Georges Zaragoza

"Je suis donc sorti pour me mettre en quête de ce roman dans lequel je pourrais puiser sans vergogne. J'ai repéré hier un marchand de journaux, non loin de la boutique du photographe où j'ai acheté mon rutilant appareil. Son rayon librairie n'était pas bien important, je ne m'attendais guère au contraire. Cependant j'ai eu une agréable surprise. Je me suis mis à fouiner dans le maigre rayon de livres, immédiatement, je me suis senti chez moi. Le sentiment de glisser ses pieds dans des pantoufles qui reconnaissent la forme de vos orteils, de votre voûte plantaire, jusqu'à se creuser, par délicatesse, à l'endroit où un durillon est si facilement douloureux. Peu m'importait que les livres en question appartinssent (ô le beau subjonctif) à une misérable sous-littérature, leur contact me ravissait J'aime à retirer un livre de son emplacement, le soupeser, le feuilleter. Je lis généralement la quatrième de couverture puis, au hasard, quelques paragraphes que je pique au gré des pages qui tournent, un peu à la fin, puis au début, peu importe l'ordre. J'aime éprouver la résistance de sa reliure, on sent tout de suite quelle sera sa façon de vieillir. Je n'aime pas les livres trop robustes, mais j'aime qu'ils résistent un temps. J'aime également sentir leur odeur, qui n'est jamais tout à fait la même. C'est très souvent après avoir tâté le livre, comme les paysans doivent tâter les bêtes, que je décide de l'acheter ou non. Il faut que le contact entre lui et moi soit bon, c'est pour que cela que je ne supporte pas que quelqu'un d'autre que moi touche l'un de mes livres."