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Citation de Alixone


Le lendemain de ce jour néfaste, M. le secrétaire perpétuel Hippolyte Patard pénétra sous la voûte de l’Institut sur le coup d’une heure. Le concierge était sur le seuil de sa loge. Il tendit son courrier à M. le secrétaire perpétuel et lui dit :
« Vous voilà bien en avance aujourd’hui, monsieur le secrétaire perpétuel, personne n’est encore arrivé. »
M. Hippolyte Patard prit son courrier, qui était assez volumineux, des mains du concierge, et se disposa à continuerson chemin, sans dire un mot au digne homme. Celui-ci s’en étonna.
«M. le secrétaire perpétuel a l’air préoccupé. Du reste, tout le monde est bouleversé ici, après une pareille histoire ! »
Mais M. Hippolyte Patard ne se détourna même pas. Le concierge eut le tort d’ajouter :
« Est-ce que M. le secrétaire perpétuel a lu ce matin l’article de L’Époque sur le Fauteuil hanté ? »
M. Hippolyte Patard avait cette particularité d’être tantôt un petit vieillard frais et rose, aimable et souriant, accueillant, bienveillant, charmant, que tout le monde à l’Académie appelait « mon bon ami » excepté les domestiques bien entendu, bien qu’il fût plein de prévenance pour eux, leur demandant alors des nouvelles de leur santé; et tantôt, M. Hippolyte Patard était un petit vieillard tout sec, jaune comme un citron, nerveux, fâcheux, bilieux. Ses meilleurs amis appelaient alors M. Hippolyte Patard : « M. le secrétaire perpétuel », gros comme le bras, et les domestiques n’en menaient pas large. M. Hippolyte Patard aimait tant l’Académie qu’il s’était mis ainsi en deux pour la servir, l’aimer et la défendre. Les jours fastes, qui étaient ceux des grands triomphes académiques, il les marquait du Patard rose, et les jours néfastes qui étaient ceux où quelque affreux plumitif avait osé manquer de respect à la divine institution, il les marquait du Patard citron.
Le concierge, évidemment, n’avait pas remarqué, ce jour-là, à quelle couleur de Patard il avait affaire, car il se fût évité la réplique cinglante de M. le secrétaire perpétuel. En entendant parler du Fauteuil hanté, M. Patard s’était retourné d’un bloc.
« Mêlez-vous de ce qui vous regarde, fit-il ; je ne sais pas s’il y a un fauteuil hanté ! Mais je sais qu’il y a une loge ici qui ne désemplit pas de journalistes ! A bon entendeur, salut ! »
Et il fit demi-tour, laissant le concierge foudroyé.
Si M. le secrétaire perpétuel avait lu l’article sur le Fauteuil hanté ! Mais il ne lisait plus que cet article-là dans les journaux, depuis des semaines ! Et après la mort foudroyante de Maxime d’Aulnay, suivant de si près à la mort non moins foudroyante de Jehan Mortimar, il n’était pas probable, avant longtemps, qu’on se désintéressât dans la presse d’un sujet aussi passionnant !
Et cependant, quel était l’esprit sensé (M.Hippolyte Patard s’arrêta pour se le demander encore)...quel était l’esprit sensé qui eût osé voir, dans ces deux décès, autre chose qu’une infiniment regrettable coïncidence ? Jehan Mortimar était mort d’une congestion cérébrale, cela était bien naturel. Et Maxime d’Aulnay, impressionné par la fin tragique de son prédécesseur, et aussi par la solennité de la cérémonie, et enfin par les fâcheux pronostics dont quelques méchants garnements de lettres avaient accompagné son élection, était mort de la rupture d’un anévrisme. Et cela n’était pas moins naturel. […]
« Qu’ya-t-il donc de plus naturel, se fit-il à lui-même, que la rupture d’un anévrisme ? C’est une chose qui peut arriver à tout le monde que de mourir de la rupture d’un anévrisme, même en lisant un discours à l’Académie française !... »
Il ajouta :
« Il suffit pour cela d’être académicien ! »
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