Sur les bords de la Meuse, un jeune homme est allongé. La tête posée sur le cresson de la berge, il semble dormir. Pourtant, il ne dort pas. Tour à tour, son regard se porte sur la maison familiale, puis sur le vieux moulin qui enjambe la rivière.
C’est presque, déjà, la fin de l’été. Il a commencé à pleuvoir depuis quelques jours, et ces orages de septembre semblent annoncer la fin des vacances. Sans trop savoir pourquoi, l’adolescent a le sentiment diffus qu’il vit là ses dernières vacances d’enfant, et que ce début du mois de septembre sera à jamais la frontière irréversible entre son enfance passée et son âge d’homme à venir.
Parfois, ses yeux suivent un morceau de bois qui descend au fil du courant. Alors, il lui semble qu’il devient lui-même bateau, ivre de liberté, un bateau qui ira rejoindre la mer, loin là-bas, en Hollande, cette mer que le jeune homme ne connaît toujours pas et qu’il imagine irisée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, couleurs de voyages et d’aventures.
Dans sa tête, des mots dictés, des mots venus d’ailleurs, s’ordonnent. Ils deviennent des vers, des quatrains, et il n’a pas à réfléchir pour trouver une rime, ou un rythme, ou un rejet. Les mots sont là, dans son cerveau, et il lui suffit de les écouter pour, plus tard, dans la solitude de sa chambre, à la lueur d’une chandelle, les transcrire sur un morceau de papier. Écrire n’est rien, c’est si facile ! Mais, tout le temps, entendre tous ces mots, c’est une telle douleur !
Quand Papa est arrivé ce soir pour me chercher chez Maman, j’ai tout de suite vu qu’il allait y avoir un problème. Papa avait ce sourire qu’il a toujours quand il veut me faire une surprise. Et moi, j’ai horreur des surprises ! Les surprises, je ne sais jamais si elles vont me faire plaisir. Et quand je demande à Papa ce que c’est, cette surprise qu’il me prépare, il sourit et il répond que, justement, c’est une surprise, et qu’il ne peut rien me dire ! Je déteste !
Hier soir, à l’école, il a dû y avoir la réunion que notre instit avait prévue avec les parents pour parler du voyage à Paris. Il y a plus d’une semaine, il avait marqué au tableau ce que nous devions écrire dans nos cahiers de texte pour informer nos parents :
Madame, Monsieur,
Je souhaiterais vous rencontrer le mardi 13 novembre, à 18 heures, pour vous donner toutes les informations relatives au séjour que nous devons faire à Paris avec la classe de votre enfant.
Je compte sur votre présence.
Cordialement,
Gaël Bellon.
Comme tous les copains, j’ai écrit l’information sur mon cahier de texte, mais au lieu de le montrer à ma mère, j’ai déchiré la page. Je ne voulais pas que ma mère aille à cette réunion. De toute façon, elle finit son travail bien plus tard, et elle n’aurait pas pu y aller. Et elle n’a pas les moyens de me payer un tel voyage. Tous nos déménagements lui ont coûté beaucoup d’argent, et je suis bien placé pour savoir qu’elle n’a pas d’économies. Même une somme comme celle qui est demandée pour Paris, cent cinquante euros, et ça ne me semble pas énorme, c’est tout de même beaucoup trop pour elle. Je préfère ne rien lui dire, et qu’elle ne soit au courant de rien. En fait, moins ma mère est au courant de ce que je vis à l’extérieur de la maison, et surtout à l’école, mieux je me porte.
J'avais envie d'écrire, et j'avais apporté une plume, un encrier et quelques feuilles de papier. En fait, mon envie d'écrire se résumait à l'envie de t'écrire, à toi seul. À qui d'autre que toi aurais-je pu dire mes désirs, mes pensées, mes passions et mes folies ? Toi seul pouvais me comprendre, car tu partageais les mêmes désirs, les mêmes pensées, les mêmes passions et les mêmes folies. Toi, mon ami, mon amour, mon frère...