Dans l'oeuvre tout entière résonne le silence, un silence pesant que les rares bruits ne font entendre que davantage. certes, il est des silences heureux, denses du bonheur qu'ils attendent; c'est le silence du pré où Emma se donne à Rodolphe, ou le silence de ces soirées où tout dort autour de Léon et d'Emma : "Léon s'arrêtait, désignant d'un geste son auditoire endormi; alors ils se parlaient à voix basse, et la conversation qu'ils avaient leur semblait plus douce, parce qu'elle n'était pas entendue." C'est le silence qui correspond à une impossibilité de dire un trop-plein de sentiments derrière la banalité des propos échangés : " N'avaient-ils rien d'autre chose à se dire ?Leurs yeux pourtant étaient pleins d'une causerie plus sérieuse." Mais ce n'est pas ce demi-silence heureux qui domine dans le roman. Bien au contraire, le silence de l'absence de communication et du vide des êtres et des choses . Silence des dimanches après-midi d'hiver où l'on entend les cloches des vêpres, silence des repas entre Charles et Emma, et des nuits où l'un dort tandis que l'autre rêve . Silence du refus auquel se heurte Emma, la dernière fois qu'elle va voir Rodolphe, silence finalement de la mort et de l'oubli : ce long et définitif silence qui gagne peu à peu toute l'oeuvre, après l'enterrement d'Emma, mais que déjà tant d'autres silences avaient annoncé, funèbres.
Introduction, par Béatrice Didier
Le désir d'Emma, II