Georgie de Saint-Maure

La muscade a des effets psychotropes : basculement frénétique d’états psychédéliques et sensoriels, généralement accompagné par un sommeil profond…

Victoria s’exprimait calmement, détachant toutes les syllabes une à une, comme des petits escargots. Sa voix était saine et suave.
Judain se sentit confondu. C’est vraiment une très belle femme, diagnostiqua-t-il, mais elle pue la fausseté.
Un ange passa sans bruit.
-Disons, chère madame, qu’il n’est pas dans mes habitudes d’entendre parler de conjuration, quelques minutes à peine après avoir serré la main d’un inconnu.
Victoria laissa échapper un rire velu et vaginal, exposant une dentition parfaite – à l’exception d’une prémolaire à gauche.

- Eh bien, saliva Judain, une pascaline d’agneau à la muscade est un mets complexe. On farcit un collet de chair de chevreau pilée de jaunes d’œufs cuits durs et deux ou trois noix de muscade. Elle est souvent accompagnée d’une sauce au vin de chèvre et d’un coulis de truffes.
-Ah ? Mais pourquoi une telle surabondance de muscade ?
-C’est un héritage qui nous vient des îles Moluques, nos anciennes colonies en Indonésie.
-Ach so.

Les pataphysiciens aimaient beaucoup à banqueter, et sur la table trônaient déjà d’innombrables tranches de boudin noir, plusieurs plats de potée aux lardons, des oies à l’instar de Visé, des poumons aux pommes, des tartelettes aux calamars, des fruits secs – les verres, aux reflets irisés, contenaient leur pesant de bon champagne bleu… Miam, miam, miam !

Voyez-vous bien, messieurs, dit Judain, solennel, notre vie serait donc un peu comme une spirale, le sillon d’un disque vinyle 33 tours que viendrait lire l’affolante vitesse d’un présent éternel. Avant notre sillon : rien ; une fois notre sillon lu : rien.

En voyant dans l’artiste une vedette, […] le citoyen cherche surtout un sosie dont la réussite justifiera sa propre existence dépourvue de tout autre aspiration. Sa croyance dans le vedettariat est le culte de sa propre éviscération.

« -Ah, vous voilà, madame de mon cacra.
-Qu’y a-t-il, père Urubu ? Vous me semblez un ragotin bien voyou.

-La qualité de la chose faite et la qualité du temps que j’ai passé à faire cette chose sont-elles toujours identiques à celles dont je jouissais avant ?
-J’ai peur de ne pas très bien comprendre.
-Si elles ont été modifiées par l’introduction d’une technique, qui m’a permis de gagner du temps, dans ce cas je n’ai pas gagné le même temps.
-Ah ?
-C’est exactement ce qui se passe avec l’impériale. L’impériale est une machine à gagner du temps, mais le temps qu’elle a dégagé n’a plus du tout la même qualité.

-Voyez-vous bien, dit Judain, la vie est une succession de moments. Ces moments peuvent se résumer à l’instantanéité.
-Pas si vite, Judain, le freina Moulbique. L’instantanéité n’est rien qu’une fulguration entourée d’un passé et d’un futur immenses.
-On peut donc considérer que la somme de moments qui ne sont rien constitue l’existence, conclut Maugrah.

Eh bien, garçon de mon cacra, il s’agit d’un presse-bite tout neuf dont vous allez inaugurer les vimaires.

Cornebidouille, la mère Urubu aurait embabouiné mon salopin ?

-Madame la mère Urubu, nue, s’est assise sur Monsieur le père Urubu, en coinçant son visage entre ses deux énormes fesses.
-Judain ! s’offusqua Moulbique.
-Laissez-moi parler, mon ami, je n’ai pas votre pruderie. Or, la raie des fesses a fait ventouse.

Son ami Raymond (qui, rappelons-le, ne se déplaçait qu’à vélo) avait coutume de lui dire : « Et alors, mon Louis ? Toujours ton petit train-train ? »
Raymond Pourliche avait un humour terriblement efficace et sûr, qui faisait rire Louis à gorge déployée. Parfois, il faisait sous lui, comme un vieux chat-huant, tant les bons mots étaient de qualité.