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Citation de Lutopie


comment nom d'un bordel vais-je me dépatouiller pour échapper au nouvel ambassadeur Fischer qui m'a proposé de dénoncer l'existence d'un fléau de fièvre jaune pour justifier un débarquement de marines conformément à notre traité d'assistance mutuelle et cela durant toutes les années qui seront nécessaires pour revivifier la patrie moribonde, et il avait aussitôt répliqué pas de conneries, fasciné par cette évidence qu'il était en train de vivre à nouveau aux origines de son régime quand il avait eu recours au même procédé pour disposer des pouvoirs d'exception de la loi martiale devant une grave menace de soulèvement populaire, il avait décrété l'état de peste, on avait planté le drapeau jaune sur le mât du phare, on avait fermé le port, supprimé les dimanches, interdit de pleurer les morts en public et de jouer des airs à leur mémoire, il avait exhorté les forces armées à veiller à l'application du décret les autorisant à disposer à leur gré des pestiférés, de sorte que les troupes portant des brassards sanitaires trucidaient publiquement les gens de toute condition, signalaient d'un cercle rouge les portes des maisons suspectes de désaccord avec le régime, marquaient au fer à vache le front des simples contrevenants, gouines et pédés tandis qu'une mission médicale réclamée d'urgence à son gouvernement par l'ambassadeur Mitchell s'occupait de préserver de la contagion les habitants de la maison présidentielle, ramassait par terre du caca de ses bâtards pour l'analyser avec des verres grossissants, jetait dans les jarres des pastilles de désinfectant, faisait avaler des larves de moustiques aux animaux des laboratoires, et lui par l'intermédiaire de l'interprète leur disait mort de rire ne soyez pas si cons, misteurs, la peste ici c'est vous, mais ils insistaient si si, par ordre supérieur la peste existait, ils préparèrent un miel préventif, épais et verdâtre, avec lequel ils vernissaient de la tête aux pieds tous les visiteurs sans distinction des plus ordinaires aux plus illustres, ils les obligeaient à se tenir à distance dans les audiences, eux debout sur le seuil et lui assis au fond là où leur voix mais non leur haleine lui parvenait, il parlementait à grands cris avec des gens nus issus de vieilles familles qui gesticulaient d'une main, excellence, et qui de l'autre cachaient leur petit oiseau rachitique et peinturluré, tout cela pour préserver de la contagion celui qui avait imaginé dans l'abattement de l'insomnie jusqu'aux détails les plus banals de la fausse calamité, qui avait inventé des bobards telluriques et répandu des prévisions d'apocalypse en accord avec son critère moins les gens comprendront et plus ils auront les jetons, et c'est à peine s'il sourcilla quand un de ses aides de camps, livide d'épouvante, se mit au garde-à-vous et lui annonça mon général la peste est en train de faire une terrible hécatombe dans la population civile, si bien qu'à travers les vitres teintées du carrosse présidentiel il avait vu le temps interrompu sur son ordre dans les rues abandonnées, vu le vent ahuri sur les drapeaux jaunes, vu toutes les portes closes même celles des maisons oubliées par le cercle rouge, vu les charognards repus sur les balcons, vu les morts, les morts, les morts, il y en avait tellement et partout qu'il était impossible de les compter dans les bourbiers, entassés au soleil sur les terrasses, allongés sur les légumes du marché, des morts en chair et en os mon général et qui pourrait dire combien ils sont, car ils étaient beaucoup plus nombreux qu'il ne l'aurait voulu parmi les hordes de ses ennemis jetés comme des chiens crevés dans les boîtes à ordures, et planant sur la pourriture des corps et la fétidité familière des rues il avait reconnu l'odeur du fléau de la peste, pourtant il ne se troubla pas, il ne céda à aucune requête tant qu'il ne se sentit pas à nouveau maître absolu de tout son pouvoir
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