Gilles Haumont

Les saloperies d'infirmières et les saloperies de médecins viennent les uns après les autres me palper, me sonder, et discuter. Discuter! Mais avec qui ? Avec quoi ? Comment peuvent-ils supporter cette putain de farce ! Leur bouche humide s'ouvre et se ferme, leur grosse langue s'agite contre leurs dents, et ils respirent... Ils respirent tout le temps, pour apporter à leurs putain de cellules leur cargaison d'oxygène, et je vois leur saloperie de ventre se soulever, en haut, en bas, en haut, en bas... et leur saloperie de coeur qui bat tout le temps, sans même qu' ils s'en rendent compte. Et je vois leur saloperie de sang cogner dans les veines bleutées de leur crâne, boum, boum, boum, et ils ne l'entendent même plus... Et ils bouffent, ils ingurgitent des morceaux de cadavres d'animaux, et de cadavres de plantes, pour nourrir la fournaise, pour apporter à la machine la saloperie de carburant qui lui permet de fonctionner, encore et encore. Et je vois les yeux des infirmières quand elles me douchent, quand elles lorgnent sur ma bite, et la touchent du dos de la main, sans en avoir l'air, tout ça parce que la machine de viande doit produire d'autres machines de viande, encore et toujours. Et ma bite se redresse quand je sens leur regard sur moi, parce que moi aussi, je suis une putain de machine! Mes putain d'organes ne me demandent pas mon avis... Ils fonctionnent, c'est tout. Le carburateur carbure, le ventilateur ventile, le piston pompe... Et mon cerveau, mon putain de cerveau non plus ne me demande pas mon avis. Il pense ce que ses putains de neurones lui disent de penser, parce qu'il n'y a personne à qui demander son avis. Il n'y a personne qui habite la putain de machine!
(...)
Ainsi, le Pr Kerub avait raison, songea Jonas lors de l'interminable trajet de retour vers Manhattan. Son traitement ne libérait les patients de leurs illusions schizophréniques que nour mieux les précipiter dans un désespoir infini, rançon selon lui de la lucidité parfaite à laquelle ils parvenaient.