Interviu cu George Arion si Sylvain Audet - 14 martie 2014
Toute la vie trépidante du vingtième siècle se trouve là à mes pieds : un cycliste passe en portant, pareil à un trophée, un carton remplis d’œufs ; deux vieilles dames se sont arrêtées au coin de la rue et lisent avec intérêt les articles d'un journal placardé -notre député peut être satisfait, la "propagande visuelle" éveille pleinement l'intérêt de nos concitoyens ; des gens qui faisaient la queue devant un magasin se dispersent- le boucher vient certainement de leur dire qu'aucune livraison n'aura lieu aujourd'hui ; un homme remplace une plaque rouillée sur laquelle était écrit "Vos enfants ont besoin de sucre !" par une autre plaque fraîchement peinte avec l'inscription "Citoyens ! Gardez votre ville propre !" ; des gamins font une partie de foot entre deux cages improvisées avec des pierres -comment diable arrivent-ils à courir sous une chaleur pareille ?!
« Et il tomba dans un profond sommeil qui dura cent ans », ai-je envie de dire dans le style de nos contes traditionnels, dans lesquels le héros, victime d'un sortilège, parvient à se réveiller grâce aux pouvoirs d'une bonne fée. Et tous deux de s'unir dans des noces féeriques. Autrement dit, sans liste de mariage ou autres coûts exorbitants pour les invités ! »
(p. 155)
Quelques minutes plus tard, je sors à mon tour de chez moi. En arrivant en bas de l'immeuble, je tombe sur un groupe de gamins en train de jouer à chat perché.
Dès que ces avenirs radieux de la nation m'aperçoivent, ils interrompent leur jeu et s'approchent de moi pour me saluer avec respect. Il faut dire que contrairement à tous mes voisins, je ne les engueule jamais quand ils font trop de bruit ou cassent un carreau et lorsqu'ils font une partie de foot, il m'arrive souvent d'y participer.
(p. 82)
Il s'installa ensuite confortablement dans un fauteuil afin de suivre un nouvel épisode de la série Dallas. À vingt-trois heures, il éteignit la télévision et la lumière. Tout en se rendant vers son lit, il prononça alors en direction du mur couvert de photographies:
-Bonne nuit, Votre Majesté!
p. 25
Je suis sûr que les récits d'amoureux transis se promenant dans un parc main dans la main, vous font bâiller d'ennui autant que moi. Je vous épargnerai donc les détails lacrymogènes de mon idylle avec Mihaela.
(p. 28)
Comme l'aurait dit un écrivain d'autrefois, les ténèbres ont étendu leurs voiles sur le ville. Grosso modo il fait nuit.
(p. 97)
J’ai dorénavant la lucidité nécessaire pour inspecter les lieux. Je m’énerve en voyant tout d’abord les dizaines de livres qui jonchent le sol. Un fauteuil a été renversé et ma collection de photos d’écrivains a été sortie de sa pochette. Celui qui les aura ainsi éparpillées a dû croire qu’il s’agissait de photos de famille. Le manuscrit du livre sur lequel je travaille en ce moment a également été jeté par terre. Il porte comme titre provisoire L’Argot comme jargon. Si des linguistes professionnels lisaient ce texte, ils sauteraient au plafond. Mais que dire de la réaction d’un juge d’instruction, s’il voyait l’état dans lequel se trouve le vieux Valentin ? Pas besoin d’être fin limier pour comprendre que la pièce a été le terrain d’une sacrée bagarre. Selon toute vraisemblance, feu Valentin et moi-même tenions à réaliser un décor capable d’arracher des larmes au bourreau le plus chevronné. Ça n’a pas été de tout repos, mais le résultat est plus que satisfaisant, croyez-moi ! Je découvre soudain l’arme du crime : l’une des haltères avec lesquelles je prétends m’exercer chaque matin, et qui, entre nous, me servent surtout à impressionner mes visiteuses.
À la suite de cela, la Russie se dota d’un nouveau chef tandis que le vieux renard se mit à parcourir la planète, à donner des conférences, à créer une fondation pour accumuler l’argent reçu des grands de ce monde. D’aucuns avaient fini par soupçonner cet homme, arborant une tache sur son crâne immense, d’avoir été spécialement formé par des agences occidentales dans le seul but de faire tomber leur plus grand ennemi. Bref, un robot qui aurait exécuté à la perfection le rôle qui lui avait été confié avant de se retirer avec élégance, ovationné par les uns, mais incendié par une Nomenklatura privée de ses privilèges – en particulier les hauts gradés d’une armée qui avait perdu sa raison d’être, ou encore ces milliers de braves gens à qui, pendant des décennies, on avait inoculé l’idée qu’ils appartenaient à la nation la plus formidable de la planète et qui découvraient avec stupeur qu’ils avaient toujours eu une vie médiocre, vivant dans des logements de misère, sans jamais manger à leur faim, mal fagotés et ignorant ce qui se passait réellement au-delà des frontières de l’empire.
– Comment ça, « tout va bien » ? reprit Arkadi Feodorovitch, mais cette fois sur un ton plus doux, comme si la vodka l’avait brusquement apaisé. Notre empire menace de s’effondrer et toi, tu me dis que tout va bien ! Les pays baltes n’en font plus qu’à leur tête et ceux du Sud ont commencé à avoir des velléités d’in-dé-pen-dan-ce ! épela-t-il avec dédain. Je t’en foutrais moi de l’indépendance. Je leur ai donné un peu de lest et voilà qu’ils ont déjà commencé à se foutre de moi. De moi ?! répéta-t-il avec étonnement. Moi qu’on appelle le “Tsar de Russie” ! Et pas seulement de la Russie ! Il est plus que temps de leur montrer ce qu’ils représentent pour nous. Des déchets qu’on écrase quand bon nous semble. Je vais rassembler tous leurs soi-disant dirigeants, comme au bon vieux temps, et ils se mettront tous à genoux pour me demander pardon. Je vais les écrabouiller ! Eux et tous ceux qui les soutiennent. Et ils vont redevenir ce qu’ils ont toujours été : des esclaves. La grande Russie pourra alors renaître encore plus fière que jamais !
Bravo à toi, mon cher Andreï Mladin, journaliste roumain en vie ! Ou plutôt devrais-je dire encore en vie ! Parce que je ne vois pas trop comment tu vas te sortir de ce pétrin ! Non seulement tu picoles avec des gens que tu connais à peine, mais tu les amènes dans ton taudis, tu leur cherches querelle et tu les zigouilles ! Qu’est-ce que ce brave petit vieux a bien pu te faire ? C’est tout le respect que tu as pour les anciens ? Au lieu de leur offrir ta place dans le tramway – et le fait que tu te déplaces en voiture n’est pas une excuse –, de les aider à traverser la route ou de couper leur bois, tu leur écrabouilles la tête à coups d’haltères ? Sous d’autres latitudes, tu n’échapperais pas à la chaise électrique, même en soutenant mordicus devant les jurés que ta chair ne serait pas assez tendre pour un tel procédé. Comme si la tendresse de ta viande pouvait encore avoir une quelconque importance.