Normalement, à cette heure, et compte tenu de la nuit qui était tombée, on n’y rencontrait plus personne. Les cabanons étaient pour la plupart petits et servaient à ranger le matériel de jardinage. Elle ne se souvint pas avoir entendu dire que quelqu’un y eût dormi. Pourtant, une semaine plus tôt, alors qu’elle était venue ici faire une promenade nocturne, elle avait surpris des bruits inhabituels ainsi que des déplacements suspects.
Inès marchait à pas pressés dans la rue qui la menait vers la faculté. Ne prêtant guère attention à ce qui l’entourait, car trop absorbée par ses pensées, elle marchait tête baissée. Georges Banguard, un professeur de l’université de sociologie, qui était également son directeur de thèse, l’attendait pour leur rendez-vous hebdomadaire. Elle aurait dû être heureuse, avoir toutes les raisons de se réjouir, mais des événements récents en avaient décidé autrement. Ainsi, alors qu’assurée que, dans moins d’une heure elle s’entendrait dire que son travail avançait bien, que l’angle d’attaque de sa thèse était original et lui assurerait le succès, un épisode de sa vie privée la préoccupait.
La plaie sanguinolente, sur l’arrière de la tête, n’était pas belle à voir. Dans l’amas de cheveux et de sang coagulé, l’os occipital apparaissait, brisé par endroits. Alors qu’il se penchait sur le cadavre, L’Hostis sentit, au-delà de l’odeur de la mort, les restes fugaces, volatils d’un parfum qui exprimait la fraîcheur, les agrumes. Cette signature olfactive s’imprima en lui comme une supplique d’Inès de retrouver son assassin. Une façon qu’elle aurait eue de s’adresser aux vivants, au-delà des mots… ses dernières volontés…
La sérénité qui l’habitait habituellement, l’abandonnait. Comment Elvio avait-il pu se montrer aussi violent ? Ils se connaissaient depuis l’enfance et jamais elle n’aurait imaginé qu’il fût capable d’un tel débordement. Depuis, elle ne parvenait plus à le voir autrement que sous les traits d’un homme rustre, primaire. Comment continuer à aimer celui dans les bras duquel elle se laissait aller ?
L’occupant marchait sur ce qui lui semblait être un plancher, déplaçant des objets. Frustrée de ne “voir” qu’avec les oreilles, elle s’approcha jusqu’à coller un œil à la serrure de la porte. Mais celle-ci s’ouvrit alors violemment, la projetant à terre. La douleur la terrassa. Elle n’eut pas le temps de retrouver ses esprits qu’on lui assena un coup à la tête…
De façon à ne pas tomber ni à alerter sur sa présence, elle fit usage de sa lampe, tout en prenant soin d’apposer une main sur le réflecteur pour en atténuer l’intensité. Elle progressa ainsi entre les plates-bandes, jusqu’à arriver à deux pas de l’abri. Les bruits à l’intérieur étaient nettement perceptibles, maintenant qu’elle s’en était rapprochée.
À cette heure, il lui semblait qu’il devenait étranger à sa vie, elle ne ressentait plus rien pour lui. La violence sous toutes ses formes l’indignait et elle ne pouvait concevoir de partager le lit de quelqu’un capable de casser la figure d’un autre, fût-ce au prétexte futile d’une pseudo-jalousie.
Au milieu des uniformes, des hommes en civil s’affairaient. Parmi eux, le commandant L’Hostis et son adjoint, Patrick Le Meur, se tenaient près du corps qui gisait à leurs pieds.
Petite-fille d’immigrés portugais, son parcours universitaire signait une intégration réussie.
Étendue face contre terre, une jeune femme avait probablement vécu là ses derniers instants.