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Citation de enzo92320


[ L’amitié inter-générationnelle ]

L’âgisme est une passion extrêmement puissante : le style de vie étudiant est l’un des plus homophiles du point de vue de l’âge et les études montrent d’ailleurs que les relations amicales traditionnelles tendent à être les relations les plus homogènes du point de vue de l’âge (elles le sont plus que le couple).
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Très souvent, ces arrangements intergénérationnels sont décrits à travers un vocabulaire familial : ils sont appréhendés comme des « familles alternatives ». Mathieu Lindon parle de « famille amicale » ou de « famille fictive » qui serait devenue sa « vraie famille ». Le plus âgé dans la relation est alors présenté comme une sorte de « père de substitution » ou de directeur de conscience. Didier mentionne que, lorsqu’il écrivait à Dumézil dans les années 1950, Foucault commençait ses lettres par « Mon père ». Et il m’a raconté que, lorsqu’il téléphonait à Pierre Bourdieu au cours de la relation qui l’a lié à lui pendant plus de vingt ans et que c’est sa femme qui décrochait, elle appelait son mari en disant : « Pierre, c’est ton quatrième fils à l’appareil. »
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Il est fréquent d’interpréter la culture de la relation inter-âge comme une manière pour les plus âgés d’essayer de rester au contact de la jeunesse afin de résister aux forces puissantes du vieillissement social. C’est évidemment une donnée importante. Mais cette donnée psychologique n’est pas suffisante pour comprendre ce qui est en jeu dans ce type de relation. L’une des expériences que rend possible la relation inter-âge est aussi pour les plus jeunes d’être en contact avec des plus âgés. Alors, chacun y trouve en quelque sorte une possibilité de prendre une distance avec les identités et les comportements associés ordinairement aux différents âges de la vie, de ne pas être prisonniers de certains rôles ou de certaines images de soi et des limitations qu’elles induisent. Le type de relation que nous vivons permet de vivre des expériences ou d’adopter des attitudes d’ordinaire éprouvées à des âges différents de la vie : avoir en même temps 20 ans, 30 ans, 50 ans… Il ne s’agit pas de « prolonger la jeunesse » ni de vieillir prématurément. Vivre intensément avec des personnes d’âge différent ouvre un accès à une cumulativité des expériences et des rapports au monde que n’autorise pas une relation à l’intérieur de laquelle tout le monde a le même âge. Il ne s’agit donc pas ici d’homogénéiser, mais au contraire de pluraliser. Didier peut rentrer chez lui à 4 heures du matin en ayant trop bu après avoir chanté des chansons et ri à des blagues, comportement qu’on attribue d’ordinaire à l’adolescence, et Édouard a pu, dès ses 19 ou 20 ans, adopter une attitude sérieuse et exigeante par rapport au travail et à l’écriture qui caractérise plutôt, dans les perceptions communes, l’âge adulte – ne pas fréquenter les bars, passer des soirées seul à lire plutôt que sortir les week-ends, etc.
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La relation comme forme intergénérationnelle interne et externe, à l’intérieur d’elle-même et dans les rencontres qu’elle produit et rend possible (l’âge des personnes que nous fréquentons ensemble ou chacun de notre côté s’étend de 19 à 95 ans) instaure une culture du mélange, de l’hybridation, qui fait naître un mode de vie autonome aussi bien du mode de vie étudiant que du mode de vie adulte dont Benjamin a souligné la complicité sociale et psychique. Brouiller les frontières d’âge permet de vivre des attitudes normalement propres à des moments différents de la vie en même temps et non pas comme des phases – comme des parcelles de soi, qui constituent ensemble ce que l’on est, et qui peuvent pour cette raison persister dans le temps au sein d’un même être et devenir le foyer de l’invention d’une identité singulière.
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