Quoi qu’il fasse, Verlaine a l’Ardenne infuse. Elle coule dans ses veines comme du petit-lait, pas blanchâtre, pas bleu de Marie, comme voulait sa mère, mais verte et sombre comme le schiste sous la pluie.
À cause d’elle, il préférera toujours le Nord au Sud et ses errances ne le porteront pas au-delà de la Loire. (…)
L’Ardenne, c’est encore et toujours là que, fuyant le bagne parisien, il viendra se refaire une santé, se consoler d’un chagrin, reprendre goût à l’amour et à l’amitié.
L’Ardenne infuse, c’est du bon sens paysan à revendre, et de la verdeur verte; c’est le front rembruni du taiseux, l’ œil du maquignon, la sourde violence du taureau. Et aussi la placide indifférence de la vache, l’ondulation des coteaux sous le vent, la longue laisse des plateaux que module la pluie, le balancement des sapins noirs et l’interminable ennui de la plaine.
Et c’est de là, bien sûr, des mouvements contrastés et vagues à la fois de cette terre qui l’habite comme l’exil, de cette rencontre en lui du féminin et du viril, de la fragilité et de la brute, du schiste et de la pluie, que Verlaine tirera la native et sensuelle musicalité de son vers, sans égale dans la poésie française. (…)
O verre verdoyant des étangs
où, calme, les loups gris s’en allaient
boire la nuit, et leurs grands yeux blancs
signaient l’ombre comme en un ballet.
Verlaine, et qu’importe le décor,
c’est toujours l’enfant frêle et rêveur
qui ne peut faire barre de son corps
à ce qui monte en lui, et qui pleure.
C’est le vent du nord qui le déchire
ou le schiste ouvert comme un canif,
ou c’est la plainte encore, le délire
du grand cerf blessé, qui met à vif
son âme gamine et qui s’ignore
comme tous ceux qu’un pays traverse
et qui ont beau marcher, leur effort
reste vain, et la nature verse
en eux le sang vert d’un lent poison,
plus lourd que toute mémoire et puis
plus long à mourir que la chanson
nue des blés sous les doigts de la pluie.
O fée verte d’ici, que n’es-tu
la belle qui ramène, naïve,
l’alme douceur à ce vieux têtu,
couché sur la table, qui dérive ? (pp. 75-78)