Gertrud Colmore

Si la longue mobilisation des féministes britanniques pour le suffrage féminin est aujourd’hui bien documentée par des études historiques, des essais, des films de fiction et des documentaires, Suffragette Sally est un des rares romans, sinon le seul, à avoir été écrit sur le vif par une militante de la cause « suffragette ». Classique dans sa forme, audacieux par le ton, il expose les arguments du débat entre partisans et adversaires du vote des femmes, ainsi – et ce n’est pas moins intéressant – que les différences de position entre d’un côté les suffragistes, légalistes et constitutionnalistes, persuadé·es que la raison finirait par l’emporter sur l’injustice qui privait les femmes de droits politiques ; et, de l’autre, les suffragettes, exaspérées par l’absence de résultat d’un mouvement né un demi-siècle plus tôt et décidées à arracher leurs droits de citoyennes au pouvoir politique.

Il y a trois choses que l'on oppose systématiquement aux mouvements qui s'appuient sur la force morale et tendent à l'amélioration du sort des opprimés. La première est l'intérêt général, la deuxième l'intérêt des opprimés eux-mêmes, et la troisième le sentimentalisme hystérique de leurs partisans. Ces arguments étaient déjà utilisés à propos de l'esclavage, des esclaves et des abolitionnistes : les esclaves aimaient leur condition, sans l'esclavage le monde courait à sa perte, et les abolitionnistes étaient une bande d'imbéciles hystériques. On les utilise toujours à propos de la vivisection - si bénéfique aux animaux et à la population ; quant à ceux qui voudraient la voir disparaître - Seigneur, quelle sensiblerie ! Et il en va de même pour les femmes.

Ch. Du danger de repousser à plus tard

-Avez-vous déjà regardé la marée montante ? demanda Geraldine. Quand la mer est très basse, loin de la côte, elle clapote doucement, comme l'a fait pendant cinquante ans le mouvement des femmes ; une marrée tout à fait de bon ton ; et dont personne ne tient compte - en tout cas parmi ceux qui sont sur le rivage. Mais quand le flot atteint la plage, que la pente est plus raide et que les pierres et les rochers endiguent sa force, sa force irrésistible, alors les vagues douces se changent en lames et plus elles approchent de leur destination finale, plus les heurts sont violents.
Mais..., commença Edith, et elle s'arrêta.
-Mais la marée monte quoi qu'il arrive.

Ch. Un bon changement

" T'aimerais pas être un homme? " lui demanda un jour un jeune garçon chétif. La réponse de Sally fusa aussitôt. " Et toi, t'aimerais pas en être un? " Et il n'y eut aucun doute quant au vainqueur de cet échange.
" Où est ton pauvre mari pendant que t'es dans la rue au lieu de t'occuper de lui ? lança un homme qui sentait la bière.
-Il boit le thé avec ta femme chérie ", rétorqua Sally.

Ch. Ô excellentes et bienfaisantes saucisses !

Tous ceux qui étaient sans défense pouvaient compter sur elle, femmes, enfants et animaux ; aucun n'était pour elle trop obscur, trop faible, trop inculte, pour ne pas avoir droit à la justice ; sur son écu, les armes des végétariens croisaient celles des suffragettes et il aurait été difficile de dire lesquelles comptaient le plus à ses yeux.

Ch. Une liasse de journaux

A l'intérieur, le discours continuait, convaincant, lucide, avec de grands élans d'éloquence.
" John Stuart Mill était-il socialiste ? s'enquit le ministre.
-Non, monsieur, s'écria quelqu'un d'une loge. C'était un défenseur du Vote des Femmes. "
Celui qui venait d'intervenir fut saisi à bras-le-corps et brutalement expulsé.

Ch. Contrastes

En ce sens, Suffragette Sally est une source importante à double titre : parce que le roman décrit une étape charnière et véhémente du combat des suffragettes britanniques, et parce que les arguments, les circonstances, les personnages, les situations que Gertrude Colmore met en avant livrent quantité d’informations sur la société britannique de l’époque et ses contradictions, sur la place des femmes, les motifs de la revendication féministe, l’étanchéité des classes sociales et des « domaines de compétence » dévolus à chaque sexe, la conception de la citoyenneté, le partage du pouvoir et de la responsabilité politique

Et le sexe, apparemment, était de tous les attributs le plus précieux de la femme, celui qui créait les différences éthiques aussi bien que physiques entre elle et l’homme

La question était, jusqu’où pouvait-il aller, lui, dans son soutien, non pas tant en tant que personnage officiel, mais, comme elle l’avait murmuré, en privé ?

L’obscurité était ce qu’il avait de mieux après le feu ; elle écartait de vos pensées ce qui vous environnait