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Critiques de Geof Darrow (33)
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Hard Boiled

Il ne manque pas un seul détail dans cette histoire très noire.

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Un laborantin avec blouse blanche et un pull marqué d'un gros code barre court dans des couloirs métalliques : il doit absolument avertir monsieur Willeford que l'unité quatre dépasse la mesure. La scène passe à un homme en pardessus acculé contre un mur en train d'apostropher son assaillant. La double page suivante décrit un carnage sans nom dans lequel le chaos et les détails se disputent la suprématie. Nixon est soumis à une grêle de balles innombrables tirées depuis de lourdes armes à feu montées sur une belle voiture jaune. La voiture massive percute Nixon de plein fouet et traverse le mur contre lequel il se tenait. Ils atterrissent dans une sorte de galerie couverte abritant un baisodrome avec spectateurs. Le massacre continue jusqu'à une explosion encore plus massive. Après passage dans un laboratoire, Nixon est prêt à reprendre sa vie de banlieusard auprès de sa femme et de ses 2 enfants, jusqu'à sa prochaine journée de travail.



Cette histoire est parue pour la première fois en 3 épisodes publiés de 1990 à 1992 par Dark Horse comics. La raison de cette publication étalée se voit clairement : Geoff Darrow (l'illustrateur) a eu besoin d'énormément de temps pour terminer ses planches. Il faut parcourir les pages pour avoir un premier aperçu de l'obsession maniaque du détail qui tenaille Darrow. Dès le début, le lecteur est assailli par les pleines pages qui abondent dans cet ouvrage. La majorité desdites pleines pages regorgent de détails jusqu'à l'overdose. Lorsque la voiture traverse le mur, le lecteur se trouve face à une pleine page gorgée d'éléments minutieux. Sur cette page il y a donc la voiture qui défonce le mur ; il y a au bas mot 60 briques de dessinées, chacune d'une forme différente attestant de l'impact particulier qu'elle a subi. Il y a une quinzaine de couples en train de copuler sur l'estrade prévue à cet effet, chacun dans une position différente. Il y a également quatre vingt spectateurs au bas mot, chacun différent de son voisin en termes de visage, de coiffure, de vêtements, de posture, etc. Et le lecteur découvre au fur et à mesure de l'observation de cette pleine page des activités secondaires inattendues allant de la blague visuelle à la provocation politiquement incorrecte, voire trash (saurez-vous repérer le vibromasseur ?). Et en dessinateur consciencieux, Darrow a également pris soin d'intégrer les descentes d'eaux pluviales, ainsi que les câbles alimentant en énergie ce secteur. Et comme il ne manque pas d'humour, il a affublé chacun des spectateurs d'un bandeau noir sur les yeux pour que le lecteur ne puisse pas les identifier. On peut quand même s'interroger sur les intentions de la dame habillée qui s'apprête à utiliser une tronçonneuse souillée. Darrow fait également preuve d'une composante méchamment punk. Il éparpille dans ses illustrations des attaques sur le mode de vie américain (pour ma part j'ai beaucoup apprécié le distributeur automatique d'armes à feu). En faisant attention, vous repérerez également quelques références à d'autres œuvres de Miller (par exemple un logo de la Pax en provenance directe des aventures de Martha Washington). En plus de ces pleines pages et doubles pages, il ya des séquences plus traditionnelles de suite de cases qui sont tout aussi efficaces et tout aussi bourrées de détails. Le lecteur ne dispose que de quelques pages en petit nombre pour se reposer les rétines et elles sont assez espacées les unes des autres. Cette histoire ne se lit donc pas comme les autres bandes dessinées ; il faut beaucoup de temps pour déchiffrer chaque illustration, et les visuels comprennent plus de provocations que le scénario. Cette surcharge d'informations visuelles peut rebuter.



À l'époque, Frank Miller a clairement indiqué qu'il arrêtait de travailler pour Marvel et DC comics pour se lancer sur des projets plus personnels pour lesquels il garderait les droits d'édition. Son premier acte a été de trouver un nouvel éditeur : Dark Horse, puis des dessinateurs pour travailler sur ses projets. À la lecture des 2 premiers épisodes, le lecteur est en droit de se demander s'il existe un scénario pour cette histoire. Tout n'est qu'une suite de confrontations entre Nixon et 2 opposants aussi implacables que lui, tout n'est que prétexte à débauche de matériaux brisés, d'objets et de bien matériels fracassés et d'êtres humains déchiquetés. Arrivé aux deux tiers de l'ouvrage, le lecteur est en droit de penser que le scénario tient sur un timbre poste et que le dernier tiers n'apportera qu'une baston extrême de plus. Et bien, sans rien révéler, je puis vous dire qu'il n'en est rien. Bien sûr, Miller a écrit surtout pour que Darrow puisse solliciter nos rétines au delà du raisonnable, mais au-delà des fracas incessants il y a bien une histoire avec une fin claire et sans concession. Toute cette violence démesurée est l'expression d'un conflit qui n'est révélé qu'à la fin qui s'avère bien noire.



Frank Miller et Geoff Darrow ont également réalisé Big Guy en 1995, un récit fortement influencé par Astro d'Osamu Tezuka et qui a été adapté en dessins animés.
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The shaolin cowboy, tome 2 : Buffet à volonté

Ce tome fait suite à la précédente histoire de 2004-2007, rééditée en par Futuropolis : The Shaolin cowboy : Start trek. Il comprend la deuxième histoire réalisée par Geoff Darrow, initialement publiée sous la forme de 4 comics parus 2013/2014. Darrow réalise le scénario, les dessins et l'encrage. La mise en couleurs est assurée par Dave Stewart. Il s'agit d'un album en couleurs au format européen, avec couverture rigide, à la finition très soignée.



Ce tome s'ouvre avec un résumé de 2 pages, un texte écrit en petits caractères. Il évoque la vie du cowboy Shaolin, depuis sa mise à la porte du temple, jusqu'à la situation dans laquelle le lecteur l'avait quitté à la fin de sa première aventure.



Il s'en suit 127 pages de bandes dessinées. Le cowboy Shaolin émerge de terre, dans une zone désertique du Texas. Il se dirige vers la ville la plus proche (Palinsbush), avec une horde de zombies à ses trousses. Du fait de circonstances indépendantes de sa volonté, il n'a d'autre choix que de faire demi-tour et d'affronter ces centaines de zombies, uniquement armé de 2 tronçonneuses fixées au bout d'une longue tige de bambou.



C'est indescriptible, aucun texte ne peut rendre compte de l'expérience picturale qui attend le lecteur au fil des pages. Pour commencer le long texte d'introduction est une réussite impressionnante d'humour absurde et référentiel, les tribulations du cowboy Shaolin défiant l'entendement. Cela vaut la peine de prendre le temps de lire à tête reposée ce texte en petits caractères qui regorgent de trouvailles humoristiques, tout aussi touffues que les dessins de Darrow.



Soit le lecteur a déjà lu des BD dessinées par cet artiste (Hard Boiled, Rusty the boy robot), soit il a feuilleté "Shaolin cowboy" avant de l'acheter et il a été enthousiasmé par le niveau de détails des dessins, et la nature du récit (débiter du zombie au kilomètre). Pourtant il n'a pas encore pu prendre la mesure de l'expérience dans laquelle il se lance.



Côté intrigue, c'est vite vu : le cowboy Shaolin débite du zombie pendant 100 pages. C'est aussi mince que ça ? Oui, il y a environ 10 pages qui ne sont pas consacrées à occire de la chaire putréfie, sur 127.



Côté dessins, Geoff Darrow n'a rien perdu de son obsession maniaque du détail minuscule. La première page est trompeuse car il n'y a qu'une tête de crapaud dépassant d'un rocher, laissant 90% de ce dessin pleine page au ciel, paré d'un joli camaïeu tout en retenu composé par Dave Stewart. Dans les 2 pages suivantes, le lecteur glisse progressivement dans la représentation obsessionnelle de Geoff Darrow. Il dessine les rochers, sans en oublier une seule aspérité et en prenant bien soin de conserver une cohérence de forme d'une case à l'autre, même si l'angle de vue a changé.



Dans n'importe quel comics (et dans une moindre mesure dans une BD), le lecteur a appris qu'une séquence se déroulant dans un désert permet à l'artiste de s'économiser sur les décors, esquissant vaguement 2 ou 3 rochers à l'aide de 2 traits. Ici, Geoff Darrow les représente avec une application méticuleuse, une cohérence spatiale d'une case à l'autre, et il rajoute des détails. Ces derniers peuvent être des graffitis sur les rochers, ou des déchets au sol.



Alors que le lecteur s'attend à une forme de pauvreté visuelle du fait de la localisation de l'action, son œil doit déchiffrer et transmettre une myriade d'informations visuelles liées au décor. Darrow applique le même principe sur les zombies. Alors qu'il s'agit d'individus nus et décharnés (= sans grande caractéristique visuelle), ils sont tous singularisés par des particularités anatomiques différentes. Ce degré de méticulosité relève de l'obsession pathologique.



Geoff Darrow refuse le principe d'effectuer un choix dans son mode de représentation. Il refuse la façon de voir qui serait de considérer un dessin comme une représentation simplifiée de ce que perçoit l'œil, comme une photographie dans laquelle l'artiste n'aurait retenu que les éléments qu'il souhaite mettre en avant. Au contraire, il représente avec application et obsession tous les détails, en en rajoutant si possible. Le lecteur regarde donc des dessins comprenant plus d'informations visuelles que son œil ne pourrait en percevoir dans la réalité.



Ce mode représentatif constitue une forme d'exigence qui répond à une attente implicite de certains lecteurs : en avoir pour son argent, avoir le plus de détails possibles, avoir des cases regorgeant de détails jusqu'au maximum. L'un des tours de force réalisés par Geoff Darrow est dessiner ces cases gorgées d'informations, sans qu'elles n'en deviennent illisibles. Par comparaison avec n'importe quelle autre bande dessinée, le lecteur est stupéfait par la lisibilité et la densité d'informations.



Bien sûr, cette forme graphique exige une attention soutenue de la part du lecteur. Il en a pour son argent, mais l'écœurement n'est pas loin. Il peut (1) soit s'arrêter à une impression globale de l'image (la position du cowboy Shaolin, son geste, la position des zombies qui l'entourent), (2) soit décider d'assimiler tous les détails.



Dans le premier cas, il regarde un monsieur un peu bedonnant débiter des zombies au kilomètre. C'est une lecture un peu particulière qui permet d'apprécier le sérieux de l'engagement de Darrow dans son histoire. C'est un long combat d'un guerrier maîtrisant des techniques d'arts martiaux légèrement exagérées, contre des créatures sans âmes. Darrow raconte ce combat, sans raccourci, sans rien épargner. Il conçoit une mise en scène sophistiquée, avec une chorégraphie intelligente. Le lecteur peut reconstituer chaque mouvement du cowboy Shaolin, chaque déplacement. Chaque suite de cases respecte la logique des déplacements, l'emplacement de chaque obstacle, la position de chaque zombie.



Darrow est un metteur en scène exigeant et intelligent : le déroulement de chaque scène est planifié avec rigueur de manière à ce que chaque mouvement ou déplacement s'enchaîne de manière naturelle. En fonction que l'implication du lecteur dans ce genre de séquence (un combat de 120 pages), il trouvera soit le temps long, soit une expérience de lecture où l'artiste s'est investi totalement dans la création d'une séquence toute entière dédiée à ce combat.



Plus le lecteur a une culture de ce genre très pointu, plus il sera à même d'apprécier l'exploit graphique réalisé par Geoff Darrow. C'est hors norme. C'est le développement logique d'une passion démesurée pour les combats mêlant arts martiaux sublimés, et opposants sans âme (= chair à canon qu'il faut exterminer, sans avoir de remord).



Finalement cette première approche de lecture (sans trop s'attarder sur les dessins) conduit le lecteur à prêter attention à certaines cases. Ce tome contient en particulier un plan séquence hallucinant de 44 pages pendant lequel le cowboy Shaolin se sert de son bâton-tronçonneuse pour exterminer les zombies qui n'arrêtent pas d'affluer vers lui. C'est long, c'est très long. C'est au-delà de l'obsession, c'est engagement total, vital dans la création d'une scène ultime, indépassable. C'est aussi idiot et inutile, que formidable et magistral.



Ces 44 pages composent 22 doubles pages comportant chacune 2 cases superposées, de la largeur de la double page. La qualité de l'édition fait qu'aucun détail n'est perdu dans la pliure grâce à une reliure qui permet d'ouvrir l'ouvrage complètement, sans crainte de l'endommager (attention exceptionnelle portée à la qualité de finition). Seul le lecteur bien préparé (d'un point de vue mental) peut se révéler digne de cette séquence.



Seul un lecteur totalement impliqué dans ce sous-sous-genre ultra-pointu peut trouver la force de s'impliquer dans cette séquence. Soit il accepte et il veut détailler chaque case, chaque jambe de zombies (il y a des tatouages), chaque déchet au sol, chaque membre tranché, chaque posture gauche de ces créatures, chaque pas en avant, chaque moulinet du cowboy Shaolin, chaque giclée de sang (permettant de visualiser la trajectoire des tronçonneuses), chaque progression de cafard, et il s'immerge alors dans un combat d'anthologie dont il ne perd aucun détail.



Soit il refuse cet investissement de concentration et d'attention, et il se demande pourquoi il perd son temps à lire ça. Ce récit n'est pas pour les tièdes. L'implication totale de Geoff Darrow, son investissement et sa compétence artistique exigent un investissement à la hauteur de la part du lecteur.



Ce récit n'est pas à destination de lecteurs à la recherche d'une intrigue sophistiquée. D'un côté, elle tient sur un timbre-poste. De l'autre côté, une séquence ou deux laissent supposer que Darrow a peut-être réorienté son récit en cours de route (les 3 pages incongrues consacrées à la station spatiale). L'intrigue réside dans la conception et la réalisation de cet affrontement sans équivalent connu dans l'histoire de la bande dessinée.



Geoff Darrow a conçu et réalisé un monstre, à réserver à des lecteurs avertis. Ce n'est pas la conséquence de la violence, ou de l'intrigue riquiqui. "Shemp buffet" raconte un combat dans ses moindres détails, avec un mode narratif des plus exigeants, hors norme, proche de la folie, réservé à des lecteurs consentants et expérimentés. Contrairement aux apparences de combat décérébré, ce récit est une preuve concrète du refus de la médiocrité, du refus du politiquement correct, du refus du tiède, du refus du conformisme, du refus de la facilité. C'est une ode à l'exigence, à l'excellence, à la maestria. Avec Geoff Darrow l'essentiel est à rechercher dans le superflu, cette chose très nécessaire comme le disait Voltaire.
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Big Guy & Rusty le garçon robot

Cet album comprend deux histoires et quelques couvertures imaginaires de magazines

Les histoires font référence à quelques personnages de la littérature SFFF japonaise pour ados, Astro Boy et Godzilla en particulier. Le graphisme est très fouillis, chaque illustration foisonne de détails de foules, de villes, du monstre, de mécanique… Ces illustrations sont un régal. Le ton du récit est à prendre au second degré, les auteurs nous servent un scénario digne des Powers Rangers, un peu lourdingue, avec des dialogues caricaturaux, il se moquent du genre tout en reprenant ses codes. J’ai aimé ce décalage et le rapport entre le dessin minutieux et le récit caricatural. Cependant, la première histoire, “Rusty seul face au danger”, est un peu longue et parfois le second degré devient la tarte à la crème, et finit par ne plus faire rire, les dialogues pompeux sont trop insistants et répétitifs. J’ai trouvé l’humour plus efficace dans les fausses couvertures de magazine, et la seconde histoire, “La terreur infernale de la fête nationale”, nettement plus courte, fonctionne mieux. Chaque vignette, chaque illustration est une petite merveille, mais je suis donc moins convaincu par le récit.
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The shaolin cowboy : Start trek

De 2004 à 2007, Geof Darrow a publié 7 numéros d'une série intitulée The shaolin cowboy. Ces épisodes ont été écrits, dessinés et encrés par Geoff Darrow, avec une mise en couleurs réalisée par Peter Doherty, Lovern Kindzierski et Alex Wald. Cette histoire a d'abord bénéficié d'une réédition en anglais en 2014, par Burlyman Entertainment.



A une époque indéterminée (fin du dix-neuvième siècle ?), un cowboy progresse dans un désert de sable non identifié, à dos d'âne. Le cowboy ne porte pas de nom, l'âne s'appelle Lord Evelyn Dunkirk Winniferd Esq. the Third. Le cowboy ne parle quasiment pas ; l'âne est intarissable, un vrai moulin à paroles. Dans ce désert, ils tombent face au gang (très nombreux) du Roi Crabe. Ce dernier explique au cowboy pourquoi il lui en veut, avant un affrontement d'anthologie.



A la suite de ce combat dantesque, le cowboy poursuit sa route, et aperçoit un enfant tout juste en âge de marcher, aux 2 mains ensanglantées. Alors qu'il s'en approche 3 démons surgissent des sables, et celui en forme de squelette attaque le cowboy. Au cours de cet affrontement titanesque, un énorme dinosaure se soulève des sables ; il porte une ville fortifiée sur son dos. L'âne progresse sur son dos vers les portes de la cité en protégeant le bébé, alors que le combat entre la tête du squelette et le cowboy se poursuit dans les entrailles du mastodonte.



Geoff Darrow est connu pour avoir illustré 2 récits écrits par Frank Miller : Hard Boiled et The Big Guy and Rusty the boy robot. Il a également travaillé avec les frères Wachowski comme concepteur graphique sur la Trilogie Matrix et sur Speed Racer. Il réalise des dessins avec un niveau de détails obsessionnel.



Au cours de ces 7 épisodes, Shaolin cowboy se bat contre un tel nombre d'adversaires qu'il finit par s'agir d'une armée de belle taille, avec des mouvements de plus en plus impossibles, et des armes qui laissent songeur. L'histoire se termine sur un suspense non résolu. Une bonne partie de l'action se déroule dans un désert de sable, avec quelques formations rocheuses, ce qui chez un autre dessinateur aurait été la marque d'une paresse, pour ne pas avoir à dessiner de décors.



Pour le lecteur qui a déjà lu du Geoff Darrow, il sait qu'il va trouver des cases bourrées à craquer de détails, des combats très brutaux et une forme discrète de second degré. Dès la première page (un dessin pleine page du désert vu du ciel), Darrow prouve par l'exemple son obsession du détail. Les formations rocheuses ne sont pas vaguement esquissées à grands traits, mais chaque excroissance, chaque plissement est marqué par un trait fin. Les nuages sont également représentés avec minutie. Il est possible de distinguer chacun de la dizaine de volatiles évoluant dans le lointain.



Il en va de même pour les personnages. La présentation des membres du gang du Roi Crabe s'étale sur 10 pages (avec un découpage très inattendu), détaillant des dizaines d'individus chacun avec une morphologie et une tenue vestimentaire différente, et dessinée avec précision.



Tout au long de ces 200 pages, le lecteur peut donc se repaître de dessins très denses en informations visuelles, jusqu'à satiété. Ce qui est proprement incroyable, c'est que malgré la profusion de détails minuscules, chaque case reste immédiatement lisible. La composition de chaque case a été conçue de telle sorte à ce que les principaux éléments soient immédiatement assimilables par le lecteur.



Lors d'une séquence, le cowboy éventre un requin à l'aide d'une tronçonneuse, et tous les objets contenus dans son ventre s'éparpillent dans sa trajectoire. Il doit y a avoir plusieurs centaines d'objets de petite taille. Si le cœur lui en dit, le lecteur peut prendre le temps de tous les observer. Il aura la surprise de tous les reconnaître, sans difficulté. Le seul défaut mineur dans la représentation des objets éparpillés (dans cette scène comme dans d'autres) réside dans le fait que Darrow les répartit de manière uniforme sans tenir compte des irrégularités dans le mouvement (ou ailleurs dans le relief).



Pour pouvoir apprécier cette approche graphique, il faut donc que le lecteur ait un goût pour cette interprétation obsessionnelle de la réalité. Il faut également qu'il ait un goût pour la violence, ou en tout cas qu'il soit capable de l'apprécier comme un facteur de divertissement. Le cowboy shaolin se bat pour défendre sa vie, avec des armes à feu ou des armes blanches. Il tue sans remord, tranche sans pitié et perfore sans regret. Le sang gicle, les membres tombent, les tripes se retrouvent à l'air. Geoff Darrow chorégraphie et les affrontements et réalise de magnifiques séquences très cinématiques. C'est un rare plaisir que de pouvoir découvrir des séquences aussi minutieuses et aussi intelligentes dans la conception de leur déroulement.



L'accumulation de combats magnifiques n'a rien de réaliste. Il s'agit d'un exercice de style dans lequel l'auteur prouve sa dextérité et son imagination à concevoir et mettre en scène des affrontements défiant l'entendement. Rien que pour ça, ces épisodes sont d'une qualité exceptionnelle, et constitue un divertissement de haut vol. Mais le plaisir de lecture ne s'arrête pas là.



Darrow est conscient de la nature parodique de sa narration, et il en joue. Il se permet des rebondissements qui défient l'entendement et la plausibilité. Il est impossible de croire à cette cité fortifiée perchée sur un dinosaure aux proportions gigantesques, et encore au moins au combat qui s'en suit dans ses entrailles entre le cowboy et un requin guidé par la tête d'un revenant. L'apparence du Roi Crabe dépasse aussi les possibilités de suspension consentie d'incrédulité. Aux yeux du lecteur, ces éléments participent d'une forme d'humour absurde, qui se marie bien avec les autres composantes humoristiques.



D'un côté il y a le cowboy au sérieux imperturbable, aux mots rares et pesés. De l'autre côté, il y a l'âne pourvu d'une personnalité sarcastique. Ses propos sont très drôles, et contiennent une quantité de jeu de mots impressionnante. Son débit fait un penser à celui d'Eddie Murphy, avec la même forme de moquerie impertinente. Geoff Darrow sait également manier un humour visuel assez noir. Dès la page 7, le cowboy se débarrasse des douilles vides dans son pistolet, en les faisant tomber dans la bouche ouverte de l'ennemi qu'il vient d'abattre, comme s'il s'agissait d'une poubelle ou d'un cendrier. Dans la page précédente, le lecteur remarque également qu'il peut détailler toutes les particularités du sexe de l'âne. Pour un lecteur de bandes dessinées, cette absence de pudeur de la part du dessinateur constitue également une forme d'humour, dans la mesure où il indique par là qu'il refuse de se soumettre aux règles de bienséance implicites de ce medium.



L'intrigue est donc assez mince puisqu'il s'agit pour le cowboy (bien aidé par son âne) de survivre aux attaques qu'il subit en tuant tout le monde (ou peu s'en faut), et par la suite de protéger cet étrange bébé. A l'évidence le divertissement n'est pas à chercher dans l'intrigue.



Ces 7 épisodes forment une histoire incomplète d'une rare densité narrative, du fait de dessins détaillés jusqu'à l'obsession. L'intérêt principal est donc de se repaître de ces représentations maniaques. Le plaisir provient également de la qualité exceptionnelle de la narration graphique, de la personnalité de l'âne, de l'inventivité des situations, de l'imagination débridée jusqu'à l'absurde et de l'humour (noir) omniprésent. Geoff Darrow a écrit et dessiné la suite de ces aventures hors norme : The Shaolin Cowboy: Shemp Buffet, publié par Dark Horse Comics.
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Shaolin Cowboy: Who'll Stop the Reign?

Ce tome fait suite à The Shaolin Cowboy: Shemp Buffet (2013/2014) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant pour la compréhension, mais ce serait se priver d'un tel monument. Cette histoire est d'abord parue sous la forme de 4 épisodes, initialement publiés en 2017, écrits, dessinés et encrés par Geoff Darrow. La mise en couleurs a été réalisée par Dave Stewart, et le lettrage par Nate Piekos.



Trois vautours sont en train de planer au-dessus d'une zone désertique du Nevada. Ils évoquent le cadavre de raton-laveur dont l'un d'eux s'est délecté, et le charnier qu'ils voient sous eux : un festin international, avec des cadavres d'italiens, de français, de mexicains, d'allemands et peut-être même un lituanien. Ils repèrent également le cadavre d'un chinois, ou peut-être d'un japonais. L'un d'eux se dirige vers celui-ci pour y goûter. Bien qu'il soit dans un piteux état, grièvement blessé, Shaolin Cowboy trouve la force de prendre le vautour à la gorge et de serrer assez fort pour que ses yeux soient projetés en dehors de leur orbite et atteigne chacun un vautour, transperçant leur crâne. Toujours à demi conscient, allongé au sol, Shaolin Cowboy a la vision de son maître Shaolin lui indiquant qu'il a en lui la force de se remettre, puis celle d'un cowboy urbain lui indiquant qu'il faut qu'il se relève. Même son âne lui apparaît pour lui intimer de se relever. Tant bien que mal, Shaolin Cowboy se relève en vacillant. Il revoit son maître lui enseignant la guérison par l'acupuncture et les points de pression, le cowboy qui lui indique que lui boit du café pour se remettre en selle, et l'âne qui lui dit qu'il faut faire quelque chose sinon il va décliner. Shaolin Cowboy s'applique lui-même 12 points de pression : Shaoyin, Shaoyang, Sahoyang Sanjiao, Ren Mai, Du Mai, Chong Mai, Dai Mai, Yin Wei Mai, Yeng Wei Mai, Yin Quiao Mai, Yang Qioa Mai.



Même si ses mains sont encore ensanglantées et qu'il n'est pas bien vaillant, il se met à marcher en titubant et en crachant du sang. Il arrive au bord d'une nationale inter-état. Les voitures et les camions défilent, mais personne ne s'arrête. Shaolin Cowboy finit par s'asseoir en tailleur au milieu d'une des files de circulation. Une voiture arrive dans sa direction à quelques centaines de mètres. L'attention de Shaolin Cowboy est entièrement focalisée sur l'apparition spectrale de Duyu, le démon qui vient réclamer son âme pour l'emmener aux Enfers. La discussion s'engage entre Shaolin Cowboy et Duyu : le premier indique au second qu'il y a vice de forme et que du coup il n'a pas à le suivre. Le combat entre spectre et corps astral s'engage, invisible pour l'automobiliste qui arrive droit sur Shaolin Cowboy. Le conducteur ne le voit pas car son attention est partagée entre la conversation vidéo qu'il a sur son téléphone, et le soda qu'il est en train de boire. Shaolin Cowboy a mis un terme à son combat contre Duyu. Le pick-up à suspension rehaussée lui passe au-dessus, alors qu'il s'est allongé. Il en profite pour s'y agripper et s'installer sur le plateau arrière pour continuer à récupérer. Un drone a filmé toute la scène qui est remarquée par un des membres du gang de King Crab. Il l'en averti et King Crab décide qu'il est temps d'aller exterminer Shaolin Cowboy.



Oui, il est possible de lire ce tome sans avoir lu les 2 précédents, mais ce serait vraiment y perdre beaucoup. Qu'il découvre Shaolin Cowboy, ou qu'il ait déjà lu les autres tomes, le lecteur n'est pas préparé à l'intensité visuelle de ce qu'il va lire. L'histoire est très simple et très linéaire : Shaolin Cowboy récupère progressivement, mais il va devoir se battre contre un cochon géant doté de conscience, puis contre King Crab lui-même. L'histoire se conclut avec ce tome, ayant apporté une résolution satisfaisante, permettant de réaliser une suite pour un autre cycle si l'auteur en a envie. En cours de route, il répond même à la question relative au satellite entrevu dans le tome précédent. Le ton de la narration charrie toujours des éléments loufoques : Shoalin Cowboy qui revoit le maître Shaolin et le cowboy en train de lui parler (et même son âne), un démon des enfers qui s'adresse à lui, un bernard-l'hermite géant doté de conscience et de parole qui trimbale une Coccinelle VW sur son dos avec des passagers, une truie géante (Kong) de deux mètres de haut avec des piercings aux mamelles qui papote avec un chien (Dooley), tous les deux dotés de conscience et de la parole, etc. En plus la truie King se bat en utilisant des techniques de ninja. D'un côté, c'est farfelu et fantasque avec une touche trash ; de l'autre c'est un monde d'une grande cohérence avec sa propre logique interne.



Comme dans les tomes précédents (et dans toutes les bandes dessinées de cet artiste), le lecteur découvre des cases d'une rare densité en informations visuelles. Geoff Darrow estime que tant qu'à œuvrer dans un registre descriptif, il faut tout représenter. Dave Stewart accomplit un incroyable travail de mise en couleurs pour faciliter la lisibilité de chaque case. Lui aussi utilise une approche de type naturaliste, avec un ou deux passages différents quand il applique une couleur principale déclinée en nuances pour les séquences de souvenir par exemple. Il est impossible de rendre compte du degré de détail de chaque case. Même quand les personnages sont en train de se battre en plein sauts dans les airs, l'artiste continue de dessiner en mode obsessionnel : les Converse de Shaolin Cowboy avec les lacets et la pastille de la marque, son jean avec ses poches, la ceinture et les passants, sa chemise avec ses boutons en décalé sur le côté comme une forme de plastron, son foulard jaune, sans oublier son bracelet en cuir au poignet droit. Face à lui, il montre la peau rêche de Kong (la truie géante) ainsi que les objets qu'elle a en pendentif aux lobes de l'oreille : couteau, pistolet, saï. Bien évidemment, Darrow représente les décors avec une grande régularité, et le lecteur peut s'abîmer dans chaque case pour passer en revue chaque enseigne, chaque déchet, chaque graffiti, et même en milieu naturel, il peut regarder les formations rocheuses, l'implantation de la végétation, le relief, etc. Pour essayer de se rendre compte du degré d'investissement de Darrow, il est possible d'évoquer les cadavres de zombies tous différents autour de Shaolin Cowboy (page 6), les animaux aux alentours de la station-service (chiens errants, cochons en liberté, cadavre de raton-laveur (page 24), les différents cadavres de bouteilles voletant autour de Shaolin Cowboy (page 34, 19 dont 10 différents, le reste étant des canettes de Coca),les lignes électriques aériennes et leur intrication au niveau des poteaux (page 59), les différents morceaux de véhicules et de moteurs qui volent de partout lors d'un carambolage brutal et spectaculaire (pages 72 & 73), etc.



Geoff Darrow passe autant de temps à représenter les personnages, les principaux (Shaolin Cowboy, King Crab & Shelley, Kong & Dooley) que les personnages secondaires. Pages 28 et 29, le lecteur peut passer cinq minutes à détailler tous les membres du gang de King Crab, dans un dessin occupant les deux tiers de la double page, leur accoutrement, leurs accessoires, leur visage. Lors du combat de Shaolin Cowboy contre Kong, puis contre King Crab, l'artiste croque des passants pas piqués des hannetons dans les rues de la ville, qui valent eux aussi largement le temps que le lecteur les regarde dans le détail. Les combats sont bien évidemment épiques puisque Shaolin Cowboy maître des techniques d'arts martiaux lui permettant de bondir dans les airs, et porter des coups spectaculaires. Ses deux principaux ennemis ne sont pas en reste puisque Kong a étudié avec un maître ninja et que King Crab maîtrise lui aussi de nombreuses techniques de combat asiatiques. Geoff Darrow ne réitère pas le combat de 44 pages de Shemp Buffet (tome 2) : il y a un premier affrontement qui dure 18 pages, et le second 8 pages. C'est tout aussi spectaculaire, cohérent dans les déplacements et les mouvements, et loufoque que ce lui contre les zombies, encore plus avec cette histoire de cochon géant ninja. C'est brutal et monstrueux, violent et sanglant, impossible et défoulatoire, énorme et drôle, primaire et vital. Au bout de quelques cases, le lecteur ne s'interroge plus sur les techniques, encore moins sur la plausibilité, il se laisse entraîner par la beauté du spectacle, combat premier degré avec enchaînements fluide dans des prises de vue impeccables, dimension caricaturale second degré.



Oui, ça fait énormément plaisir de retrouver Geoff Darrow dans une narration graphique toujours aussi démesurée et maniaque dans les détails, et son humour personnel fait mouche. Au fur et à mesure, le lecteur constate également que les personnages de passage et que les images brossent un portrait peu reluisant de l'humanité. Chaque fois que des êtres humains sont présents ou sont passés, ils laissent des détritus à n'en plus finir, les jetant à même le sol, un constat sans concession de l'hyperconsommation, du tout jetable, de l’absence de conscience de son environnement. Le fourmillement de détails dans les dessins devient un symptôme de cette société d'omni-abondance. Les comportements irresponsables se voient également dans la conduite de voiture, en regardant son téléphone plutôt que la route, dans les remarques soit bêtes soit dépourvues de toute empathie pour les autres, dans le réflexe de privilégier les réseaux sociaux. Il faut voir la dame à la pompe faire le plein et ignorer totalement Shaolin Cowboy en continuant à parler à son copain par vidéo sur son téléphone. Pire encore, un jeune homme envoie la photographie de la main tranchée de son ami à ses côtés, et s'extasie sur le nombre sans cesse croissant de Like, sans aucun geste pour aider son copain, dénué de toute commisération. Ce degré d'égocentrisme se retrouve également quand King Crab laisse chacun de ses hommes de main exprimer à Shaolin Cowboy en quoi il l'a lésé. C'est une collection de mesquineries et bassesses déblatérées par des individus immatures se délectant d'une culture de la victimisation et de la vantardise. L'auteur est sans pitié avec ces comportements, et en filigrane il est possible de remarquer que Trump en est l'incarnation la plus laide.



Ce troisième tome est fort heureusement plus de la même chose que les 2 premiers : plus de cases hallucinantes de détails, plus de combats délirants mais cohérents, plus de violence. À nouveau, le scénario est linéaire et simple, avec plus d'éléments d'intrigue que le tome précédent. Complètement repu par cette débauche graphique, le lecteur termine ce tome avec le sourire aux lèvres, grâce au ton discrètement sarcastique, et une vision de l'humanité peu flatteuse.
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Hard Boiled

Un laborantin avec blouse blanche et un pull marqué d'un gros code barre court dans des couloirs métalliques : il doit absolument avertir monsieur Willeford que l'unité quatre dépasse la mesure. La scène passe à un homme en pardessus acculé contre un mur en train d'apostropher son assaillant.



La double page suivante décrit un carnage sans nom dans lequel le chaos et les détails se disputent la suprématie. Nixon est soumis à une grêle de balles innombrables tirées depuis de lourdes armes à feu montées sur une belle voiture jaune. La voiture massive percute Nixon de plein fouet et traverse le mur contre lequel il se tenait. Ils atterrissent dans une sorte de galerie couverte abritant un baisodrome avec spectateurs. Le massacre continue jusqu'à une explosion encore plus massive. Après passage dans un laboratoire, Nixon est prêt à reprendre sa vie de banlieusard auprès de sa femme et de ses 2 enfants, jusqu'à sa prochaine journée de travail.



Cette histoire est parue pour la première fois en 3 épisodes publiés de 1990 à 1992 par Dark Horse comics. La raison de cette publication étalée se voit clairement : Geoff Darrow (l'illustrateur) a eu besoin d'énormément de temps pour terminer ses planches. Dès le début, le lecteur est assailli par les pleines pages qui abondent dans cet ouvrage. La majorité desdites pleines pages regorgent de détails jusqu'à l'overdose. Lorsque la voiture traverse le mur, le lecteur se trouve face à une pleine page gorgée d'éléments minutieux. Sur cette page il y a donc la voiture qui défonce le mur ; il y a au bas mot 60 briques de dessinées, chacune d'une forme différente attestant de l'impact particulier qu'elle a subi.



Il y a une quinzaine de couples en train de copuler sur l'estrade prévue à cet effet, chacun dans une position différente. Il y a également quatre vingt spectateurs au bas mot, chacun différent de son voisin en termes de visage, de coiffure, de vêtements, de posture, etc. Et le lecteur découvre au fur et à mesure de l'observation de cette pleine page des activités secondaires inattendues allant de la blague visuelle à la provocation politiquement incorrecte, voire trash (saurez-vous repérer le vibromasseur ?). Et en dessinateur consciencieux, Darrow a également pris soin d'intégrer les descentes d'eaux pluviales, ainsi que les câbles alimentant en énergie ce secteur. Et comme il ne manque pas d'humour, il a affublé chacun des spectateurs d'un bandeau noir sur les yeux pour que le lecteur ne puisse pas les identifier. On peut quand même s'interroger sur les intentions de la dame habillée qui s'apprête à utiliser une tronçonneuse souillée.



Darrow fait également preuve d'une composante méchamment punk. Il éparpille dans ses illustrations des attaques sur le mode de vie américain (pour ma part j'ai beaucoup apprécié le distributeur automatique d'armes à feu). En faisant attention, vous repérerez également quelques références à d'autres œuvres de Miller (par exemple un logo de la Pax en provenance directe des aventures de Martha Washington). En plus de ces pleines pages et doubles pages, il ya des séquences plus traditionnelles de suite de cases qui sont tout aussi efficaces et tout aussi bourrées de détails.



Le lecteur ne dispose que de quelques pages en petit nombre pour se reposer les rétines et elles sont assez espacées les unes des autres. Cette histoire ne se lit donc pas comme les autres bandes dessinées ; il faut beaucoup de temps pour déchiffrer chaque illustration, et les visuels comprennent plus de provocations que le scénario. Cette surcharge d'informations visuelles peut rebuter.



À l'époque, Frank Miller a clairement indiqué qu'il arrêtait de travailler pour Marvel et DC comics pour se lancer sur des projets plus personnels pour lesquels il garderait les droits d'édition. Son premier acte a été de trouver un nouvel éditeur : Dark Horse, puis des dessinateurs pour travailler sur ses projets.



À la lecture des 2 premiers épisodes, le lecteur est en droit de se demander s'il existe un scénario pour cette histoire. Tout n'est qu'une suite de confrontations entre Nixon et 2 opposants aussi implacables que lui, tout n'est que prétexte à débauche de matériaux brisés, d'objets et de bien matériels fracassés et d'êtres humains déchiquetés. Arrivé aux deux tiers de l'ouvrage, le lecteur est en droit de penser que le scénario tient sur un timbre poste et que le dernier tiers n'apportera qu'une baston extrême de plus. Et bien, sans rien révéler, je puis vous dire qu'il n'en est rien. Bien sûr, Miller a écrit surtout pour que Darrow puisse solliciter nos rétines au delà du raisonnable, mais au-delà des fracas incessants il y a bien une histoire avec une fin claire et sans concession. Toute cette violence démesurée est l'expression d'un conflit qui n'est révélé qu'à la fin qui s'avère bien noire.
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The Shaolin cowboy

📚Le Shaolin Cowboy traverse le désert à dos d'une mule bien trop bavarde. Sur son chemin se dresse des hommes et des femmes prêt à en découdre. Mené.es par le Roi Crabe, ils désirent tous se venger du paisible combattant.Enfin, pas si paisible que cela.



🖊The Shaolin Cowboy de Geof Darrow est un délire d'action dantesque et jouissif.Tout au long de ses 4 tomes, l'auteur nous offre un spectacle généreux et régressif peuplé d'animaux revanchards dans des décors foisonnants de détails. Les délires visuels de l'auteur sont au service d'affrontements chorégraphiés poussant toujours plus loin les limites de l'extrême. Par le biais de cette sanglante vendetta, Geof Darrow jette un regard acerbe sur une Amérique trumpienne peuplée de rednecks tous plus abrutis les uns que les autres.



🧔chronique complète :
Lien : https://www.mtebc.fr/shaolin..
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The Shaolin Cowboy, tome 3 : Le jambon, le ..

Ce tome fait suite à The shaolin cowboy, tome 2 : Buffet à volonté (2013/2014) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant pour la compréhension, mais ce serait se priver d'un tel monument. Cette histoire est d'abord parue sous la forme de 4 épisodes, initialement publiés en 2017, écrits, dessinés et encrés par Geoff Darrow. La mise en couleurs a été réalisée par Dave Stewart, et le lettrage par Nate Piekos.



Trois vautours sont en train de planer au-dessus d'une zone désertique du Nevada. Ils évoquent le cadavre de raton-laveur dont l'un d'eux s'est délecté, et le charnier qu'ils voient sous eux : un festin international, avec des cadavres d'italiens, de français, de mexicains, d'allemands et peut-être même un lituanien. Ils repèrent également le cadavre d'un chinois, ou peut-être d'un japonais. L'un d'eux se dirige vers celui-ci pour y goûter. Bien qu'il soit dans un piteux état, grièvement blessé, Shaolin Cowboy trouve la force de prendre le vautour à la gorge et de serrer assez fort pour que ses yeux soient projetés en dehors de leur orbite et atteigne chacun un vautour, transperçant leur crâne. Toujours à demi conscient, allongé au sol, Shaolin Cowboy a la vision de son maître Shaolin lui indiquant qu'il a en lui la force de se remettre, puis celle d'un cowboy urbain lui indiquant qu'il faut qu'il se relève. Même son âne lui apparaît pour lui intimer de se relever. Tant bien que mal, Shaolin Cowboy se relève en vacillant. Il revoit son maître lui enseignant la guérison par l'acupuncture et les points de pression, le cowboy qui lui indique que lui boit du café pour se remettre en selle, et l'âne qui lui dit qu'il faut faire quelque chose sinon il va décliner. Shaolin Cowboy s'applique lui-même 12 points de pression : Shaoyin, Shaoyang, Sahoyang Sanjiao, Ren Mai, Du Mai, Chong Mai, Dai Mai, Yin Wei Mai, Yeng Wei Mai, Yin Quiao Mai, Yang Qioa Mai.



Même si ses mains sont encore ensanglantées et qu'il n'est pas bien vaillant, il se met à marcher en titubant et en crachant du sang. Il arrive au bord d'une nationale inter-état. Les voitures et les camions défilent, mais personne ne s'arrête. Shaolin Cowboy finit par s'asseoir en tailleur au milieu d'une des files de circulation. Une voiture arrive dans sa direction à quelques centaines de mètres. L'attention de Shaolin Cowboy est entièrement focalisée sur l'apparition spectrale de Duyu, le démon qui vient réclamer son âme pour l'emmener aux Enfers. La discussion s'engage entre Shaolin Cowboy et Duyu : le premier indique au second qu'il y a vice de forme et que du coup il n'a pas à le suivre. Le combat entre spectre et corps astral s'engage, invisible pour l'automobiliste qui arrive droit sur Shaolin Cowboy. Le conducteur ne le voit pas car son attention est partagée entre la conversation vidéo qu'il a sur son téléphone, et le soda qu'il est en train de boire. Shaolin Cowboy a mis un terme à son combat contre Duyu. Le pick-up à suspension rehaussée lui passe au-dessus, alors qu'il s'est allongé. Il en profite pour s'y agripper et s'installer sur le plateau arrière pour continuer à récupérer. Un drone a filmé toute la scène qui est remarquée par un des membres du gang de King Crab. Il l'en averti et King Crab décide qu'il est temps d'aller exterminer Shaolin Cowboy.



Oui, il est possible de lire ce tome sans avoir lu les 2 précédents, mais ce serait vraiment y perdre beaucoup. Qu'il découvre Shaolin Cowboy, ou qu'il ait déjà lu les autres tomes, le lecteur n'est pas préparé à l'intensité visuelle de ce qu'il va lire. L'histoire est très simple et très linéaire : Shaolin Cowboy récupère progressivement, mais il va devoir se battre contre un cochon géant doté de conscience, puis contre King Crab lui-même. L'histoire se conclut avec ce tome, ayant apporté une résolution satisfaisante, permettant de réaliser une suite pour un autre cycle si l'auteur en a envie. En cours de route, il répond même à la question relative au satellite entrevu dans le tome précédent. Le ton de la narration charrie toujours des éléments loufoques : Shoalin Cowboy qui revoit le maître Shaolin et le cowboy en train de lui parler (et même son âne), un démon des enfers qui s'adresse à lui, un bernard-l'hermite géant doté de conscience et de parole qui trimbale une Coccinelle VW sur son dos avec des passagers, une truie géante (Kong) de deux mètres de haut avec des piercings aux mamelles qui papote avec un chien (Dooley), tous les deux dotés de conscience et de la parole, etc. En plus la truie King se bat en utilisant des techniques de ninja. D'un côté, c'est farfelu et fantasque avec une touche trash ; de l'autre c'est un monde d'une grande cohérence avec sa propre logique interne.



Comme dans les tomes précédents (et dans toutes les bandes dessinées de cet artiste), le lecteur découvre des cases d'une rare densité en informations visuelles. Geoff Darrow estime que tant qu'à œuvrer dans un registre descriptif, il faut tout représenter. Dave Stewart accomplit un incroyable travail de mise en couleurs pour faciliter la lisibilité de chaque case. Lui aussi utilise une approche de type naturaliste, avec un ou deux passages différents quand il applique une couleur principale déclinée en nuances pour les séquences de souvenir par exemple. Il est impossible de rendre compte du degré de détail de chaque case. Même quand les personnages sont en train de se battre en plein sauts dans les airs, l'artiste continue de dessiner en mode obsessionnel : les Converse de Shaolin Cowboy avec les lacets et la pastille de la marque, son jean avec ses poches, la ceinture et les passants, sa chemise avec ses boutons en décalé sur le côté comme une forme de plastron, son foulard jaune, sans oublier son bracelet en cuir au poignet droit. Face à lui, il montre la peau rêche de Kong (la truie géante) ainsi que les objets qu'elle a en pendentif aux lobes de l'oreille : couteau, pistolet, saï. Bien évidemment, Darrow représente les décors avec une grande régularité, et le lecteur peut s'abîmer dans chaque case pour passer en revue chaque enseigne, chaque déchet, chaque graffiti, et même en milieu naturel, il peut regarder les formations rocheuses, l'implantation de la végétation, le relief, etc. Pour essayer de se rendre compte du degré d'investissement de Darrow, il est possible d'évoquer les cadavres de zombies tous différents autour de Shaolin Cowboy (page 6), les animaux aux alentours de la station-service (chiens errants, cochons en liberté, cadavre de raton-laveur (page 24), les différents cadavres de bouteilles voletant autour de Shaolin Cowboy (page 34, 19 dont 10 différents, le reste étant des canettes de Coca),les lignes électriques aériennes et leur intrication au niveau des poteaux (page 59), les différents morceaux de véhicules et de moteurs qui volent de partout lors d'un carambolage brutal et spectaculaire (pages 72 & 73), etc.



Geoff Darrow passe autant de temps à représenter les personnages, les principaux (Shaolin Cowboy, King Crab & Shelley, Kong & Dooley) que les personnages secondaires. Pages 28 et 29, le lecteur peut passer cinq minutes à détailler tous les membres du gang de King Crab, dans un dessin occupant les deux tiers de la double page, leur accoutrement, leurs accessoires, leur visage. Lors du combat de Shaolin Cowboy contre Kong, puis contre King Crab, l'artiste croque des passants pas piqués des hannetons dans les rues de la ville, qui valent eux aussi largement le temps que le lecteur les regarde dans le détail. Les combats sont bien évidemment épiques puisque Shaolin Cowboy maître des techniques d'arts martiaux lui permettant de bondir dans les airs, et porter des coups spectaculaires. Ses deux principaux ennemis ne sont pas en reste puisque Kong a étudié avec un maître ninja et que King Crab maîtrise lui aussi de nombreuses techniques de combat asiatiques. Geoff Darrow ne réitère pas le combat de 44 pages de Shemp Buffet (tome 2) : il y a un premier affrontement qui dure 18 pages, et le second 8 pages. C'est tout aussi spectaculaire, cohérent dans les déplacements et les mouvements, et loufoque que ce lui contre les zombies, encore plus avec cette histoire de cochon géant ninja. C'est brutal et monstrueux, violent et sanglant, impossible et défoulatoire, énorme et drôle, primaire et vital. Au bout de quelques cases, le lecteur ne s'interroge plus sur les techniques, encore moins sur la plausibilité, il se laisse entraîner par la beauté du spectacle, combat premier degré avec enchaînements fluide dans des prises de vue impeccables, dimension caricaturale second degré.



Oui, ça fait énormément plaisir de retrouver Geoff Darrow dans une narration graphique toujours aussi démesurée et maniaque dans les détails, et son humour personnel fait mouche. Au fur et à mesure, le lecteur constate également que les personnages de passage et que les images brossent un portrait peu reluisant de l'humanité. Chaque fois que des êtres humains sont présents ou sont passés, ils laissent des détritus à n'en plus finir, les jetant à même le sol, un constat sans concession de l'hyperconsommation, du tout jetable, de l’absence de conscience de son environnement. Le fourmillement de détails dans les dessins devient un symptôme de cette société d'omni-abondance. Les comportements irresponsables se voient également dans la conduite de voiture, en regardant son téléphone plutôt que la route, dans les remarques soit bêtes soit dépourvues de toute empathie pour les autres, dans le réflexe de privilégier les réseaux sociaux. Il faut voir la dame à la pompe faire le plein et ignorer totalement Shaolin Cowboy en continuant à parler à son copain par vidéo sur son téléphone. Pire encore, un jeune homme envoie la photographie de la main tranchée de son ami à ses côtés, et s'extasie sur le nombre sans cesse croissant de Like, sans aucun geste pour aider son copain, dénué de toute commisération. Ce degré d'égocentrisme se retrouve également quand King Crab laisse chacun de ses hommes de main exprimer à Shaolin Cowboy en quoi il l'a lésé. C'est une collection de mesquineries et bassesses déblatérées par des individus immatures se délectant d'une culture de la victimisation et de la vantardise. L'auteur est sans pitié avec ces comportements, et en filigrane il est possible de remarquer que Trump en est l'incarnation la plus laide.



Ce troisième tome est fort heureusement plus de la même chose que les 2 premiers : plus de cases hallucinantes de détails, plus de combats délirants mais cohérents, plus de violence. À nouveau, le scénario est linéaire et simple, avec plus d'éléments d'intrigue que le tome précédent. Complètement repu par cette débauche graphique, le lecteur termine ce tome avec le sourire aux lèvres, grâce au ton discrètement sarcastique, et une vision de l'humanité peu flatteuse.
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Hard Boiled

Les deux tomes de Hard Boiled réunis en une intégrale. Le talent de Miller et la puissance artistique de Darrow au service d'un comics punk futuriste complètement déjanté. Je le compare à Transmetropolitan, ce sont des histoires sous extasie qui vivent à un rythme dément et frénétique. Une interrogation face à la robotisation et à une société qui se relâche complètement.
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The Shaolin Cowboy : Shemp Buffet

Ce tome fait suite à la précédente histoire de 2004-2007, éditée en français en 3 tomes, à commencer par Panini Comics en 2008. Il comprend la deuxième histoire réalisée par Geoff Darrow, initialement publiée sous la forme de 4 comics parus 2013/2014. Darrow réalise le scénario, les dessins et l'encrage. La mise en couleurs est assurée par Dave Stewart. Il s'agit d'un album en couleurs au format européen, avec couverture rigide, à la finition très soignée.



Ce tome s'ouvre avec un résumé de 2 pages, un texte écrit en petits caractères. Il évoque la vie du cowboy Shaolin, depuis sa mise à la porte du temple, jusqu'à la situation dans laquelle le lecteur l'avait quitté à la fin de sa première aventure.



Il s'en suit 127 pages de bandes dessinées. Le cowboy Shaolin émerge de terre, dans une zone désertique du Texas. Il se dirige vers la ville la plus proche (Palinsbush), avec une horde de zombies à ses trousses. Du fait de circonstances indépendantes de sa volonté, il n'a d'autre choix que de faire demi-tour et d'affronter ces centaines de zombies, uniquement armé de 2 tronçonneuses fixées au bout d'une longue tige de bambou.



C'est indescriptible, aucun texte ne peut rendre compte de l'expérience picturale qui attend le lecteur au fil des pages. Pour commencer le long texte d'introduction est une réussite impressionnante d'humour absurde et référentiel, les tribulations du cowboy Shaolin défiant l'entendement. Cela vaut la peine de prendre le temps de lire à tête reposée ce texte en petits caractères qui regorgent de trouvailles humoristiques, tout aussi touffues que les dessins de Darrow.



Soit le lecteur a déjà lu des BD dessinées par cet artiste (Hard Boiled, Rusty the boy robot), soit il a feuilleté "Shaolin cowboy" avant de l'acheter et il a été enthousiasmé par le niveau de détails des dessins, et la nature du récit (débiter du zombie au kilomètre). Pourtant il n'a pas encore pu prendre la mesure de l'expérience dans laquelle il se lance.



Côté intrigue, c'est vite vu : le cowboy Shaolin débite du zombie pendant 100 pages. C'est aussi mince que ça ? Oui, il y a environ 10 pages qui ne sont pas consacrées à occire de la chaire putréfie, sur 127.



Côté dessins, Geoff Darrow n'a rien perdu de son obsession maniaque du détail minuscule. La première page est trompeuse car il n'y a qu'une tête de crapaud dépassant d'un rocher, laissant 90% de ce dessin pleine page au ciel, paré d'un joli camaïeu tout en retenu composé par Dave Stewart. Dans les 2 pages suivantes, le lecteur glisse progressivement dans la représentation obsessionnelle de Geoff Darrow. Il dessine les rochers, sans en oublier une seule aspérité et en prenant bien soin de conserver une cohérence de forme d'une case à l'autre, même si l'angle de vue a changé.



Dans n'importe quel comics (et dans une moindre mesure dans une BD), le lecteur a appris qu'une séquence se déroulant dans un désert permet à l'artiste de s'économiser sur les décors, esquissant vaguement 2 ou 3 rochers à l'aide de 2 traits. Ici, Geoff Darrow les représente avec une application méticuleuse, une cohérence spatiale d'une case à l'autre, et il rajoute des détails. Ces derniers peuvent être des graffitis sur les rochers, ou des déchets au sol.



Alors que le lecteur s'attend à une forme de pauvreté visuelle du fait de la localisation de l'action, son œil doit déchiffrer et transmettre une myriade d'informations visuelles liées au décor. Darrow applique le même principe sur les zombies. Alors qu'il s'agit d'individus nus et décharnés (= sans grande caractéristique visuelle), ils sont tous singularisés par des particularités anatomiques différentes. Ce degré de méticulosité relève de l'obsession pathologique.



Geoff Darrow refuse le principe d'effectuer un choix dans son mode de représentation. Il refuse la façon de voir qui serait de considérer un dessin comme une représentation simplifiée de ce que perçoit l'œil, comme une photographie dans laquelle l'artiste n'aurait retenu que les éléments qu'il souhaite mettre en avant. Au contraire, il représente avec application et obsession tous les détails, en en rajoutant si possible. Le lecteur regarde donc des dessins comprenant plus d'informations visuelles que son œil ne pourrait en percevoir dans la réalité.



Ce mode représentatif constitue une forme d'exigence qui répond à une attente implicite de certains lecteurs : en avoir pour son argent, avoir le plus de détails possibles, avoir des cases regorgeant de détails jusqu'au maximum. L'un des tours de force réalisés par Geoff Darrow est dessiner ces cases gorgées d'informations, sans qu'elles n'en deviennent illisibles. Par comparaison avec n'importe quelle autre bande dessinée, le lecteur est stupéfait par la lisibilité et la densité d'informations.



Bien sûr, cette forme graphique exige une attention soutenue de la part du lecteur. Il en a pour son argent, mais l'écœurement n'est pas loin. Il peut (1) soit s'arrêter à une impression globale de l'image (la position du cowboy Shaolin, son geste, la position des zombies qui l'entourent), (2) soit décider d'assimiler tous les détails.



Dans le premier cas, il regarde un monsieur un peu bedonnant débiter des zombies au kilomètre. C'est une lecture un peu particulière qui permet d'apprécier le sérieux de l'engagement de Darrow dans son histoire. C'est un long combat d'un guerrier maîtrisant des techniques d'arts martiaux légèrement exagérées, contre des créatures sans âmes. Darrow raconte ce combat, sans raccourci, sans rien épargner. Il conçoit une mise en scène sophistiquée, avec une chorégraphie intelligente. Le lecteur peut reconstituer chaque mouvement du cowboy Shaolin, chaque déplacement. Chaque suite de cases respecte la logique des déplacements, l'emplacement de chaque obstacle, la position de chaque zombie.



Darrow est un metteur en scène exigeant et intelligent : le déroulement de chaque scène est planifié avec rigueur de manière à ce que chaque mouvement ou déplacement s'enchaîne de manière naturelle. En fonction que l'implication du lecteur dans ce genre de séquence (un combat de 120 pages), il trouvera soit le temps long, soit une expérience de lecture où l'artiste s'est investi totalement dans la création d'une séquence toute entière dédiée à ce combat.



Plus le lecteur a une culture de ce genre très pointu, plus il sera à même d'apprécier l'exploit graphique réalisé par Geoff Darrow. C'est hors norme. C'est le développement logique d'une passion démesurée pour les combats mêlant arts martiaux sublimés, et opposants sans âme (= chair à canon qu'il faut exterminer, sans avoir de remord).



Finalement cette première approche de lecture (sans trop s'attarder sur les dessins) conduit le lecteur à prêter attention à certaines cases. Ce tome contient en particulier un plan séquence hallucinant de 44 pages pendant lequel le cowboy Shaolin se sert de son bâton-tronçonneuse pour exterminer les zombies qui n'arrêtent pas d'affluer vers lui. C'est long, c'est très long. C'est au-delà de l'obsession, c'est engagement total, vital dans la création d'une scène ultime, indépassable. C'est aussi idiot et inutile, que formidable et magistral.



Ces 44 pages composent 22 doubles pages comportant chacune 2 cases superposées, de la largeur de la double page. La qualité de l'édition fait qu'aucun détail n'est perdu dans la pliure grâce à une reliure qui permet d'ouvrir l'ouvrage complètement, sans crainte de l'endommager (attention exceptionnelle portée à la qualité de finition). Seul le lecteur bien préparé (d'un point de vue mental) peut se révéler digne de cette séquence.



Seul un lecteur totalement impliqué dans ce sous-sous-genre ultra-pointu peut trouver la force de s'impliquer dans cette séquence. Soit il accepte et il veut détailler chaque case, chaque jambe de zombies (il y a des tatouages), chaque déchet au sol, chaque membre tranché, chaque posture gauche de ces créatures, chaque pas en avant, chaque moulinet du cowboy Shaolin, chaque giclée de sang (permettant de visualiser la trajectoire des tronçonneuses), chaque progression de cafard, et il s'immerge alors dans un combat d'anthologie dont il ne perd aucun détail.



Soit il refuse cet investissement de concentration et d'attention, et il se demande pourquoi il perd son temps à lire ça. Ce récit n'est pas pour les tièdes. L'implication totale de Geoff Darrow, son investissement et sa compétence artistique exigent un investissement à la hauteur de la part du lecteur.



Ce récit n'est pas à destination de lecteurs à la recherche d'une intrigue sophistiquée. D'un côté, elle tient sur un timbre-poste. De l'autre côté, une séquence ou deux laissent supposer que Darrow a peut-être réorienté son récit en cours de route (les 3 pages incongrues consacrées à la station spatiale). L'intrigue réside dans la conception et la réalisation de cet affrontement sans équivalent connu dans l'histoire de la bande dessinée.



Geoff Darrow a conçu et réalisé un monstre, à réserver à des lecteurs avertis. Ce n'est pas la conséquence de la violence, ou de l'intrigue riquiqui. "Shemp buffet" raconte un combat dans ses moindres détails, avec un mode narratif des plus exigeants, hors norme, proche de la folie, réservé à des lecteurs consentants et expérimentés. Contrairement aux apparences de combat décérébré, ce récit est une preuve concrète du refus de la médiocrité, du refus du politiquement correct, du refus du tiède, du refus du conformisme, du refus de la facilité. C'est une ode à l'exigence, à l'excellence, à la maestria. Avec Geoff Darrow l'essentiel est à rechercher dans le superflu, cette chose très nécessaire comme le disait Voltaire.
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Hard boiled, tome 2

J'ai toujours en mémoire cette course poursuite complètement folle dans le film "The Blues Brothers". Et bien celle de Nixon dans Hard Boiled 2 est puissance 10 avec de belles double pages pleine de détails incroyables. Cette société en mutation et totalement désinhibée abrite des chercheurs et bien sur des intelligences artificielles. Là, je salue le scénario de Frank Miller et le talent artistique de Geof Darrow.
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The shaolin cowboy, tome 2 : Buffet à volonté

Attention, ce second tome consiste pour l'essentiel en 100 pages (oui, oui) de démontage de zombie sans dialogues (certes virtuose... mais tout de même!) et de quelques textes sur l'univers. Voir ma critique du tome 1 et sans doute attendre le tome 3 qui poursuit véritablement l'"histoire".




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The shaolin cowboy : Start trek

Geoff Darrows appartient à une mouvance d’illustrateurs nés au mauvais endroit! Avec les Richard Corben (Grand prix d’Angoulême 2018), Simon Bisley et ses peintures barbares dantesques qui ont influencé notamment Olivier Ledroit, l’italien Liberatore , la mouvance ultra-réaliste trash japonaise, et plus récemment les albums d’Eric Powell il fait partie des auteurs en liberté totale dont l’amitié avec Moebius n’est pas anodine tant son travail semble tout droit sorti du magazine Métal Hurlant. Son nom est sorti du cercle des initié en 1999 lorsque les sœurs Wachowski l’embauchent avec les yeux de Chimène pour mettre en place l’univers visuel et le storyboard des films Matrix. Quand on voit la finesse de son travail on les comprend…



Ce double album (j’y reviens) est un trip sous acide, un mélange entre le artbook déchaîné d’un auteur maniaque, le storyboard détaillé d’un film d’animation qui n’existe pas et une grosse farce sacrément gonflée. Ne cherchez pas de message, de sous-texte ou je ne sais quelle vision! Geoff Darrow utilise son Shaolin Cowboy pour latter du gang dégénéré, du zombie, du requin géant et du cadavre possédé… Vaguement frustrant du fait de la structure totalement apocalyptique du « récit », l’ouvrage est d’une générosité graphique folle car l’auteur ne connaît pas la contrainte. Ainsi le second volume, outre un texte de trois pages relatant des évènements potentiellement précédents et une nouvelle de soixante pages en fin d’ouvrage, reprend le récit au travers d’une sidérante séquence de démontage de zombie sur… cent pages! Cent pages muettes de baston virtuose, le plus long plan séquence de l’histoire du cinéma qui n’en est pas un, bref, quelque chose de jamais vu et qui ne sera certainement jamais refait. Gonflé, d’une précision diabolique, un peu lassant au bout de cinquante pages, mais quelle expérience! [...]



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The Shaolin Cowboy : Shemp Buffet

Voici un projet des plus déroutants... Certains soutiendront être en présence d’un coup de génie narratif, les autres dénonceront une vaste blague et y verront une arnaque au goût amer.
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Shaolin Cowboy, Tome 3 :

De 2004 à 2007, Geof Darrow a publié 7 numéros d'une série intitulée "The shaolin cowboy". Ces épisodes ont été écrits, dessinés et encrés par Geoff Darrow, avec une mise en couleurs réalisée par Peter Doherty, Lovern Kindzierski et Alex Wald. Cette histoire a été publiée en 3 tomes en français : Shaolin Cowboy, tome 1, Shaolin Cowboy, tome 2, Shaolin Cowboy, tome 3. Elle a bénéficié d'une réédition en anglais en 2014, par Burlyman Entertainment. Ce commentaire porte sur les 7 épisodes, c'est-à-dire les 3 tomes.



A une époque indéterminée (fin du dix-neuvième siècle ?), un cowboy progresse dans un désert de sable non identifié, à dos d'âne. Le cowboy ne porte pas de nom, l'âne s'appelle Lord Evelyn Dunkirk Winniferd Esq. the Third. Le cowboy ne parle quasiment pas ; l'âne est intarissable, un vrai moulin à paroles. Dans ce désert, ils tombent face au gang (très nombreux) du Roi Crabe. Ce dernier explique au cowboy pourquoi il lui en veut, avant un affrontement d'anthologie.



A la suite de ce combat dantesque, le cowboy poursuit sa route, et aperçoit un enfant tout juste en âge de marcher, aux 2 mains ensanglantées. Alors qu'il s'en approche 3 démons surgissent des sables, et celui en forme de squelette attaque le cowboy. Au cours de cet affrontement titanesque, un énorme dinosaure se soulève des sables ; il porte une ville fortifiée sur son dos. L'âne progresse sur son dos vers les portes de la cité en protégeant le bébé, alors que le combat entre la tête du squelette et le cowboy se poursuit dans les entrailles du mastodonte.



Geoff Darrow est connu pour avoir illustré 2 récits écrits par Frank Miller : Hard Boiled (VF) et The Big Guy and Rusty the boy robot (en anglais). Il a également travaillé avec les frères Wachowski comme concepteur graphique sur la Trilogie Matrix et sur Speed Racer. Il réalise des dessins avec un niveau de détails obsessionnel.



Au cours de ces 7 épisodes, Shaolin cowboy se bat contre un tel nombre d'adversaires qu'il finit par s'agir d'une armée de belle taille, avec des mouvements de plus en plus impossibles, et des armes qui laissent songeur. L'histoire se termine sur un suspense non résolu. Une bonne partie de l'action se déroule dans un désert de sable, avec quelques formations rocheuses, ce qui chez un autre dessinateur aurait été la marque d'une paresse, pour ne pas avoir à dessiner de décors.



Pour le lecteur qui a déjà lu du Geoff Darrow, il sait qu'il va trouver des cases bourrées à craquer de détails, des combats très brutaux et une forme discrète de second degré. Dès la première page (un dessin pleine page du désert vu du ciel), Darrow prouve par l'exemple son obsession du détail. Les formations rocheuses ne sont pas vaguement esquissées à grands traits, mais chaque excroissance, chaque plissement est marqué par un trait fin. Les nuages sont également représentés avec minutie. Il est possible de distinguer chacun de la dizaine de volatiles évoluant dans le lointain.



Il en va de même pour les personnages. La présentation des membres du gang du Roi Crabe s'étale sur 10 pages (avec un découpage très inattendu), détaillant des dizaines d'individus chacun avec une morphologie et une tenue vestimentaire différente, et dessinée avec précision.



Tout au long de ces 200 pages, le lecteur peut donc se repaître de dessins très denses en informations visuelles, jusqu'à satiété. Ce qui est proprement incroyable, c'est que malgré la profusion de détails minuscules, chaque case reste immédiatement lisible. La composition de chaque case a été conçue de telle sorte à ce que les principaux éléments soient immédiatement assimilables par le lecteur.



Lors d'une séquence, le cowboy éventre un requin à l'aide d'une tronçonneuse, et tous les objets contenus dans son ventre s'éparpillent dans sa trajectoire. Il doit y a avoir plusieurs centaines d'objets de petite taille. Si le cœur lui en dit, le lecteur peut prendre le temps de tous les observer. Il aura la surprise de tous les reconnaître, sans difficulté. Le seul défaut mineur dans la représentation des objets éparpillés (dans cette scène comme dans d'autres) réside dans le fait que Darrow les répartit de manière uniforme sans tenir compte des irrégularités dans le mouvement (ou ailleurs dans le relief).



Pour pouvoir apprécier cette approche graphique, il faut donc que le lecteur ait un goût pour cette interprétation obsessionnelle de la réalité. Il faut également qu'il ait un goût pour la violence, ou en tout cas qu'il soit capable de l'apprécier comme un facteur de divertissement. Le cowboy shaolin se bat pour défendre sa vie, avec des armes à feu ou des armes blanches. Il tue sans remord, tranche sans pitié et perfore sans regret. Le sang gicle, les membres tombent, les tripes se retrouvent à l'air. Geoff Darrow chorégraphie et les affrontements et réalise de magnifiques séquences très cinématiques. C'est un rare plaisir que de pouvoir découvrir des séquences aussi minutieuses et aussi intelligentes dans la conception de leur déroulement.



L'accumulation de combats magnifiques n'a rien de réaliste. Il s'agit d'un exercice de style dans lequel l'auteur prouve sa dextérité et son imagination à concevoir et mettre en scène des affrontements défiant l'entendement. Rien que pour ça, ces épisodes sont d'une qualité exceptionnelle, et constitue un divertissement de haut vol. Mais le plaisir de lecture ne s'arrête pas là.



Darrow est conscient de la nature parodique de sa narration, et il en joue. Il se permet des rebondissements qui défient l'entendement et la plausibilité. Il est impossible de croire à cette cité fortifiée perchée sur un dinosaure aux proportions gigantesques, et encore au moins au combat qui s'en suit dans ses entrailles entre le cowboy et un requin guidé par la tête d'un revenant. L'apparence du Roi Crabe dépasse aussi les possibilités de suspension consentie d'incrédulité. Aux yeux du lecteur, ces éléments participent d'une forme d'humour absurde, qui se marie bien avec les autres composantes humoristiques.



D'un côté il y a le cowboy au sérieux imperturbable, aux mots rares et pesés. De l'autre côté, il y a l'âne pourvu d'une personnalité sarcastique. Ses propos sont très drôles, et contiennent une quantité de jeu de mots impressionnante. Son débit fait un penser à celui d'Eddie Murphy, avec la même forme de moquerie impertinente. Geoff Darrow sait également manier un humour visuel assez noir. Dès la page 7, le cowboy se débarrasse des douilles vides dans son pistolet, en les faisant tomber dans la bouche ouverte de l'ennemi qu'il vient d'abattre, comme s'il s'agissait d'une poubelle ou d'un cendrier. Dans la page précédente, le lecteur remarque également qu'il peut détailler toutes les particularités du sexe de l'âne. Pour un lecteur de bandes dessinées, cette absence de pudeur de la part du dessinateur constitue également une forme d'humour, dans la mesure où il indique par là qu'il refuse de se soumettre aux règles de bienséance implicites de ce medium.



L'intrigue est donc assez mince puisqu'il s'agit pour le cowboy (bien aidé par son âne) de survivre aux attaques qu'il subit en tuant tout le monde (ou peu s'en faut), et par la suite de protéger cet étrange bébé. A l'évidence le divertissement n'est pas à chercher dans l'intrigue.



Ces 7 épisodes forment une histoire incomplète d'une rare densité narrative, du fait de dessins détaillés jusqu'à l'obsession. L'intérêt principal est donc de se repaître de ces représentations maniaques. Le plaisir provient également de la qualité exceptionnelle de la narration graphique, de la personnalité de l'âne, de l'inventivité des situations, de l'imagination débridée jusqu'à l'absurde et de l'humour (noir) omniprésent. Geoff Darrow a écrit et dessiné la suite de ces aventures hors norme : The Shaolin Cowboy, publié par Dark Horse Comics.
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Shaolin Cowboy, Tome 2 :

De 2004 à 2007, Geof Darrow a publié 7 numéros d'une série intitulée "The shaolin cowboy". Ces épisodes ont été écrits, dessinés et encrés par Geoff Darrow, avec une mise en couleurs réalisée par Peter Doherty, Lovern Kindzierski et Alex Wald. Cette histoire a été publiée en 3 tomes en français : Shaolin Cowboy, tome 1, Shaolin Cowboy, tome 2, Shaolin Cowboy, tome 3. Elle a bénéficié d'une réédition en anglais en 2014, par Burlyman Entertainment. Ce commentaire porte sur les 7 épisodes, c'est-à-dire les 3 tomes.



A une époque indéterminée (fin du dix-neuvième siècle ?), un cowboy progresse dans un désert de sable non identifié, à dos d'âne. Le cowboy ne porte pas de nom, l'âne s'appelle Lord Evelyn Dunkirk Winniferd Esq. the Third. Le cowboy ne parle quasiment pas ; l'âne est intarissable, un vrai moulin à paroles. Dans ce désert, ils tombent face au gang (très nombreux) du Roi Crabe. Ce dernier explique au cowboy pourquoi il lui en veut, avant un affrontement d'anthologie.



A la suite de ce combat dantesque, le cowboy poursuit sa route, et aperçoit un enfant tout juste en âge de marcher, aux 2 mains ensanglantées. Alors qu'il s'en approche 3 démons surgissent des sables, et celui en forme de squelette attaque le cowboy. Au cours de cet affrontement titanesque, un énorme dinosaure se soulève des sables ; il porte une ville fortifiée sur son dos. L'âne progresse sur son dos vers les portes de la cité en protégeant le bébé, alors que le combat entre la tête du squelette et le cowboy se poursuit dans les entrailles du mastodonte.



Geoff Darrow est connu pour avoir illustré 2 récits écrits par Frank Miller : Hard Boiled (VF) et The Big Guy and Rusty the boy robot (en anglais). Il a également travaillé avec les frères Wachowski comme concepteur graphique sur la Trilogie Matrix et sur Speed Racer. Il réalise des dessins avec un niveau de détails obsessionnel.



Au cours de ces 7 épisodes, Shaolin cowboy se bat contre un tel nombre d'adversaires qu'il finit par s'agir d'une armée de belle taille, avec des mouvements de plus en plus impossibles, et des armes qui laissent songeur. L'histoire se termine sur un suspense non résolu. Une bonne partie de l'action se déroule dans un désert de sable, avec quelques formations rocheuses, ce qui chez un autre dessinateur aurait été la marque d'une paresse, pour ne pas avoir à dessiner de décors.



Pour le lecteur qui a déjà lu du Geoff Darrow, il sait qu'il va trouver des cases bourrées à craquer de détails, des combats très brutaux et une forme discrète de second degré. Dès la première page (un dessin pleine page du désert vu du ciel), Darrow prouve par l'exemple son obsession du détail. Les formations rocheuses ne sont pas vaguement esquissées à grands traits, mais chaque excroissance, chaque plissement est marqué par un trait fin. Les nuages sont également représentés avec minutie. Il est possible de distinguer chacun de la dizaine de volatiles évoluant dans le lointain.



Il en va de même pour les personnages. La présentation des membres du gang du Roi Crabe s'étale sur 10 pages (avec un découpage très inattendu), détaillant des dizaines d'individus chacun avec une morphologie et une tenue vestimentaire différente, et dessinée avec précision.



Tout au long de ces 200 pages, le lecteur peut donc se repaître de dessins très denses en informations visuelles, jusqu'à satiété. Ce qui est proprement incroyable, c'est que malgré la profusion de détails minuscules, chaque case reste immédiatement lisible. La composition de chaque case a été conçue de telle sorte à ce que les principaux éléments soient immédiatement assimilables par le lecteur.



Lors d'une séquence, le cowboy éventre un requin à l'aide d'une tronçonneuse, et tous les objets contenus dans son ventre s'éparpillent dans sa trajectoire. Il doit y a avoir plusieurs centaines d'objets de petite taille. Si le cœur lui en dit, le lecteur peut prendre le temps de tous les observer. Il aura la surprise de tous les reconnaître, sans difficulté. Le seul défaut mineur dans la représentation des objets éparpillés (dans cette scène comme dans d'autres) réside dans le fait que Darrow les répartit de manière uniforme sans tenir compte des irrégularités dans le mouvement (ou ailleurs dans le relief).



Pour pouvoir apprécier cette approche graphique, il faut donc que le lecteur ait un goût pour cette interprétation obsessionnelle de la réalité. Il faut également qu'il ait un goût pour la violence, ou en tout cas qu'il soit capable de l'apprécier comme un facteur de divertissement. Le cowboy shaolin se bat pour défendre sa vie, avec des armes à feu ou des armes blanches. Il tue sans remord, tranche sans pitié et perfore sans regret. Le sang gicle, les membres tombent, les tripes se retrouvent à l'air. Geoff Darrow chorégraphie et les affrontements et réalise de magnifiques séquences très cinématiques. C'est un rare plaisir que de pouvoir découvrir des séquences aussi minutieuses et aussi intelligentes dans la conception de leur déroulement.



L'accumulation de combats magnifiques n'a rien de réaliste. Il s'agit d'un exercice de style dans lequel l'auteur prouve sa dextérité et son imagination à concevoir et mettre en scène des affrontements défiant l'entendement. Rien que pour ça, ces épisodes sont d'une qualité exceptionnelle, et constitue un divertissement de haut vol. Mais le plaisir de lecture ne s'arrête pas là.



Darrow est conscient de la nature parodique de sa narration, et il en joue. Il se permet des rebondissements qui défient l'entendement et la plausibilité. Il est impossible de croire à cette cité fortifiée perchée sur un dinosaure aux proportions gigantesques, et encore au moins au combat qui s'en suit dans ses entrailles entre le cowboy et un requin guidé par la tête d'un revenant. L'apparence du Roi Crabe dépasse aussi les possibilités de suspension consentie d'incrédulité. Aux yeux du lecteur, ces éléments participent d'une forme d'humour absurde, qui se marie bien avec les autres composantes humoristiques.



D'un côté il y a le cowboy au sérieux imperturbable, aux mots rares et pesés. De l'autre côté, il y a l'âne pourvu d'une personnalité sarcastique. Ses propos sont très drôles, et contiennent une quantité de jeu de mots impressionnante. Son débit fait un penser à celui d'Eddie Murphy, avec la même forme de moquerie impertinente. Geoff Darrow sait également manier un humour visuel assez noir. Dès la page 7, le cowboy se débarrasse des douilles vides dans son pistolet, en les faisant tomber dans la bouche ouverte de l'ennemi qu'il vient d'abattre, comme s'il s'agissait d'une poubelle ou d'un cendrier. Dans la page précédente, le lecteur remarque également qu'il peut détailler toutes les particularités du sexe de l'âne. Pour un lecteur de bandes dessinées, cette absence de pudeur de la part du dessinateur constitue également une forme d'humour, dans la mesure où il indique par là qu'il refuse de se soumettre aux règles de bienséance implicites de ce medium.



L'intrigue est donc assez mince puisqu'il s'agit pour le cowboy (bien aidé par son âne) de survivre aux attaques qu'il subit en tuant tout le monde (ou peu s'en faut), et par la suite de protéger cet étrange bébé. A l'évidence le divertissement n'est pas à chercher dans l'intrigue.



Ces 7 épisodes forment une histoire incomplète d'une rare densité narrative, du fait de dessins détaillés jusqu'à l'obsession. L'intérêt principal est donc de se repaître de ces représentations maniaques. Le plaisir provient également de la qualité exceptionnelle de la narration graphique, de la personnalité de l'âne, de l'inventivité des situations, de l'imagination débridée jusqu'à l'absurde et de l'humour (noir) omniprésent. Geoff Darrow a écrit et dessiné la suite de ces aventures hors norme : The Shaolin Cowboy, publié par Dark Horse Comics.
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Shaolin Cowboy, Tome 1 : La vengeance du ro..

De 2004 à 2007, Geof Darrow a publié 7 numéros d'une série intitulée "The shaolin cowboy". Ces épisodes ont été écrits, dessinés et encrés par Geoff Darrow, avec une mise en couleurs réalisée par Peter Doherty, Lovern Kindzierski et Alex Wald. Cette histoire a été publiée en 3 tomes en français : Shaolin Cowboy, tome 1, Shaolin Cowboy, tome 2, Shaolin Cowboy, tome 3. Elle a bénéficié d'une réédition en anglais en 2014, par Burlyman Entertainment. Ce commentaire porte sur les 7 épisodes, c'est-à-dire les 3 tomes.



A une époque indéterminée (fin du dix-neuvième siècle ?), un cowboy progresse dans un désert de sable non identifié, à dos d'âne. Le cowboy ne porte pas de nom, l'âne s'appelle Lord Evelyn Dunkirk Winniferd Esq. the Third. Le cowboy ne parle quasiment pas ; l'âne est intarissable, un vrai moulin à paroles. Dans ce désert, ils tombent face au gang (très nombreux) du Roi Crabe. Ce dernier explique au cowboy pourquoi il lui en veut, avant un affrontement d'anthologie.



A la suite de ce combat dantesque, le cowboy poursuit sa route, et aperçoit un enfant tout juste en âge de marcher, aux 2 mains ensanglantées. Alors qu'il s'en approche 3 démons surgissent des sables, et celui en forme de squelette attaque le cowboy. Au cours de cet affrontement titanesque, un énorme dinosaure se soulève des sables ; il porte une ville fortifiée sur son dos. L'âne progresse sur son dos vers les portes de la cité en protégeant le bébé, alors que le combat entre la tête du squelette et le cowboy se poursuit dans les entrailles du mastodonte.



Geoff Darrow est connu pour avoir illustré 2 récits écrits par Frank Miller : Hard Boiled (VF) et The Big Guy and Rusty the boy robot (en anglais). Il a également travaillé avec les frères Wachowski comme concepteur graphique sur la Trilogie Matrix et sur Speed Racer. Il réalise des dessins avec un niveau de détails obsessionnel.



Au cours de ces 7 épisodes, Shaolin cowboy se bat contre un tel nombre d'adversaires qu'il finit par s'agir d'une armée de belle taille, avec des mouvements de plus en plus impossibles, et des armes qui laissent songeur. L'histoire se termine sur un suspense non résolu. Une bonne partie de l'action se déroule dans un désert de sable, avec quelques formations rocheuses, ce qui chez un autre dessinateur aurait été la marque d'une paresse, pour ne pas avoir à dessiner de décors.



Pour le lecteur qui a déjà lu du Geoff Darrow, il sait qu'il va trouver des cases bourrées à craquer de détails, des combats très brutaux et une forme discrète de second degré. Dès la première page (un dessin pleine page du désert vu du ciel), Darrow prouve par l'exemple son obsession du détail. Les formations rocheuses ne sont pas vaguement esquissées à grands traits, mais chaque excroissance, chaque plissement est marqué par un trait fin. Les nuages sont également représentés avec minutie. Il est possible de distinguer chacun de la dizaine de volatiles évoluant dans le lointain.



Il en va de même pour les personnages. La présentation des membres du gang du Roi Crabe s'étale sur 10 pages (avec un découpage très inattendu), détaillant des dizaines d'individus chacun avec une morphologie et une tenue vestimentaire différente, et dessinée avec précision.



Tout au long de ces 200 pages, le lecteur peut donc se repaître de dessins très denses en informations visuelles, jusqu'à satiété. Ce qui est proprement incroyable, c'est que malgré la profusion de détails minuscules, chaque case reste immédiatement lisible. La composition de chaque case a été conçue de telle sorte à ce que les principaux éléments soient immédiatement assimilables par le lecteur.



Lors d'une séquence, le cowboy éventre un requin à l'aide d'une tronçonneuse, et tous les objets contenus dans son ventre s'éparpillent dans sa trajectoire. Il doit y a avoir plusieurs centaines d'objets de petite taille. Si le cœur lui en dit, le lecteur peut prendre le temps de tous les observer. Il aura la surprise de tous les reconnaître, sans difficulté. Le seul défaut mineur dans la représentation des objets éparpillés (dans cette scène comme dans d'autres) réside dans le fait que Darrow les répartit de manière uniforme sans tenir compte des irrégularités dans le mouvement (ou ailleurs dans le relief).



Pour pouvoir apprécier cette approche graphique, il faut donc que le lecteur ait un goût pour cette interprétation obsessionnelle de la réalité. Il faut également qu'il ait un goût pour la violence, ou en tout cas qu'il soit capable de l'apprécier comme un facteur de divertissement. Le cowboy shaolin se bat pour défendre sa vie, avec des armes à feu ou des armes blanches. Il tue sans remord, tranche sans pitié et perfore sans regret. Le sang gicle, les membres tombent, les tripes se retrouvent à l'air. Geoff Darrow chorégraphie et les affrontements et réalise de magnifiques séquences très cinématiques. C'est un rare plaisir que de pouvoir découvrir des séquences aussi minutieuses et aussi intelligentes dans la conception de leur déroulement.



L'accumulation de combats magnifiques n'a rien de réaliste. Il s'agit d'un exercice de style dans lequel l'auteur prouve sa dextérité et son imagination à concevoir et mettre en scène des affrontements défiant l'entendement. Rien que pour ça, ces épisodes sont d'une qualité exceptionnelle, et constitue un divertissement de haut vol. Mais le plaisir de lecture ne s'arrête pas là.



Darrow est conscient de la nature parodique de sa narration, et il en joue. Il se permet des rebondissements qui défient l'entendement et la plausibilité. Il est impossible de croire à cette cité fortifiée perchée sur un dinosaure aux proportions gigantesques, et encore au moins au combat qui s'en suit dans ses entrailles entre le cowboy et un requin guidé par la tête d'un revenant. L'apparence du Roi Crabe dépasse aussi les possibilités de suspension consentie d'incrédulité. Aux yeux du lecteur, ces éléments participent d'une forme d'humour absurde, qui se marie bien avec les autres composantes humoristiques.



D'un côté il y a le cowboy au sérieux imperturbable, aux mots rares et pesés. De l'autre côté, il y a l'âne pourvu d'une personnalité sarcastique. Ses propos sont très drôles, et contiennent une quantité de jeu de mots impressionnante. Son débit fait un penser à celui d'Eddie Murphy, avec la même forme de moquerie impertinente. Geoff Darrow sait également manier un humour visuel assez noir. Dès la page 7, le cowboy se débarrasse des douilles vides dans son pistolet, en les faisant tomber dans la bouche ouverte de l'ennemi qu'il vient d'abattre, comme s'il s'agissait d'une poubelle ou d'un cendrier. Dans la page précédente, le lecteur remarque également qu'il peut détailler toutes les particularités du sexe de l'âne. Pour un lecteur de bandes dessinées, cette absence de pudeur de la part du dessinateur constitue également une forme d'humour, dans la mesure où il indique par là qu'il refuse de se soumettre aux règles de bienséance implicites de ce medium.



L'intrigue est donc assez mince puisqu'il s'agit pour le cowboy (bien aidé par son âne) de survivre aux attaques qu'il subit en tuant tout le monde (ou peu s'en faut), et par la suite de protéger cet étrange bébé. A l'évidence le divertissement n'est pas à chercher dans l'intrigue.



Ces 7 épisodes forment une histoire incomplète d'une rare densité narrative, du fait de dessins détaillés jusqu'à l'obsession. L'intérêt principal est donc de se repaître de ces représentations maniaques. Le plaisir provient également de la qualité exceptionnelle de la narration graphique, de la personnalité de l'âne, de l'inventivité des situations, de l'imagination débridée jusqu'à l'absurde et de l'humour (noir) omniprésent. Geoff Darrow a écrit et dessiné la suite de ces aventures hors norme : The Shaolin Cowboy, publié par Dark Horse Comics.
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Hard boiled, tome 1

Avec Darrow, le travail de Miller se limite à la portion congrue, tant on a l’impression qu’il laisse au graphiste le soin d’orienter l’album à sa manière ; ainsi, de nombreuses planches sont « muettes », et on a droit à plusieurs cases en pleine page. Le récit s’en ressent fortement : bourré d’ellipses, il subit des accélérations dérangeantes et n’est pas forcément très aisé à lire. Cela dit, la tonalité générale nous permet de nous accrocher à des codes et, entre Total Recall et Ghost in the shell, on navigue dans un domaine vaguement familier. La frustration vient du fait que le récit ne semble être qu’une sorte de mise en bouche, une longue intro percutante, pleine de bruit, de fureur et de mystères, mais qui n’aboutit qu’à des questions. On aurait aimé davantage d’un album – quand bien même on se le serait procuré d’occasion.



Fascinant, sanglant et glauque, avec ces teintes ternes qui rappellent le travail accompli sur certains albums futuristes de Moebius.
Lien : http://arpenteur-de-pages.ov..
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Hard Boiled

Effectivement, elle est bien sympathique cette série, et j'avoue que sans l'avis enthousiaste de Jetjet, j'aurais eu du mal à me pencher dessus. Et c'est vrai, la lecture vaut le coup d'oeil.



J'avoue que le dessin est proprement hallucinant, il y a certaines pages où je suis resté quelques minutes à détailler tout ce qu'on voit autour. Je ne sais pas combien de temps l'auteur à mis sur chaque planche, mais je suppose qu'il est malade, parce qu'un tel détail, c'est dingue ! Cela dit, ça nuit un peu à la lecture, puisque les pages sont du coup très chargées. Mais c'est beau à voir.



L'histoire m'a surprise, je ne m'attendais pas à cela et j'avoue que j'ai beaucoup aimé la façon de traiter le sujet. Cependant, je dois dire que j'ai trouvé le tout très court, et que j'aurais bien aimé un développement un peu plus long (du coup, je pense que le dessinateur aurait mis cinq ans à la finir, mais bon ...), et le tout est lu très vite en comparaison du nombre de pages.

Par contre, il se relira facilement, à la fois pour son histoire simple mais efficace et surtout pour son dessin qui m'a interloqué. J'avoue que c'est du délire.



S'y ajoute aussi tout le côté violent et trash, c'est sympathique et ça ajoute du charme au récit, sans compter toute la part de science-fiction qui se glisse dedans. Le mélange est très bien fait, j'ai aimé.



Un avis moins enthousiaste que les autres parce que je suis un peu resté sur ma faim au niveau de l'histoire, mais que j'ai été scotché par le graphisme. En tout cas la lecture de cet opus bien violent mais aussi intéressant n'est vraiment pas déconseillé.
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Hard Boiled

Hard Boiled est un témoignage et une satire de l’Amérique violente de l’ère de Reagan où la SF (en BD comme au cinéma) a connu une pléthore de récits sanglants mettant en scène des guerres de gangsters ou des courses-poursuites effrénées (Terminator, Predator et Robocop aux premières loges de notre mémoire collective).
Lien : https://www.actuabd.com/La-f..
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