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Citation de Toocha


Toocha
15 septembre 2017
Le Claude avait bien été obligé d'accepter les nouvelles règles du jeu. Être relégué au quatrième rang lors des AG, subir les coups d’œil sévères ou amusés des collègues, lever la main pour prendre la parole. C'était de bonne guerre, même si c'était usant de ne plus pouvoir agir ni sur le destin ni sur les hommes.
Ça l'aurait été encore plus de rester chez soi. Il s'était aperçu, sursaut d'humilité, qu'il préférait être un sous-fifre de la grève plutôt qu'un planqué. Valait mieux être sur les barricades que faire du gras à la maison. C'est ce que lui aurait dit sa mère qui était polonaise et avait vécu la déportation. Après 1945, elle avait subi le régime communiste totalitaire des sous-fifres de l'URSS jusqu'à ses quarante-deux ans, où elle avait réussi à fuir, son fils sous le bras. Le Claude avait à peine cinq ans à l'époque.
Elle disait que la maternité l'avait rendue craintive. C'était pour cela qu'elle l'avait eu si tard, son Claude, elle savait que ce fils lui ferait renoncer à la lutte. Elle avait redouté de devoir abandonner les siens, mais ce départ au début des années 60 avait été une bonne chose. Car Jariska, la mère de Claude, perdit de nombreux membres de sa famille dans les purges de mai 1968. Elle aurait fini par être elle aussi arrêtée. Le Claude aurait vécu dans un orphelinat.
En France, les temps avaient été durs. Elle avait trouvé un boulot de femme de ménage, et le Claude avait appris le français à l'école primaire. Jariska était une femme hors du commun. Elle avait transmis autant qu'elle pouvait son expérience de femme engagée et de force d'esprit à son fils. Elle qui avait un diplôme de philosophie, elle lui avait lu les grands penseurs du XXe siècle, de Marx qu'elle n'avait jamais haï malgré les dérives de la Pologne communiste, à Heidegger, qu'elle ne pouvait s'empêcher d'admirer en dépit de ce qu'elle avait vécu sous le nazisme.
Mais au moment où il avait eu besoin d'elle, elle était tombée malade. A l'âge où les hommes attendent de leur mère qu'elles leurs disent que le destin les attend, elle avait eu une tumeur au cerveau et le Claude s'était retrouvé au foyer. Il n'avait pas eu son bac, et avait fini par se faire embaucher par les services de la mairie. A trente ans, il s'était engagé dans le syndicat. La même année, il s'était marié. Il avait eu un fils. [...]
Depuis, le Claude perdait ses illusions. Son fils le détestait, et lui avait envie de lui taper dessus pour le remettre dans le droit chemin. Il croyait ne plus pouvoir aimer une femme comme il avait aimé la sienne. Et la sienne était bel et bien partie. Elle s'était même remariée.
Il aurait voulu parler à sa mère. Mais elle ne pouvait plus rien pour lui, là où elle était désormais. [...]
Maintenant qu'il perdait aussi son statut de grand manitou des syndicats, il se sentait comme un désespéré qui attend les dernières heures avant l'apocalypse.
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