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Citation de AudMgt


Tout commence en Amérique du Nord, à la fin du XIXe siècle. Les États-Unis et le Canada créent les premiers parcs nationaux du monde,et dans chacun d’eux ils expulsent les habitants. Ils (ré)introduisent des espèces animales dites authentiques, ils (re)plantent des forêts dites originelles et ils (ré)enherbent des plaines dites naturelles. Puis, une fois ce travail accompli, ils font de la nature sauvage, la wilderness en anglais, un symbole national. Dans chaque parc, la nature devient l’âme de la nation. Elle est décrite au public commel’essence authentique des deux sociétés, la figure originelle de deux pays qui se seraient construits sur l’expérience collective d’un terre sauvage et inhabitée, et non pas sur la violence d’une conquête coloniale. L’engouement pour les parcs nationauxs’étend ensuite à l’Europe, au début des années1930. Les États européens expulsent rarement les habitants de leurs parcs. Ils instrumentalisent eux aussi la nature, mais l’invententautrement. Plutôt que de fabriquer une wilderness vierge et atemporelle, ils associent leur nation à une nature humanisée depuis des temps immémoriaux. Par exemple, la confédération suisse fait de ses pâturages de montagne un sol sacré, l’emblème d’une terre qui serait exploitée de la même façon et depuis des siècles, au-delà des différences qui les séparent, par les peuples d’une seule et même nation. Dans la même veine, l’Allemagne fait de ses forêts et de leur folklore le symbole des petites patries (Heimat) où la population peut apprendre à aimer la grande patrie (Vaterland). Le procédé est donc le même qu’en Amérique du Nord. Partout, les parcs naturels favorisent une extension du local au national : du parc jusqu’au national qui le protège, de l’amour d’un petit territoire à l’amour d’un territoire plus vaste, pour reprendre la belle expression de l’historien François Walter. La France s’empare à son tour de ce modèle,au milieu des années 1960. La France des paysans disparaît, et l’État cherche un substitut àl’identité rurale de la nation. Alors, dans la Vanoise, les Pyrénées ou le Mercantour, les gestionnaires des parcs nationaux disent « restaurer l’équilibre écologique des lieux ». Ils interdisent l’industrialisation de l’agriculture,(re)naturalisent les écosystèmes, là-bas des pelouses d’altitude, ici des tourbières, et(ré)introduisent des espèces animales, vau-tours fauves, coqs de bruyère et bouquetins,entre autres. Aux dires de l’État français, ce travail garantit le « retour naturel d’espèces d’intérêt patrimonial ».Ce retour n’a pourtant rien de naturel. Il n’a rien, non plus, de très objectif. Dans les rivières du parc national des Cévennes, par exemple, l’administration réintroduit des castors au nom de leur « authenticité » ; les castors ont disparu de la région au XIVe siècle. En revanche, aucune opération de cette ampleur n’est menée pour pallier la disparition des perdrix grises ou des loups. Moins emblématiques ou plus dangereuses, ces espèces ont néanmoins disparu, elles, il y a à peine un siècle. Cette subjectivité de la chose authentique est encore plus criante quand on observe comment, en France, les responsables des parcs préservent ce qu’ils appellent le « caractère des lieux ». Ils rénovent les bergeries dites traditionnelles. Ils louent des terres aux agro-pasteurs qui, grâce à des loyers réduits, peuvent continuer de vivre sur place. Ils entretiennent les sentiers de transhumance et, au début de l’été, ils versent des subventions aux bergers qui acceptent de partir en transhumance à pied, et non pas en camion, comme cela se fait partout ailleurs dans le pays. Ils soutiennent financièrement l’artisanat local, et forment aussi de jeunes actifs à l’apprentissage de savoir-faire architecturaux soi-disant ancestraux. Bref, en France comme ailleurs, les gestionnaires des parcs font de la nature ce qu’ils croient qu’elle fut.Il n’en va pas autrement de l’autre côté de la Méditerranée.
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