Débat sur le livre "Virginia Woolf. L'écriture, refuge contre la folie", ouvrage collectif dirigé par Stella Harrison 1/2
Ainsi pourrait être résumée la question de la folie dans l'œuvre de Baillon : « je ne suis pas fou comme vous dites que je le suis ; si je le suis quand même, c'est que j'en ai le droit et que j'ai seul le droit de le dire, parce que je suis écrivain ». Par ce droit de l'écrivain, la folie se voit légitimée, non plus exclue ou condamnée. Plutôt qu'à une conception thérapeutique de l'écriture, nous pouvons donc conclure à un consentement à la folie par l'écriture. Et si ce consentement met effectivement
œuvre une dynamique de la négation de la folie, c'est bien pour restituer la possibilité de son affirmation.
Là où l’Autre et l’énigme de son vouloir apparaissent, dans le premier théâtre, surgissent la crainte, l’angoisse et l’ignorance. Les « j’ai peur, je crains, je ne sais pas, je ne vois pas, il fait noir, où suis—je ?, qui suis-je ? » y foisonnent. Les points de suspension infinitisent ces questions qui tombent dans le vide. Les mots gèlent sur les lèvres, ne s’articulent pas à d’autres pour former un sens qui se noue. Isolés, ne renvoyant à aucun autre, les signifiants n’ont plus la légèreté de l’équivoque ou de la dialectique ; ils sont solitaires, lourds comme des pierres. Le vide est sans air, étouffant. Là où surgit le vide de l’énigme, aucun envol. La‘ où s’interrompt la signification, la nuit d’encre mortifère coule pour saturer l’air, l’espace entre les mots. On a beaucoup parlé de l’atmosphère maeterlinckienne. Mais l’air que l’homme respire, n’est-ce pas celui des discours, aérés (qui lui donnent une place de sujet désirant) ou étouffants, dans lesquels il vit ? Les paroles des personnages maeterlinckiens ne trouvent pas accueil chez 'l’Autre.
La révélation dionysiaque que fait retentir à nouveau le chœur dOedipe à Colone prend au sein de cette pièce un éclat nouveau, dû à la rencontre de ces affirmations avec le sort singulier de son héros. D’après l’oracle en effet, Œdipe aurait dû ne pas naître. Aussitôt né, il aurait dû mourir. Ce deuxième bien selon le Silène ne lui fut pas accordé : il fut sauvé par un berger. Au moins, passer sa vie dans la méconnaissance de la vérité du mè phunai («plutôt ne pas naître ») eût été plus doux. Cette consolation fut aussi retirée à cet homme lucide, que le refus de l’ignorance conduisit à soulever le voile jeté sur le « n’être pas » en dénouant l’énigme de sa naissance. Telle est l’universalité d’Œdipe : à travers les circonstances de sa destinée particulière, il se heurte à ce que sa vie même fait rater à chacun ; « le bien suprême pour tous, hommes et femmes, c’est de ne pas naître »). Universalité tragique à laquelle fera écho Faust confronté à Marguerite emprisonnée et folle : « O ! Wär ich nie geboren .’ » (Oh ! Que je ne sois pas né !)
Jacques Derrida montre longuement, patiemment que le pas, adverbe et nom, n'a pas, dans les textes de Maurice Blanchot, une identité stable, une propriété sémantique ou syntaxique. L'écriture de Maurice Blanchot provoque la contamination du nom et de l'adverbe, excédant toute logique qui repose sur l'identité, la non-contradiction... II suffit, pour s'en convaincre, d'examiner divers titres de Maurice Blanchot.
Faux pas dit bien sûr l'erreur, le faux pas, mais aussi l'errance et la faute qu'il ne faut pas commettre. Ce titre oscille entre le pas comme faux nom et le pas comme faux adverbe. Pas disséminé dans L'espace littéraire, Celui qui ne m'accompagnait pas, La part du feu. Dans Le pas au-delà s'accumulent et se cumulent toutes les indécisions sémantiques et syntaxiques grâce à la possibilité de nominaliser l'adverbe au-delà. Pas au-delà de la négation, de la négation de la négation, de la dénégation à l'œuvre dans les textes de Maurice Blanchot, fictions ou essais.
Du rôle absolument déterminant que Lacan reconnaît au champ du langage dans la constitution du sujet, il ressort que pour l'humain, venant au monde comme effet réel du discours des autres, et appelé (dans les deux sens du terme, à savoir « nommé » et « invité à répondre ») dans ce discours par ces
autres (à l'image desquels il a à se mesurer), rien qui lui vienne de ce monde ne lui donne accès, d'emblée, à l'ordre de l'intersubjectivité, que seul l'Autre peut garantir : l'Autre en tant que « lieu de la loi dans le lieu du signifiant ». Si donc l'on ne peut négliger que, constitutionnellement, le sujet prête toute sa complaisance à signifier en son propre être « l'objet du désir de l'autre maternel », force est de reconnaître qu'il ne peut « inventer » l'ordre du signifiant, lequel seul peut lui permettre de (se) signifier, soit donc de se poser comme « être », « sur le mode de n'être pas ».
Quels que soient les débats des critiques portant sur le bien-fondé des idéaux auxquels les héros vouent leur être, au-delà de la diversité de ces idéaux qui donnent à chaque pièce son ton et sa construction, est repérable dans toute l’oeuvre ce point d’aliénation, non sociologique mais signifiante, des personnages par ce qui, au-dessus et hors d’eux, les fonde. L’identification du héros à une cause perdue qu’il rejoint en franchissant les limites de la symbolisation définit pour nous la mortification de type tragique, et sa présence dans une oeuvre fera participer celle-ci du tragique, qu’elle soit épopée, roman, tragédie ou même comédie. Examinons la particularité de cette mortification dans les tragédies de Sophocle. Ajax, guerrier valeureux selon la tradition homérique, s’il ne craint pas d’affronter la mort dans de loyaux combats, met au-dessus de toutes les valeurs celle de l’honneur, qu’il craint de perdre. C'est dans son honneur, sans lequel il refusera de vivre plus longtemps, que Sophocle le frappera.