Les médias imposent à leur public une certaine idée de la criminalité, et cette idée, diffusée dans toute la société, est à l'origine du regard que les individus portent sur la réalité.
(...) Que les articles se multiplient, ou que l'attention soit portée (sans que leur importance réelle ait varié) sur des faits négligés jusque-là, l'opinion croit alors discerner une augmentation de la délinquance, et les pouvoirs publics se hâtent de réagir. Que, inversement, les organes de presse accordent une grande place, pendant un certain temps, à d'autres faits d'actualité, le sentiment d'insécurité tend à s'estomper.
Le mérite de Durkheim est d'avoir souligné que la criminalité est une conséquence du fonctionnement "régulier" de la société. Elle n'est pas un phénomène pathologique, c'est-à-dire accidentel. (...) Cette criminologie [sociologique] ne part pas de l'homme, [mais] a pour origine la société qui produit aussi bien l'homme que l'incitation qu'il subit et conduit à poser des actes déviants ou délinquants. (...) Dans cette approche, la criminalité apparaît souvent comme un phénomène d'inadaptation économique et culturelle.
Le vieux proverbe suivant lequel "le crime ne paye pas" a perdu de sa vérité. En réalité, LE CRIME PAYE ; il paye d'autant mieux que les sociétés modernes ont diversifié leurs activités, multiplié les sources de profit, mais aussi affaibli leurs systèmes de contrôle social (morale, discipline, religion, éducation, etc.). Ceci dans le souci de mieux garantir les libertés de chacun, fût-ce au détriment de la sécurité de tous.
C'est, vraisemblablement, davantage ce que nous ignorons de la criminalité qui est intéressant que ce que nous en connaissons. Nous ne possédons, en effet - aussi singulier que cela puisse paraître -, que peu d'informations utilisables sur la criminalité. Ceci est vrai dans tous les États.
Depuis au moins un siècle la statistique est, en effet, la principale mesure du crime. (...) Décrire, c'est aussi compter, mais la statistique ne décrit que les apparences les plus superficielles des phénomènes sociaux : celles qui se laissent compter.
La délinquance est un fait social qui n'épargne aucune société humaine. (...) La criminalité est un phénomène inévitable et universel "lié aux conditions fondamentales de la vie sociale" (Durkheim).
Ce qu'il faut souligner, en revanche, c'est que dans [les sociétés développées] on constate, depuis un quart de siècle, un parallélisme certain entre l'amélioration des conditions générales de vie, le progrès matériel et humain, et l'accroissement et la transformation de la délinquance. De telle sorte qu'en dépit d'une illusion entretenue au cours du siècle précédent le progrès dans la connaissance ne s'est pas accompagné d'un progrès humain.
Si on a pu croire dans les premières recherches criminologiques que le crime pouvait être le produit de la structure délinquantielle de certains individus, pourquoi ne serait-il pas aussi la conséquence de processus sociaux? (...) L'individu dont l'acte est étiqueté [criminel] apparaît comme un "outsider" (Becker) auquel on accole un stigmate. Il est alors acculé à assumer le rôle correspondant à cette identité et à vivre dans un milieu de délinquants ou de déviants. C'est un cercle vicieux. Ce n'est pas la déviance qui conduit au contrôle social, mais c'est le contrôle social lui-même qui conduit à la déviance.
Le concept juridique de crime (...) permet de traduire, sur le plan social, les conséquences d'un acte auquel la société ne peut demeurer indifférente, en raison du trouble qu'il lui procure, [c'est-à-dire d'une atteinte grave à ses valeurs et à ses normes]. Car, non seulement l'acte criminel engage la responsabilité du coupable, mais la collectivité ne peut rester indifférente devant cet acte qui constitue, en même temps qu'un fait humain, un fait social. Ainsi se trouve justifiée l'existence de la réaction de la société, qui s'exprime dans la peine.
La criminalité est un fait social et les individus les plus divers peuvent être délinquants ou considérés comme tels. (...) Considérée à ses origines, à la fin du XIXe siècle, comme une science d'observation principalement axée sur la personnalité des auteurs de délits et de crimes, la criminologie s'est vu ouvrir de nouvelles perspectives par la sociologie. Celle-ci a, en effet, élevé le niveau de ses recherches à l'ensemble du phénomène social de la criminalité, des variations statistiques, de ses tendances, de sa généralité, etc. C'est moins l'acte individuel que le phénomène collectif dans son contexte culturel qui est désormais analysé.
L’affaiblissement des normes sociales peut ainsi aboutir à un état généralisé d’anomie, c’est-à-dire d’absence de normes. Il peut également exister une perception différenciée des normes par les membres du groupe social. Ce dernier aspect peut se révéler décisif dans le choix de l’individu, entre le conformisme et la déviance.
À travers la revendication de la sécurité de l’emploi, de celle du travail, de la santé, des loisirs, l’individu remet de plus en plus son destin entre les mains d’un État-providence qui fait de lui un assisté. Une politique de « prise en charge » se substitue de plus en plus à l’initiative et à la responsabilité. Par voie de conséquence, dans une telle organisation sociale, le risque apparaît insolite, voire intolérable. Il en est ainsi naturellement de la délinquance, qui apparaît d’autant plus intolérable.