Les Strougatski nous livrent une sorte d'utopie à l'envers, une utopie venue de l'autre côté du miroir : cette utopie, c'est la Zone, espace énigmatique et dangereux d'une altérité que l'on retrouve sous diverses formes dans leur œuvre.
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La disparition du sujet individuel et sa conséquence formelle, l'indisponibilité croissante du style personnel, engendrent la pratique aujourd'hui quasi universelle de ce que l'on appelle le pastiche.
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la SF met [donc] en œuvre une "méthode" structuralement unique d'appréhension du présent comme histoire ; et peu importe que le monde imaginaire futur qui constitue cette défamiliarisation soit "optimiste" ou "pessimiste". En fait, qu'il s'achemine vers les merveilles technnologiques de Jules Verne ou qu'il se dirige au contraire vers les vieux automates déglingués du futur proche conçus par P. K. Dick, le présent n'en est pas moins un passé.
( in Chapitre 1, Progrès contre utopie ou Peut-on imaginer le futur)
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Les technologies de la communication et de l’information – les machines scientifiques de la reproduction plutôt que de la production (qui, toutefois, retournent cette dernière pour en faire leur prédécesseur incompris) – dramatisent cette transformation de l’objet-monde et de son idée matérielle. Mais elles deviennent magiques lorsqu’on les saisit comme des allégories d’autre chose, de l’ensemble inimaginable du réseau mondial décentré. Les nouveaux ingrédients figuraient déjà, sous forme d’élégants caractères en style télex, dans le générique des Trois Jours du Condor (Pollack, 1975). Dans le cinéma postmoderne, le générique est devenu un espace discret mais crucial où, comme dans les anciens modes musicaux, les habitudes perceptuelles du spectateur sont orientées vers des techno- ou des déco-graphismes.
Le rapport entre cette technologie et la mort se trouve ensuite inscrit dans la séquence d’ouverture de Condor, où tout un bureau de petits chercheurs et spécialistes en espionnage est liquidé, apparemment par erreur : parmi les cadavres, le claquement des traitements de texte déchire le silence, poignante surcharge sonore où les machines continuent d’affirmer leur existence en produisant du « texte » (il serait intéressant de juxtaposer cette scène au début de L’Exorciste (Friedkin, 1973), où les battements d’ailes et les grattements des poulets dans le grenier font peser une menace organique).
Mais traditionnellement, qui dit « médias » dit transports. L’incorporation des grands réseaux de circulation constitue l’un des éléments les plus beaux et les plus pertinents du film de Pollack : non pas simplement les ponts et les autoroutes démesurés de Manhattan, mais le vol New York – Washington, les extrêmes dialectiques que sont l’hélicoptère et la camionnette, et l’insertion résiduelle du réseau ferroviaire qui insinue que l’autre bout de cette carte spatiale se trouve quelque part, dans les neiges du Vermont.
Cette radiographie des médiations fonctionnelles dans l’espace fut achevée, comme programme, dans Marathon Man de John Schlesinger (1976) : quasi-anthologie des types d’espaces et de climats, ce film suggère la vocation totalisante d’une telle collection géographique, souvent nécessaire à titre de support ou d’image rémanente dans ces récits qui entendent proposer une cartographie structurale de la totalité sociale.
Il sera peut-être commode de suivre cette évolution en prenant pour précurseur de ces films une œuvre maîtresse de l’ancienne esthétique, La Mort aux trousses, d’Alfred Hitchcock. Comme son titre original le suggère, le quadrillage narratif de ce film, qui nous propulse d’une chambre d’hôtel vide à une autre située à l’autre bout de l’Amérique du Nord, rejoue cette esquisse vide des quarante-huit États que tout bon citoyen américain porte gravé dans son esprit comme un logo. Du Seagram Building de Manhattan (construit peu avant le tournage par Mies van der Rohe) à un champ de maïs de l’Illinois devenu célèbre, du quartier général de la CIA à Washington DC jusqu’à la roche du mont Rushmore couronnée par les figures des quatre Présidents américains, en passant par cette maison moderne située à proximité de la frontière canadienne – située, donc, au bord du monde lui-même (d’où les avions s’envolent pour les ténèbres du Rideau de Fer) : dans cet enchaînement, les différents paysages émettent des messages narratifs spécifiques mais complémentaires, comme si, à la toute fin de la modernité, s’opérait un retour aux langages sémiotiques de ces récits tribaux décryptés par Lévi-Strauss dans des études comme « La Geste d’Asdiwal ».
Mais la frénésie de la poursuite – dont on sait qu’elle est, chez Hitchcock, non seulement motivée par l’intrigue d’espionnage, mais plus fondamentalement par le triangle amoureux – confère à ce déplacement un peu de la passion et de la valeur de l’épistémologique : le désir de saisir la bête elle-même, comme Mailer l’a dit de ce désir nommé Le Grand Roman Américain ; l’aspiration à couvrir tout le champ et toutes les bases, habité du sentiment confus que ce gigantesque « objet petit a » contient les secrets mêmes de l’Être. En ce sens, La Mort aux trousses n’est comparable qu’à la course désespérée de Joe Chip, dans Ubik de Philip K. Dick (1969). Parti de l’ancien aéroport de La Guardia de New York pour rejoindre un funérarium de l’Iowa, il voit le temps historique se désintégrer implacablement autour de lui : les jets du futur deviennent de petits biplans, la haute technologie s’évanouit comme en rêve, et l’espace prend des proportions menaçantes – le plus brillant de tous les cauchemars de Dick, où la moindre régression dans le temps augmente lentement mais sûrement la distance qui vous sépare de l’objet du désir.
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Tout se passe comme si certains moments de la vie n’étaient en effet accessibles qu’au prix d’un certain manque de focalisation intellectuelle : comme des objets situés dans les marges de mon champ de vision et qui disparaissent quand je tourne le regard pour les fixer directement
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Marlowe visite soit des lieux que l’on ne voit pas, soit des endroits que l’on ne peut pas voir
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l’éclat momentané de l’ampoule est à la fois un meurtre et une agression sexuelle
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l me semble important d’insister sur cette fonction cognitive et expérimentale du récit afin de le distinguer d’autres représentations plus cauchemardesques de la séparation hermétique de la conscience vis-à-vis du monde extérieur (ainsi, par exemple, de la "semi-vie" des morts dans "Ubik" de Philip K. Dick). L’une des potentialités les plus significatives de la SF en tant que forme, c’est précisément cette capacité qu’elle a d’offrir quelque chose comme une variation expérimentale sur notre univers empirique ; et Le Guin a justement décrit son invention de la sexualité géthénienne comme une "expérience de pensée", dans la tradition des grands physiciens : "Einstein envoie un rayon de lumière dans un ascenseur en mouvement ; Schrödinger met un chat dans une boîte. Il n’y a pas d’ascenseur, pas de chat, pas de boîte. C’est dans l’esprit que l’expérience se déroule, dans l’esprit que la question se pose." On voudrait seulement rappeler que la "grande littérature" affirmait aussi autrefois de telles visées. Si datée que soit la notion d’hérédité que défendait Zola et si naïve qu’ait pu être sa fascination pour la description par Claude Bernard de la recherche expérimentale, le concept naturaliste du roman expérimental constituait précisément, à l’aube de l’émergence du modernisme, une réaffirmation de la fonction cognitive de la littérature. Le fait que cette assertion ait désormais perdu toute crédibilité montre simplement que l’environnement qui est le nôtre – le système total du capitalisme monopoliste tardif et de la société de consommation – nous paraît si immuable et sa réification si étouffante et impénétrable, que l’artiste sérieux n’est plus libre de le bricoler ni d’en imaginer des variations expérimentales. Les opportunités historiques offertes à la SF en tant que forme littéraire sont intimement liées à cette paralysie de la "grande littérature". Le caractère officiellement "non sérieux" ou populaire de la SF constitue un élément indispensable de sa capacité à relâcher ce tyrannique "principe de réalité" qui censure, donc handicape le grand art, et de ce fait à permettre à la forme paralittéraire d’hériter de la vocation à nous offrir des visions alternatives d’un monde qui a partout ailleurs paru résister au changement, fût-il imaginaire. (Cette description du transfert de l’une des fonctions traditionnelles les plus vitales de la littérature à la SF semble confortée par les tentatives de plus en plus marquées, dans la "littérature" actuelle – chez Thomas Pynchon, par exemple -, pour réintégrer ces capacités formelles dans le roman littéraire).
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On pourrait à mon sens montrer (et les œuvres de Philip K. Dick nous serviraient de pièces principales) que l’obsession thématique de la SF pour la manipulation à la fois comme phénomène sociale et comme cauchemar peut être appréhendée comme une projection de la forme de la SF sur son contenu. Cela ne revient pas à nier l’urgence et l’évidence que possède le thème de la manipulation dans le monde où nous vivons, mais seulement à poser qu’il existe une relation privilégiée, une harmonie préétablie entre ce thème et les structures littéraires caractéristiques de la SF. En limitant provisoirement cette généralisation à Croisière sans escale, il me semble que ce n’est pas un hasard si la question sociale fondamentale à l’œuvre dans un livre où l’auteur joue avec son lecteur (changeant constamment d’orientation, déroutant les attentes du lecteur, dévoilant de faux indices génériques, et, plus généralement, utilisant son intrigue officielle comme un prétexte pour manipuler les réactions du lecteur) est celle de la manipulation de l’homme par l’homme. Dans Croisière, nous touchons à l’union de la forme et du contenu à ce point précis où se révèle l’identité fondamentale entre la structure narrative analysée auparavant et le problème politique soulevé par la fin du livre.
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Ainsi, loin de se poser en rédempteur ou en pourvoyeur d’utopies programmatiques toutes faites pour lesquelles il ne semble du reste pas avoir beaucoup d’affection, Jameson cherche plutôt dans ce livre à comprendre et à rendre problématique le rapport que notre époque entretient au temps, c’est-à-dire aussi à la politique : il faudrait, pour dépasser cette crise d’imagination qui nous affecte, développer une "angoisse de la perte du futur". Avec ces "archéologies du futur", c’est donc bien du présent qu’il est question, et Jameson, par des voies savamment détournées, prouve encore une fois ses talents de diagnosticien.
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Si toute chose veut dire autre chose, il en va de même de la technologie. Ce serait une erreur que de vouloir réduire le menaçant objet-monde des complots allégoriques à la peur nouvelle suscitée par les systèmes d’espionnage et les informateurs dans les années 1960 : alors la droite découvrait une nouvelle génération de gadgets – juste ceux qu’il fallait ! -, et quelqu’un vous écoutait, vous, et seulement vous. J. Edgar Hoover ferait une mascotte des plus anachroniques pour le capitalisme tardif ; et si les angoisses concernant la vie privée semblent avoir reculé, son érosion, voire son abolition tendancielle, apparaît aujourd’hui comme la fin de la société civile. Tout se passe comme si nous nous préparions aux rigueurs dystopiques stéréotypées de la surpopulation dans un monde où plus personne n’a de « chambre à soi », ni de secrets dont quiconque pourrait se soucier. Mais comme toujours, la variable essentielle, c’est la catégorie abstraite de la propriété : elle dévoile ici une transition fondamentale du privé à l’entrepreneurial (the corporate) ; celui-ci démasque celui-là, et rend par conséquent problématique le système juridique sur lequel il s’est lui-même construit. Comment pourrait-il encore exister des choses privées, sans même parler de vies privées, dans une situation où presque tout ce qui nous entoure est inséré dans toutes sortes de cadres institutionnels, qui appartiennent néanmoins à quelqu’un ? telle est à présent la lancinante question qui hante la caméra qui scrute nos différents mondes vécus, à la recherche d’un objet perdu dont elle n’arrive pas vraiment à se souvenir. D’anciennes esthétiques guident ses gauches tentatives – intérieurs démodés, espaces cauchemardesques qui ne le sont pas moins, antiques objets de collection, nostalgie des artisanats – dans une situation où de nouvelles habitudes adaptées n’ont pu se former et où les boutiques d’antiquités (Balzac, La Peau de chagrin) ont toutes disparu. Non que les objets qui peuplent notre objet-monde aient rajeuni ou vieilli : ils se sont totalement transformés en instruments de communication. Et c’est cela qui remplace désormais les métamorphoses surréalistes, la ville onirique, l’espace domestique de l’homme qui rétrécit, ou l’horreur de l’organique qui caractérise une bonne part de la science-fiction, où, en effleurant un objet, on a la sensation d’être touché par une main.
Pourtant, rétrospectivement, tout ceci aurait pu, dûment récrit, constituer une anticipation de cela, dont la condition fondamentale réside dans la disparition de la Nature. Une fois son éclipse assurée, une opposition comme celle de l’animé et de l’inanimé se voit reléguer au débarras de l’histoire, lequel ressemble moins à un musée ou à une brocante qu’à l’endroit où vont les informations quand on efface accidentellement les données d’un traitement de texte. Une fois les plantes devenues des machines – et sans même qu’un souffle d’air ait balayé le paysage identique à soi -, tout objet se change en signe humain (et bouleverse, non sans qu’on s’y attende, toutes les théories du langage et des systèmes de signes). On n’a plus à présent affaire à des bêtes magiques douées de parole, ni à des « fleurs qui nous regardent à leur tour », mais à ces automates qui, dans Blade Runner (Ridley Scott, 1982) marchent sur le dernier bastion privé : anachronismes qui propulsent le présent dans le lointain futur de la technologie androïde. À présent, toutes nos choses, de quelque étoffe qu’elles soient faites, quelque finalité qu’elles servent, sont susceptibles de devenir de méchantes poupées capables de mordre avec leurs dents pointues (Barbarella, Roger Vadim, 1968).
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Dans la paralysie générale de l’imaginaire collectif ou social, auquel « aucune idée ne vient » (Karl Kraus) quand lui incombe la lourde tâche de fantasmer un système économique planétaire, le vieux motif du complot a retrouvé un second souffle, comme structure narrative susceptible de réunir les deux composantes fondamentales : un réseau potentiellement infini, ainsi qu’une explication plausible de son invisibilité ; en d’autres termes, le collectif et l’épistémologique.
Formuler les choses ainsi permet de comprendre que cette structure médiatrice et allégorique imparfaite – le complot, pas même encore le système mondial – pose de graves dilemmes représentationnels. Les récits traditionnels étaient de piètres véhicules du collectif (sauf en de rares moments de guerre ou de révolution), et la fonction de connaissance n’a jamais paru très compatible avec les Belles Lettres. Mais surgit aussi la question de la Valeur : en effet, l’allégorie de complot doit être entachée d’imperfection pour pouvoir servir de carte cognitive, qu’il serait catastrophique de prendre pour la réalité, comme le fit la Félicité de Flaubert qui, lorsqu’on lui montra une carte de La Havane, où son neveu avait débarqué, demanda à voir la maison où il séjournait).
Pour l’essentiel, l’investissement cognitif ou allégorique dans cette représentation de complot sera d’ordre inconscient : car c’est seulement là, au niveau profond du fantasme collectif, que nous pensons tout le temps au système social, là que nos pensées politiques peuvent déjouer la censure libérale et antipolitique. Ce qui signifie que la fonction cognitive du récit de complot doit pouvoir vaciller comme une image rémanente subliminale, et du même coup, que la surface de cette représentation ne saurait prétendre à la monumentalité du Grand Art (du moins jusqu’à l’avènement du postmoderne, où Grand Art et culture de masse s’interpénètrent, et confèrent un statut « artistique » à des intrigues de complot comme celles de Pynchon).
Quant à la dimension collective de cette machine herméneutique, elle se trouve propulsée dans un nouvel ordre de choses par l’intensification dialectique de l’information et de la communication, lesquelles demeurent non thématisées tant que l’on reste dans le domaine de la foule, ou dans une vue d’ensemble de la bataille de Waterloo, tel Victor Hugo dans Les Misérables. L’expansion de la technologie les a cependant transformées en problème à part entière, comme en témoignent cette thèse intitulée « La première apparition du chemin de fer dans la littérature anglaise (ou française) », ou encore Proust et ses embarrassantes Demoiselles du téléphone. Mais puisque le système mondial du capitalisme tardif (ou de la postmodernité) serait inconcevable sans les médias informatisés – technologie qui abolit l’espace et faxe dans ses branches une simultanéité inouïe -, on verra que c’est l’information qui constitue tout à la fois le problème et sa solution : les allégories propres à toute cartographie cognitive du système mondial incluront donc, outre le collectif et l’épistémologique, un troisième terme communicationnel.
Dans ce livre, nous voudrions donc explorer les nouveaux récits symptomatiques en suivant trois lignes directrices : 1. les interroger en fonction des modalités allégoriques selon lesquelles ils font de l’objet-monde le support du complot – comment ils le préparent, le disposent, le présentent, et transforment du même coup les objets qui peuplent le quotidien en technologie de communication ; 2. tester l’incommensurabilité entre un témoin individuel – personnage d’un récit qui demeure anthropomorphique – et le complot qu’il doit s’efforcer de dévoiler ; 3. la chose même : comment les éléments de l’ici-et-maintenant pourraient-ils exprimer et désigner une totalité absente et irreprésentable ? Comment les individus additionnés pourraient-ils excéder leur simple somme ? Après la fin de la cosmologie, à quoi pourrait bien ressembler un système mondial ?
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Du point de vue de la curiosité abstraite, on pourrait s’attendre à ce que le lecteur ait une réaction ambivalente : satisfait que lui soit donné la solution de l’énigme, irrité d’avoir été mené en bateau, d’avoir dû traverser tant d’épisodes qui n’avaient aucun rapport réel avec le mystère. Sur le plan esthétique, l’irritation demeure, mais transfigurée
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la comparaison entre tous les meurtres secondaires, relativement institutionnalisés (meurtres commis par des gangs, brutalités policières) et le crime privé ou domestique qui constitue l’événement central du roman et se révèle, à sa manière, tout aussi sordide et violent
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Notre distraction formelle atteint enfin son objectif fondamental : en nous détournant du but rituel de l’histoire policière – trouver le coupable, faire de lui l’Autre -, elle nous confronte, sans nous avertir, à la réalité de la mort, de la mort la plus froide, qui rappelle aux vivants ce lieu où leurs restes iront un jour reposer et pourrir
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Tous ceux qui continuent de penser que la science-fiction est affaire de science voudront certainement considérer que la trilogie de Mars relève de cette catégorie. Car si d’une part les scientifiques et autres ingénieurs comptent parmi ses principaux personnages, d’autre part on trouve là des pages et des pages de courts essais consacrés à une multitude de sujets qui relèvent assurément de la science dure, et qui pour la plupart ont trait à la terraformation : par exemple, la biochimie des roches et des solides ; la dynamique des gaz et la composition de l’atmosphère ; les aquifères et la libération de l’eau et d’autres liquides ; des micro-organismes génétiquement fabriqués et de l’ADN génétiquement reconstitué ; la radiation, la lumière, la chaleur ; la chaîne alimentaire ; la structure de la terre ; la météorologie et la dynamique du vent et du climat ; les systèmes botaniques et de classification ; la théorie des cordes et celle des champs unifiés en physique ; la mécanique de la vitesse dans le contexte astronomique et militaire. Au cours de ces brèves et ludiques explications, Robinson parvient à capter l’attention du lecteur ; et l’on aimerait savoir ce qu’en pensent les scientifiques, ou compulser un recueil d’articles écrits par des experts concernant son traitement de ces questions spécialisées, que je considère comme un mélange de conceptualisation fondée sur les toutes dernières recherches et de "spéculation" plus conventionnelle. Le critique littéraire, il est vrai, voudra placer ici un rappel : le roman propose une mimèsis de la science et de l’activité scientifique, non la chose même. (…)
À mon sens, c’est la manière dont ces faits et découvertes scientifiques sont présentés qui possède la plus grande pertinence : ils sont ici mis en scène comme données et comme matériaux bruts destinés à résoudre des problèmes, plutôt que comme éléments abstraits et contemplatifs d’une épistémologie ou d’une image scientifique du monde. Non seulement les "problèmes" – les crises, les dilemmes, les catastrophes – ont une plus grande portée dramatique que les questions de science théorique qui classiquement restent sans réponse ; mais potentiellement, ils libèrent un type d’imagination très différent, et suscitent un ensemble de propositions et de solutions bien plus folles (…).
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Car après tout, nous avons affaire, avec le mercerisme comme avec les combinés P.P., à un spectacle télévisuel interactif (l’omniprésence actuelle de cette technologie de communication est peut-être une bonne excuse pour rappeler sa nouveauté dans les années 1950, ainsi que les peurs et les préoccupations culturelles qu’elle inspirait alors, et qu’elle continue de susciter). Ainsi, nous pouvons avancer que ces épisodes englobent effectivement une méditation sur la culture de masse, hypothèse du reste renforcée par Cornel West, qui a souligné que la religion fait pleinement partie de la culture de masse américaine (ce pourquoi il déplorait qu’elle fût absente du domaine des Cultural Studies). Les drogues participent aussi, peut-être, de la culture de masse américaine ; la crainte qui, dans tous les cas, se manifeste, c’est justement celle d’une certaine "fusion" avec le médium, donc celle d’une perte de l’autonomie individuelle. La télévision relève en tout cas de ces thèmes propres au contexte des années 1950, de ces références aux événements d’alors qui, comme nous l’avons vu, sont (au même titre que la dramatisation de la poupée Barbie, alors une nouveauté) absorbés dans l’œuvre de Dick ; et l’on pourrait suggérer que si, chez Dick, les drogues et la schizophrénie sont mauvaises, ce n’est pas parce qu’elles provoquent des hallucinations, mais parce que ces hallucinations sont trop étroitement liées à la télévision.
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Voyez la capacité qu’avait Dick de traiter l’histoire. La société de consommation, la société des médias, la "société du spectacle", le capitalisme tardif – peu importe le nom que l’on donne à ce moment – se caractérise par la perte du sens de l’histoire, non seulement du passé mais aussi des futurs. Cette incapacité à imaginer la différence historique – ce que Marcuse appelait l’ "atrophie de l’imagination utopique" – constitue un symptôme pathologique du capitalisme tardif bien plus significatif que le "narcissisme". L’ "art de nostalgie", d’ "American Graffiti" aux romans (du reste excellents d’ E.L. Doctorow, témoigne non d’un intérêt pour le passé, mais plutôt de sa transformation en une série de purs stéréotypes. Quant aux vieilles leçons de la théorie et de la pratique révolutionnaires, elles sont souvent – même elles – viciées par la nostalgie historique ("Reds" est aussi un film de nostalgie historique, hélas !).
On conçoit généralement la science-fiction comme la tentative d’imaginer des futurs inimaginables. Mais au fond, son sujet n’est peut-être autre que notre propre présent historique. L’avenir des romans de Dick rend notre présent historique en le transformant en passé d’un futur de fantasme, ainsi dans les passages les plus électrisants de ses livres.
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Car ce sont finalement ses connotations politiques qui empêchent ce nouveau paradigme [NDA : celui d'une médicalisation orchestrée de la vie éternelle] de régresser au rang d’accessoire scientifico-technologique d’un Âge d’or de la SF depuis longtemps révolu. L’idée selon laquelle, dans le conservatisme croissant des années Reagan, la SF s’est rabattue sur des centres d’intérêt plus scientifiques (ou, mieux, que dans une dissociation de la sensibilité à la Eliot, ses énergies se sont divisées entre d’une part ce retour à la science, et d’autre part une reddition à la production à multiples tomes de la fantasy), cette idée paraît assez plausible, mais il serait indiqué de la nuancer. Je pense en effet que la fascination actuelle pour la science dure est tout aussi sociologique qu’épistémologique, notamment du fait de l’énorme récupération, aux États-Unis, de la science dure par les secteurs des affaires et de la défense. Cela signifie que, si nous avons un intérêt pour la science contemporaine, alors nous ne nous intéressons pas seulement aux théories mais aussi à la mécanique de l’expérimentation – aux procédures d’attribution de subventions, au lobbying grâce auquel les équipements nécessaires (des télescopes géants aux coûteux accélérateurs de particules) trouvent leurs sources de financement. Ce qui nous conduit enfin à un intérêt pour la psychologie des nouveaux scientifiques qui ont, peut-être depuis "La double hélice", commencé à supplanter les artistes traditionnels comme déguisements caractérologiques et expressions déformées de la représentation de ce que pourrait être un travail utopique non aliéné. Mais à l’évidence, au moment où nous commençons à nous intéresser à l’activité scientifique comme question de collectif ou de corporation, en termes de professionnalisme, de dispositions et d’aptitudes psychologiques socialement déterminées – en d’autres termes, à la science yuppie, si je puis m’exprimer ainsi -, à ce moment, nous ne sommes pas loin de la réapparition convulsive de la politique générale.
Comment pourrait-il en être autrement dans une situation où les problèmes psychologiques les plus intimes de soin gériatrique et de médecine contraceptive font, au milieu des problèmes par trop physiques des SDF et de l’administration massive et systématique de médicaments aux patients âgés ou à ceux qui souffrent de troubles psychiatriques, quotidiennement l’objet de l’attention des médias ? dans une situation où l’on débat des salaires de ceux qui sont désignés par euphémisme de "fournisseurs de soins de santé" avec autant d’acrimonie que des primes annuelles des grands patrons ? Dans une situation où la privatisation des hôpitaux devient affaire de profit et de business, et où l’on sollicite l’investissement dans l’ensemble de "l’industrie de la santé" ? Dans ce climat, non seulement l’organisation de tous les corps professionnels, y compris des scientifiques, se voit instantanément ramenée à la micropolitique, mais les privilèges politiques spécifiquement liés à la santé ne sauraient qu’atteindre un niveau panique si l’on y ajoutait l’éventualité que l’on pourrait être choisi pour vivre éternellement, sans doute en payant cash."
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