Gilles Glénat

Les sourires simples, sincères et éclatants des femmes de sa vie lui rendirent une certaine joie. Le souvenir nostalgique des moments passés là-bas avec elles le transporta immédiatement loin de sa maison. Comme par enchantement, le sourire lui revint.
Deux coups de feu espacés de quelques secondes retentirent alors dans la maison endormie, réveillant tout le reste de la famille et le chien. Fazal avait tiré par deux fois. Abattu d’une balle dans la tête, Marc gisait dans la mare de sang provoquée par le projectile. Malgré cela, ce dernier souriait béatement, plongé loin de là par ses songes, toujours à bord de l’immense paquebot de cette formidable croisière auprès des siens.

Submergé par la douleur et abasourdi par les conséquences, il ne réussissait pas à accepter la fatalité qui paraissait être toujours en sa défaveur.
Comment pourrait-on décemment se résoudre à accepter le sort, lorsque celui-ci s’acharne aussi injustement ?

Elle n’était pas parfaite, personne ne l’est ! Cela dit, ses imperfections représentaient une part de son charme naturel. Jamais il n’aurait cru pouvoir la tromper. Jamais il n’y avait même vraiment songé. Cela lui était tombé dessus sans qu’il le voie venir. La vie réserve parfois d’incroyables surprises. Celle-ci ne faisait pas l’affaire de ce père de famille tranquille.
Dix-huit ans de vie commune n’avaient pas que des avantages. Effectivement, tous les ménages ressentent à un moment ou un autre une forme de monotonie dans leur couple, surtout lorsque celui-ci compte déjà plusieurs années.

Si parfois, certaines blessures par balle peuvent ne pas s’avérer mortelles, celle-ci ne laissa aucune chance à Mahsa. Elle s’éteint très vite, agrippée à son mari de peur de mourir. Avant de décéder, elle avait retrouvé son époux dans le regard de Fazal, le vrai, le père de ses enfants, celui qui avait œuvré à leur survie quand les circonstances malheureuses l’avaient exigé. Il était un homme bien, l’homme de sa vie. Il serait l’homme de sa mort aussi.

La France, terre d’accueil, faisait tout son possible pour intégrer l’afflux massif de ressortissants étrangers venus quérir le droit d’asile. C’était la phrase qu’il entendait le plus souvent sortir de la bouche des fonctionnaires qu’il rencontrait. Entre les discours des divers membres d’associations pour l’insertion et sa propre expérience sur place, cet Afghan commençait sérieusement à avoir des doutes à ce sujet.

Malgré sa version de l’histoire édulcorée, cette femme ne l’avait pas forcé, il ne s’agissait pas là d’un viol ! Il avait bien trompé sa femme, son Annabelle. Partant de là, rien ne pouvait plaider en sa faveur. Pire encore, il avait mis cinq jours, cinq interminables journées à mentir par omission, à se cacher derrière son travail, sa fatigue. Comment annoncer une telle traîtrise à celle que l’on aime ?

Sa femme, celle qu’il aimait depuis tant d’années, le forçait à rendre leur séparation définitive. Elle le réclamait avec tant d’ardeur qu’il le prenait tel un poignard enfoncé au plus profond de son cœur. Elle voulait rendre officielle leur désunion, malgré tous les efforts consentis ces derniers temps, malgré toutes ces années passées côte à côte, malgré son amour…

Marc était du genre fidèle en tout. En amour et en amitié bien entendu, mais également pour des choses plus futiles ou terre à terre. Il n’aimait guère le changement. De la marque de sa télévision, en passant par ses vêtements et en allant jusqu’à celle de sa fourgonnette Volkswagen. Quand Marc aimait quelque chose ou quelqu’un, il s’y attachait pour toujours.

Le monde s’était écroulé hier soir. Son monde s’était pitoyablement écroulé hier soir ! Sous ses yeux et sans qu’il puisse y changer quoi que ce soit. Il ressassait invariablement les évènements de la soirée, depuis sa confession jusqu’à ce qu’il se retrouve à la porte. Le bilan était catastrophique !

On ne passe pas d’un honnête homme, bon et intègre à un tueur de sang-froid en claquant des doigts.